Le juge du « référé-liberté » peut être compétent pour faire cesser une voie de fait

Catégorie

Droit administratif général, Urbanisme et aménagement

Date

February 2013

Temps de lecture

3 minutes

CE 23 janvier 2013 commune de Chirongui, req. n° 365262, publié au recueil Lebon

Dans le cadre des opérations de régularisation foncière du département de Mayotte, Mme B. a sollicité la reconnaissance de son droit de propriété sur une parcelle située sur le territoire de la commune de Chirongui  qu’elle occupait depuis plusieurs années.

Par une délibération du 22 novembre 2010, le conseil général a approuvé cette régularisation, faisant ainsi de Mme B. la propriétaire de cette parcelle qui appartenait jusqu’alors au domaine privé de la commune.

Or, en dépit de cette régularisation, la commune de Chirongui a entrepris au cours du mois de novembre 2012 des travaux sur ce terrain en vue de réaliser un lotissement à caractère social.

Mme B. a alors saisi le juge du « référé-liberté » du tribunal administratif de Mamoudzou, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’une demande tendant à faire cesser immédiatement les travaux commencés sur sa parcelle.

Par une ordonnance du 29 décembre 2012, le premier juge a estimé que la commune avait  porté une atteinte grave et manifestement illicite au droit de propriété de la requérante et lui a donc enjoint de cesser immédiatement les travaux entrepris sur cette parcelle.

La commune a alors saisi le juge des référés du Conseil d’Etat d’un appel contre cette ordonnance. Selon elle, l’engagement des travaux se justifiait par une délibération en date du 10 mai 2012 par laquelle le conseil général, d’une part, lui cédait des terrains pour réaliser l’opération et, d’autre part, prévoyait que les personnes ayant bénéficié de l’opération de régularisation foncière dans cette zone devraient bénéficier automatiquement de lots dans le lotissement.

Le juge des référés du Conseil d’Etat, après avoir relevé que la parcelle litigieuse n’était pas au nombre de celles cédées par le département à la commune pour réaliser l’opération et que Mme B. n’avait pas donné son accord pour bénéficier d’un lot du lotissement en échange de la réalisation des travaux, confirme que la commune avait porté au droit de propriété de Mme B. une atteinte grave et manifestement illégale.

Néanmoins, si l’atteinte grave et manifestement illégale est incontestable, il n’est pas exclu en l’espèce que l’administration ait également commis une  voie de fait relevant de la compétence du juge judiciaire puisque que l’engagement des travaux semble manifestement insusceptible de se rattacher au pouvoir appartenant à l’autorité administrative[1].

Dès lors, dans une telle hypothèse, le juge du “référé-liberté” devrait logiquement se déclarer incompétent puisqu’il n’est chargé de sauvegarder les libertés fondamentales auxquelles une personne publique porte atteinte que lorsque cette dernière agit “dans l’exercice d’un de ses pouvoirs”[2].

Pourtant, de manière très audacieuse, le Conseil d’Etat énonce pour la première fois le considérant de principe suivant:

« Considérant que, sous réserve que la condition d’urgence soit remplie, il appartient au juge administratif des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’enjoindre à l’administration de faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale au droit de propriété, lequel a le caractère d’une liberté fondamentale, quand bien même cette atteinte aurait le caractère d’une voie de fait ».

Ainsi, sous réserve que la condition d’urgence soit remplie, un requérant peut toujours saisir le juge administratif du « référé-liberté » pour faire cesser une atteinte à une liberté fondamentale causée par l’administration, la circonstance que cette dernière ait agi ou non dans l’exercice d’un de ses pouvoirs étant indifférente.

Au cas présent, dans la mesure où la satisfaction de la condition de l’urgence n’est pas contestée, le Conseil d’Etat confirme donc l’injonction  prononcée à l’encontre de la commune.

Si cette nouvelle position jurisprudentielle peut paraître très discutable d’un point de vue juridique, elle nous paraît néanmoins se justifier par la volonté de simplifier au maximum l’accès au juge à des requérants dont la sauvegarde d’une liberté fondamentale est menacée.


[1] Selon le Tribunal des conflits, il n’y a « voie de fait, justifiant par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire, que dans la mesure où l’Administration soit a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision régulière, portant une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale, soit a pris une décision ayant l’un ou l’autre de ces effets, à la condition toutefois que cette décision soit elle-même manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative» (T. confl. 19 janv. 2004, Sté CLPK Aircraft Funding c./ Aéroport de Paris, req. no 3386).

[2] CJA Art. L. 521-2.

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