La définition par le Conseil d’Etat des modalités du contrôle du respect du principe de précaution par les actes déclaratifs d’utilité publique

Catégorie

Environnement

Date

April 2013

Temps de lecture

4 minutes

CE 12 avril 2013 Association coordination interrégionale stop THT et autres, req. n° 342409, 342569, 342689, 342740, 342748, 342821.

Le Conseil d’Etat, statuant au contentieux, vient de définir les modalités du contrôle exercé par le juge sur le respect du principe de précaution par les actes déclaratifs d’utilité publique.

Garanti par l’article 5 de la Charte de l’environnement 1)               Dans sa décision « Association du quartier les Hauts de Choiseul », la Haute juridiction a reconnu que le principe de précaution énoncé à l’article 5 de la Charte de l’environnement peut être invoqué directement devant le juge administratif et s’impose même dans le domaine de l’urbanisme (CE 19 juillet 2010 Association du quartier des Hauts de Choiseul, req. n° 328687 :  Rec. CE.) et l’article L. 110-1 du code de l’environnement, le principe de précaution a, en droit de l’urbanisme, vocation à protéger l’environnement, mais aussi la santé des populations contre un dommage grave susceptible de résulter de la réalisation d’un projet 2)             CE 8 octobre 2012 commune de Lunel, req. n° 342423 : mentionné aux Tables du Rec. CE..

Saisi de six requêtes en annulation distinctes, le Conseil d’Etat confirme, par la décision en date du 12 avril 2013, l’arrêté du 25 juin 2010 par lequel le ministre chargé de l’écologie a déclaré d’utilité publique les travaux relatifs à la ligne électrique aérienne à très haute tension dite « Cotentin-Maine », contesté, notamment, sur le fondement de sa méconnaissance du principe de précaution.

Or, selon les termes employés par la Haute juridiction, « une opération qui méconnaît les exigences du principe de précaution ne peut légalement être déclarée d’utilité publique ».

Pour vérifier qu’un projet ne méconnaît pas les exigences du principe de précaution, le Conseil d’Etat définit une procédure en trois étapes.

Dans un premier temps, le juge doit s’attacher « au vu de l’argumentation dont il est saisi », à « vérifier que l’application du principe de précaution est justifiée ».

Pour ce faire, il doit ainsi « rechercher s’il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse d’un risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement ou d’atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, qui justifierait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l’état des connaissances scientifiques, l’application du principe de précaution. »

Cette formulation est à rapprocher de celle employée dans les décisions relatives aux antennes relais de téléphonie mobile : en effet, depuis la décision société Orange France en date du 30 janvier 2012 3)      CE 30 janvier 2012 Société Orange France, req. n° 344992 ; Rec. CE. , la mise en œuvre du principe de précaution en droit de l’urbanisme dépend de l’existence de « risques, mêmes incertains » pour la santé publique, établis par des « éléments circonstanciés » appréciés « en l’état des connaissances scientifiques ».

La notion d’incertitude étant consubstantielle à celle de risque, la possibilité d’un danger ne suffit donc pas, pour les juridictions administratives, à justifier l’opposition du principe de précaution à une décision administrative : encore faut-il que l’existence  même d’un tel risque soit établie grâce, justement, aux « éléments circonstanciés » évoqués par le Conseil d’Etat.

Précisément, dans sa décision en date du 12 avril 2013, la Haute juridiction clarifie les indices susceptibles de rentrer dans cette catégorie.

Ainsi, le Conseil d’Etat n’exige pas la démonstration rigoureuse d’un lien de cause à effet entre le phénomène suspecté et le dommage : « plusieurs études concordantes » qui, « malgré leurs limites », ont « mis en évidence une corrélation statistique significative entre le facteur de risque invoqué par les requérants et l’occurrence d’une telle pathologie supérieure à la moyenne », suffisent à considérer que « l’existence d’un tel risque doit être regardée comme une hypothèse suffisamment plausible en l’état des connaissances scientifiques pour justifier l’application du principe de précaution ».

Pour autant, le constat de l’existence d’un tel risque n’implique pas nécessairement la censure de la décision contestée.

Dans le cadre de la procédure de déclaration d’utilité publique, le Conseil d’Etat est amené ensuite à vérifier, dans un deuxième temps, que « des procédures d’évaluation du risque identifié » ont été effectivement « mises en œuvre par les autorités publiques ou sous leur contrôle ».

Dans un troisième temps, le juge doit enfin contrôler que les mesures de précaution prévues pour prévenir la réalisation du dommage « ne sont ni insuffisantes, ni excessives » au regard de « la plausibilité et [de] la gravité du risque », mais aussi de « l’intérêt de l’opération ».

Ce contrôle ne l’ayant pas conduit à censurer la décision litigieuse, la Haute juridiction intègre ensuite l’ensemble des éléments liés à la prise en compte de ce risque dans le bilan que depuis l’arrêt Ville Nouvelle Est 4)             CE Ass. 28 mai 1971 Ministre de l’Equipement et du Logement c/ Fédération de Défense des personnes concernées par le projet actuellement dénommé « Ville Nouvelle Est ; Rec. CE. , elle établit pour apprécier si l’opération peut être légalement déclarée d’utilité publique : le Conseil d’Etat pose clairement en principe que « dans l’hypothèse où un projet comporterait un risque potentiel justifiant qu’il soit fait application du principe de précaution, cette appréciation est portée en tenant compte, au titre des inconvénients d’ordre social du projet, de ce risque de dommage tel qu’il est prévenu par les mesures de précaution arrêtées et des inconvénients supplémentaires pouvant résulter de ces mesures et, au titre de son coût financier, du coût de ses dernières ».

En application de ce principe, afin de déterminer si les inconvénients du projet de ligne à très haute tension ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’il présente, le Conseil d’Etat intègre à ceux-ci les « risques potentiels d’impact sur la santé » des personnes résidant à proximité du tracé de la ligne, « eu égard aux mesures prévues » pour les « atténuer » ou les « compenser », ainsi que « les sommes consacrées aux mesures visant à assurer le respect du principe de précaution ». La comparaison de ces inconvénients avec l’intérêt du projet pour la sécurité et la continuité du réseau électrique amène alors le Conseil d’Etat à considérer que ne pouvant, en l’espèce, « être regardés comme excessifs », ils ne sont pas de nature à retirer à l’opération « son caractère d’utilité publique ».

 

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References   [ + ]

1.                Dans sa décision « Association du quartier les Hauts de Choiseul », la Haute juridiction a reconnu que le principe de précaution énoncé à l’article 5 de la Charte de l’environnement peut être invoqué directement devant le juge administratif et s’impose même dans le domaine de l’urbanisme (CE 19 juillet 2010 Association du quartier des Hauts de Choiseul, req. n° 328687 :  Rec. CE.)
2.              CE 8 octobre 2012 commune de Lunel, req. n° 342423 : mentionné aux Tables du Rec. CE.
3.       CE 30 janvier 2012 Société Orange France, req. n° 344992 ; Rec. CE.
4.              CE Ass. 28 mai 1971 Ministre de l’Equipement et du Logement c/ Fédération de Défense des personnes concernées par le projet actuellement dénommé « Ville Nouvelle Est ; Rec. CE.

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