L’exercice d’un recours en annulation contre un permis de construire peut être constitutif d’une escroquerie

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

February 2014

Temps de lecture

3 minutes

Cour de Cassation, chambre criminelle, 22 janvier 2014, req. n° 12-88.042

Le 22 janvier 2014, la chambre criminelle de la Cour de Cassation a confirmé l’important arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 9 novembre 2012 qui, pour la première fois, retenait le chef d’accusation d’escroquerie à l’encontre d’auteurs de recours contentieux contre des permis de construire.

Les faits de l’espèce étaient, il est vrai, particulièrement éloquents : en l’espace de six mois, quatre recours avaient été déposés contre des projets immobiliers de grande envergure à travers la France (Le Havre, Serris, Paris, Roubaix), recours déposés chaque fois la veille de l’expiration du délai de recours contentieux et par des personnes dont l’intérêt à agir contre ces autorisations d’urbanisme résultait d’acquisitions réalisées presque simultanément à leur délivrance. Deux de ces recours avaient finalement donné lieu à désistements moyennant signature de transactions particulièrement onéreuses (respectivement 2,5 et 3 millions d’euros), les deux autres négociations ayant été stoppées suite à l’ouverture d’une enquête sur ces agissements.

Celle-ci a permis de mettre à jour un système particulièrement sophistiqué, dans lequel intervenaient trois acteurs principaux : deux anciens salariés de haut rang de la société maître d’ouvrage de ces projets, ainsi que l’avocat conseil de cette même société. Ceux-ci, en passant par des connaissances leur servant de prête-noms, ont profité de leurs informations pour procéder aux acquisitions et former les recours, dans le but évident de négocier ensuite leur désistement de manière transactionnelle.

Faisant la synthèse de l’ensemble de ces éléments, la chambre criminelle de la Cour de Cassation en a ainsi déduit :

« Attendu que, pour infirmer le jugement et dire établies les escroqueries et tentatives d’escroquerie reprochées aux prévenus, l’arrêt énonce, notamment, que, si l’exercice d’une action en justice constitue un droit, son utilisation, hors le dessein de faire assurer ou protéger un droit légitime et après qu’un intérêt à agir eut été artificiellement créé dans le seul but d’obtenir le versement de sommes au titre d’une transaction, constitue une manœuvre déterminante de la remise des fonds ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a caractérisé, sans insuffisance ni contradiction, l’existence de manœuvres frauduleuses et répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision ».

Rappelons que l’escroquerie est définie par l’article 313-1 du code pénal, qui dispose :

« L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge »

Deux éléments devaient donc être caractérisés pour que le délit d’escroquerie soit constitué : d’une part, l’existence d’une manœuvre frauduleuse, ce qui en l’espèce ne faisait guère de doutes dès lors que les prévenus avaient à la fois usé de prête-noms, abusé de leurs qualités et liens avec la victime, et surtout artificiellement créé un intérêt à agir ; d’autre part, et c’est sur ce point que le tribunal de grande instance de Meaux avait, en première instance, rejeté la qualification, la causalité entre cette manœuvre et le versement de fond.

La Cour de Cassation, confirmant l’arrêt de la cour d’appel de Paris, a donc considéré que ce lien de causalité était constitué par l’action en justice qui, fondée sur les manœuvres frauduleuses évoquées, avait pour cause essentielle le versement de fond par la personne attaquée et non la défense d’un droit légitime.

Si le juge, notamment le juge civil 1) Par exemple : Cass 3e Civ 5 juin 2012, req. n° 11-17919 – en attendant les premiers jugements rendus par le juge administratif sur le fondement du nouvel article L. 600-7 du code de l’urbanisme –, avait déjà pu qualifier des recours comme étant abusifs du fait de leur caractère dilatoire, et donnant de ce fait lieu à versement de dommages et intérêts, c’est la première fois que l’exercice d’un recours contre une autorisation d’urbanisme est considéré comme la cause d’un délit pénalement répréhensible.

S’il convient de rester prudent sur la portée exacte de cet arrêt, au vu des faits d’espèces d’une particulière gravité, le principe dégagé par cet attendu reste cependant relativement large et pourrait donc trouver à s’appliquer à des situations moins évidentes. En effet, il semble bien que la manœuvre frauduleuse identifiée soit, à titre principal, la constitution artificielle d’un intérêt à agir, indépendamment des liens des prévenus avec le maître d’ouvrage et de l’usage de prête-noms, même si l’identification du caractère frauduleux est nécessairement renforcée par ces pratiques.

En tout état de cause, il s’agit donc d’un nouveau pas fort pour la protection des bénéficiaires de permis, qui s’inscrit dans un contexte globalement favorable pour ceux-ci avec l’adoption, en juillet dernier, de l’ordonnance du 18 juillet 2013 restreignant l’intérêt à agir des requérants 2) Articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3 du code de l’urbanisme., encadrant les modalités du désistement transactionnel 3) Article L.600-8 du code de l’urbanisme et créant l’article L. 600-7 précité du code de l’urbanisme. Pouvant désormais être sanctionnés financièrement comme pénalement, les auteurs de recours abusifs devront donc réfléchir à deux fois.

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