Le préfet peut, même après la mise à l’arrêt de l’installation, modifier les prescriptions de remise en état du site par arrêté complémentaire, afin de prévenir des dangers ou inconvénients qui n’auraient pas été antérieurement pris en compte

Catégorie

Environnement

Date

February 2014

Temps de lecture

7 minutes

CAA Nancy 23 janvier 2014 Société Entreprise de Travaux et Matériaux c. Commune d’Illkirch-Graffenstaden, req. n° 12NC01359

Par arrêt du 23 janvier 2014, la cour administrative d’appel de Nancy écrit le dernier chapitre du feuilleton contentieux qui opposait la commune d’Illkirch-Graffenstaden à la société Entreprise de Travaux et Matériaux (SETM) et le préfet du Bas-Rhin au sujet de la remise en état d’une carrière située sur un terrain appartenant à la commune.

L’histoire a commencé avec un arrêté du 12 mai 1999 par lequel le préfet du Bas-Rhin a fixé les conditions de la remise en état du site de la carrière, exploitée depuis 1989, en précisant notamment qu’il devait être procédé au remblayage uniquement avec du granulat, des enrochements et des matériaux existant naturellement sur le site. En d’autres termes, aucun matériau extérieur au site ne pouvait être utilisé dans le cadre de la remise en état.

Or, à la suite de la cessation de l’exploitation intervenue en 2002, une étude effectuée dans le cadre de la remise en état en 2003 a révélé la présence de substances polluantes sur le site. Pour faire face à ce risque, le préfet a autorisé, par un arrêté complémentaire du 16 juin 2005, la SETM à remblayer le site, pendant une durée de cinq ans, avec des matériaux extérieurs à celui-ci.

C’est cet arrêté du 16 juin 2005 qui a alors déclenché la bataille contentieuse entre la commune d’Illkirch-Graffenstaden, d’une part, et la SETM et le préfet, d’autre part.

La commune d’Illkirch-Graffenstaden soutenait en effet qu’une telle modification des prescriptions de la remise en état aboutissait de facto à permettre une nouvelle activité de stockage de déchets, dont l’amiante. Elle considérait que dans de telles conditions le préfet ne pouvait légalement prendre l’arrêté complémentaire et qu’il devait exiger de la SETM le dépôt d’une nouvelle autorisation d’exploitation au regard de l’activité autorisée et d’une nouvelle enquête publique ainsi que d’une nouvelle autorisation de la commune en tant que propriétaire des terrains. La commune soutenait en outre qu’une nouvelle étude d’impact était nécessaire tant au regard de l’impact des travaux autorisés, notamment en termes de trafic routier qu’au titre de la loi sur l’eau s’agissant du remblaiement d’une zone humide.

En particulier, la commune a avancé qu’au titre de l’article L. 514-1 du code de l’environnement le préfet avait compétence liée pour mettre en demeure l’exploitant de se conformer aux prescriptions de son arrêté d’autorisation (initial) relatives à la remise en état du site et au remblayage.

En première instance, le tribunal administratif de Strasbourg a, par jugement du 11 juin 2009, rejeté la demande de la commune.

En revanche, la cour administrative d’appel de Nancy a adhéré à l’argumentation de la commune et a, par un arrêt du 18 octobre 2010, annulé l’arrêté de 2005 au visa de l’article L. 514-1 du code de l’environnement, en considérant que :

« aux termes du I de l’article L. 514-1 du code de l’environnement : Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, et lorsqu’un inspecteur des installations classées ou un expert désigné par le ministre chargé des installations classées a constaté l’inobservation des conditions imposées à l’exploitant d’une installation classée, le préfet met en demeure ce dernier de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé. […] qu’il résulte de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 19 juillet 1976, que lorsque l’inspecteur des installations classées a constaté, selon la procédure requise par le code de l’environnement, l’inobservation de conditions légalement imposées à l’exploitant d’une installation classée, le préfet, sans procéder à une nouvelle appréciation de la violation constatée, est tenu d’édicter une mise en demeure de satisfaire à ces conditions dans un délai déterminé ».

En d’autres termes, le préfet avait compétence liée pour mettre en demeure la SETM de se conformer aux mesures de remise en état fixées par l’arrêté initial de 1999.

Or, ce raisonnement ne satisfait guère le Conseil d’Etat. La haute juridiction administrative censure la décision des juges nancéens en relevant qu’ils ont commis une erreur de droit par mauvaise application des articles L. 512-3 et L. 514-1 du code de l’environnement.

Le Conseil d’Etat statue par décision du 8 octobre 2012, après avoir rappelé les termes des articles L. 511-1, L. 512-3 et L. 514-1 du code de l’environnement alors en vigueur, en considérant que :

« il appartient à l’autorité administrative compétente en matière de police des installations classées de prendre à tout moment les mesures nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 ; qu’elle peut à cet effet, même après la mise à l’arrêt de l’installation, modifier les prescriptions de remise en état du site sur le fondement de l’article L. 512-3, afin de prévenir des dangers ou inconvénients qui n’auraient pas été antérieurement pris en compte ; qu’une telle modification dispense nécessairement l’exploitant de respecter celles des prescriptions initiales qui ont ainsi été modifiées ; que, par suite, en jugeant que le préfet ne pouvait légalement prendre un arrêté complémentaire modifiant les prescriptions de son arrêté du 12 mai 1999 relatives à la remise en état du site et à son remblayage dès lors qu’il était tenu, après avoir constaté que les prescriptions initiales correspondantes n’avaient pas été respectées, de mettre en demeure la SETM de s’y conformer en application de l’article L. 514-1 du code de l’environnement, la cour administrative d’appel de Nancy a entaché son arrêt d’une erreur de droit ; que la SETM est dès lors fondée, pour ce motif et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque ».

Sans examiner les autres moyens du pourvoi, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt de la cour administrative de Nancy et lui a renvoyé l’affaire pour qu’elle statue à nouveau.

Avant que la cour administrative d’appel de Nancy puisse se prononcer, il a fallu attendre encore une autre décision du Conseil d’Etat statuant sur la demande de la commune de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel et portant sur la conformité de l’article L. 512-3 du code de l’environnement au principe de participation consacré par l’article 7 de la Charte de l’environnement et au droit de la propriété de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Par décision du 17 octobre 2013, le Conseil d’Etat a refusé de transmettre la QPC au Conseil constitutionnel en considérant que la question ne satisfaisait pas les conditions pour être transmise au Conseil, c’est-à-dire qu’elle n’était pas nouvelle et ne présentait pas un caractère sérieux. En ce qui concerne la conformité au principe de participation, le Conseil d’Etat a considéré que :

« toutefois, la faculté réservée à l’autorité administrative de compléter, par des arrêtés complémentaires, l’autorisation initiale d’exploiter une installation classée pour la protection de l’environnement, accordée notamment, en vertu de l’article L. 512-2 du code, après une enquête publique relative aux incidences éventuelles du projet sur les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 et après avis des conseils municipaux intéressés, est réservée aux cas dans lesquels les modifications apportées à l’installation, à son mode d’utilisation ou à son voisinage ne sont pas substantielles ; que si les modifications apportées par l’arrêté complémentaire sont de nature à entraîner des dangers ou inconvénients nouveaux ou à accroître de manière sensible les dangers ou les inconvénients de l’installation, une nouvelle autorisation, instruite selon les modalités de la demande initiale et soumise notamment à enquête publique, doit être sollicitée ; que, dès lors, les arrêtés complémentaires prévus par l’article L. 512-3 du code de l’environnement ne constituent pas des décisions ayant une incidence significative sur l’environnement et ne sont pas au nombre des décisions visées par l’article 7 de la Charte de l’environnement ».

C’est alors qu’est intervenu l’arrêt du 23 janvier 2014 qui fait l’objet des présents développements. En bonne élève, la CAA de Nancy a repris le considérant de principe de la décision du Conseil d’Etat du 8 octobre 2012 :

« Considérant qu’il résulte de ces dispositions qu’il appartient à l’autorité administrative compétente en matière de police des installations classées de prendre à tout moment les mesures nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement ; qu’elle peut à cet effet, même après la mise à l’arrêt de l’installation, modifier les prescriptions de remise en état du site sur le fondement de l’article L. 512-3, afin de prévenir des dangers ou inconvénients qui n’auraient pas été antérieurement pris en compte ; qu’une telle modification dispense nécessairement l’exploitant de respecter celles des prescriptions initiales qui ont ainsi été modifiées ».

C’est ainsi que la cour administrative d’appel de Nancy confirme que le préfet dispose de larges pouvoirs de police en matière de remise en état pour faire face aux dangers pour les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement.

Toutefois, la cour administrative d’appel reprend les termes de la décision du Conseil d’Etat du 17 octobre 2013 statuant sur la QPC pour préciser que le préfet ne peut procéder par arrêté complémentaire que dans la mesure où les modifications apportées à l’installation ne sont pas substantielles :

« que, toutefois, cette faculté réservée à l’autorité administrative de compléter, par des arrêtés complémentaires, l’autorisation initiale d’exploiter une installation classée pour la protection de l’environnement, accordée notamment, en vertu de l’article L. 512-2 du code, après une enquête publique relative aux incidences éventuelles du projet sur les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 et après avis des conseils municipaux intéressés, est réservée aux cas dans lesquels les modifications apportées à l’installation, à son mode d’utilisation ou à son voisinage ne sont pas substantielles ; que si les modifications apportées par l’arrêté complémentaire sont de nature à entraîner des dangers ou inconvénients nouveaux ou à accroître de manière sensible les dangers ou les inconvénients de l’installation, une nouvelle autorisation, instruite selon les modalités de la demande initiale et soumise notamment à enquête publique, doit être sollicitée ».

Ainsi, le préfet peut procéder par arrêté complémentaire dans la mesure où les modifications apportées à l’installation ne sont pas substantielles. Si elles sont substantielles, une nouvelle autorisation doit être sollicitée.

C’est ainsi que la cour administrative de Nancy a statué sur le reste du litige en rejetant l’ensemble des moyens de la commune. La cour a notamment considéré que les modifications apportées à l’exploitation n’étaient pas telles que les conditions de la mise à l’arrêt définitif de l’installation de la SETM ne puissent être légalement mises en œuvre que par le biais d’un nouvel arrêté d’autorisation :

« qu’il résulte de l’instruction que l’arrêté en date du 16 juin 2005 a été pris en raison, d’une part, du risque d’effondrement des berges mis en évidence par des études menées en 2003 et 2004 dans le cadre de la remise en état de la gravière, d’autre part, de la découverte de la présence sur le site de substances polluantes provenant de déchets déposés avant l’entrée en exploitation de la société ETM et l’arrêté initial d’autorisation du 12 mai 1999 ; qu’ainsi, cet arrêté a bien été pris, contrairement à ce que soutient la requérante, pour prévenir des dangers ou inconvénients qui n’avaient pas été antérieurement pris en compte ; que, nonobstant la circonstance qu’il porte sur un remblaiement estimé à 500 000 tonnes, soit une quantité sensiblement plus importante que ce qui était prévu à l’origine, et autorise le remblaiement avec des matériaux extérieurs au site, il ne résulte pas de l’instruction qu’un tel arrêté, pris en vue de répondre à un impératif de sécurisation du site, apporte des modifications d’une nature telle qu’au regard des dangers et inconvénients occasionnés, les conditions de la mise à l’arrêt définitif de l’installation de la SETM ne puissent être légalement mises en œuvre que par le biais d’un nouvel arrêté d’autorisation, après réalisation d’une nouvelle étude d’impact ou d’une enquête publique préalable ; qu’il résulte de ce qui précède que la commune d’Illkirch-Graffenstaden n’est pas fondée à soutenir que l’arrêté contesté est dépourvu de fondement légal, que les conditions posées à l’édiction d’un arrêté complémentaire sur le fondement de l’article L. 512-3 du code de l’environnement ne sont pas réunies ou que le préfet du Bas-Rhin méconnaît ” l’autorité de chose décidée ” en ne mettant pas en demeure la SETM de respecter les termes de l’arrêté initial d’autorisation d’exploiter et notamment ceux de son article 27 ».

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