Transmission par le Conseil d’Etat d’une QPC portant sur la conformité des dispositions de l’article L. 5210-1-2 du CGCT : la rationalisation de l’intercommunalité à nouveau confrontée au principe de libre administration

Catégorie

Droit administratif général

Date

March 2014

Temps de lecture

5 minutes

Par une décision du 19 février 2014 1)Décision CE 19 février 2014 Commune de Thonon-les-Bains, req. n° 373999., le Conseil d’Etat a transmis au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution de l’article L. 5210-1-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), imposant au préfet de procéder au rattachement des communes isolées à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre.

La loi n° 2010-1565 du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales avait notamment pour objectif de rationaliser et d’achever la carte de l’intercommunalité. A cet effet, plusieurs dispositifs ont été institués pour favoriser la couverture intégrale du territoire par des EPCI à fiscalité propre. L’article L. 5210-1-2, issu de l’article 38-1 de la loi, et entré en vigueur le 1er juin 2013, constitue l’un d’entre eux.

Ces dispositions font obligation au préfet, lorsqu’il constate qu’une commune n’appartient à aucun EPCI à fiscalité propre ou bien crée une discontinuité ou une enclave dans le périmètre d’un tel établissement, de rattacher cette commune à un EPCI à fiscalité propre.

Si le préfet a compétence liée pour opérer un rattachement, il doit néanmoins observer certaines formalités. La procédure prévue par l’article L. 5210-1-2 exige en effet la consultation préalable de l’EPCI auquel le rattachement est envisagé pour accord et celle de la commission départementale de la coopération intercommunale pour avis. Toutefois, le désaccord de l’EPCI n’empêche pas le préfet de mettre en œuvre son projet initial, à moins que la commission départementale ne propose un autre projet de rattachement à la majorité des deux tiers de ses membres.

Une circulaire interministérielle du 8 août 2013 2)Circulaire NOR INTB1316859C du ministère de l’Intérieur, du ministère de la réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique et du ministère délégué chargé de la décentralisation en date du 8 août 2013, publiée sur circulaires.legifrance.gouv.fr. a rappelé aux préfets leur obligation d’action d’application immédiate, afin que l’achèvement de la carte intercommunale soit réalisé au 1er janvier 2014.

C’est dans ce contexte que sont intervenus, d’une part, l’arrêté du préfet de Meurthe-et-Mozelle du 24 septembre 2013 prononçant le rattachement des communes de Saint-Ail et de Batilly à la communauté de communes des pays de l’Orne, et, d’autre part, l’arrêté du préfet de la Haute-Savoie du 3 octobre 2013 rattachant la commune de Thonon-les-Bains à la communauté de communes des collines du Léman.

Ces communes ont saisi le juge des référés d’une demande de suspension des arrêtés de rattachement et ont également soulevé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité de l’article L. 5210-1-2 du CGCT aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Par deux ordonnances, respectivement du 27 décembre 2013 3)Ordonnance du TA de Nancy du 27 décembre 2013 Commune de Saint-Ail, req. n° 1302961. et du 13 décembre 2013 4)Ordonnance du TA de Grenoble du 13 décembre 2013, Commune de Thonon-les-Bains, req. n° 1306269., les juges des référés des tribunaux administratifs de Nancy et de Grenoble, ont transmis cette QPC au Conseil d’Etat, en application de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique du Conseil constitutionnel.

Devant le Conseil d’Etat, les communes soutiennent que le dispositif prévu par l’article L. 5210-1-2 du CGCT serait contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales énoncé à l’article 72 de la Constitution, ainsi qu’au droit de propriété, garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Estimant que les dispositions contestées étaient bien applicables au litige dont étaient saisis les juges des référés, qu’elles n’avaient pas déjà été déclarées conformes à la Constitution 5)Dans la décision n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010 relative à la loi de réforme des collectivités territoriales, le Conseil constitutionnel, saisi sur le fondement de l’article 61 § 2 de la Constitution, n’avait eu à se prononcer que sur la conformité de l’institution des conseillers territoriaux, de la création des métropoles et de la suppression de la clause générale de compétence., et que le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, en particulier au principe de libre administration, présentait un caractère sérieux, le Conseil d’Etat a décidé de renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel.

Les Sages de la rue Montpensier auront donc à se prononcer une nouvelle fois sur l’étendue et les limites du principe énoncé par l’article 72 de la Constitution au regard des mécanismes de rationalisation de l’intercommunalité.

En effet, dans trois décisions récentes concernant les modalités de retrait, de fusion ou de modification du périmètre d’un EPCI 6)DécisionsCC 26 avril 2013 Commune de Puyravault, n° 2013-303 QPC – CC 26 avril 2013 Commune de Maing, n° 2013-304 QPC – CC 26 avril 2013 Commune de Couvrot, n° 2013-315 QPC : commentées par Montecler (M.-C.), AJDA du 2 mai 2013 ; Fialaire (J.) « L’intercommunalité face au principe de libre administration », AJDA 2013 p. 1386 ; Le Chatelier (G.) « Le Conseil constitutionnel valide les pouvoirs exorbitants du préfet en matière d’intercommunalité », AJCT 2013 p. 344 ; Lutton (P.) « Liberté communale et coopération intercommunale, trois décisions du Conseil constitutionnel du 26 avril 2013 », Constitutions 2013 p. 397., le Conseil constitutionnel a validé des atteintes portées à la libre administration au motif qu’elles étaient justifiées par un but d’intérêt général.

Reprenant le considérant de principe élaboré au fil de sa jurisprudence 7)Notamment depuis les décisions CC 8 juillet 2011, n° 2011-146 QPC et CC 17 janvier 2013, n° 2012-660 DC, Loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social. :
« si le législateur peut, sur le fondement des articles 34 et 72 de la Constitution, assujettir les collectivités territoriales ou leurs groupements à des obligations, ou les soumettre à des interdictions, c’est à la condition, notamment, que les unes et les autres répondent à des fins d’intérêt général ; que le principe de la libre administration des collectivités territoriales, non plus que le principe selon lequel aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre ne font obstacle, en eux-mêmes, à ce que le législateur organise les conditions dans lesquelles les communes peuvent ou doivent exercer en commun certaines de leurs compétences dans le cadre de groupements ».

Il en a déduit que :
« le législateur a pu, dans les buts d’intérêt général ‘’ d’achèvement et de rationalisation de la carte de l’intercommunalité’’, apporter ces limitations à la libre administration des communes ».

Etaient en cause, notamment, les mécanismes de fusion et de modification du périmètre d’un EPCI prévus par les dispositions de l’article 60 § II et III de la loi du 16 décembre 2010, permettant au préfet de contraindre une commune à rejoindre un EPCI, en dépit de son souhait d’appartenir à une autre intercommunalité.

Si le Conseil constitutionnel a reconnu que de tels dispositifs « affectent la libre administration des communes » concernées, il ne les a pas pour autant déclarés contraires au principe énoncé à l’article 72. Pour estimer que ces limitations étaient proportionnées au but d’intérêt général poursuivi, il a tenu compte des garanties procédurales instituées par les dispositions contestées (consultation de la commission départementale de la coopération intercommunale, audition du maire des communes intéressées à sa demande). Il s’est également fondé sur le caractère temporaire de ces dispositifs – applicables jusqu’au 1er juin 2013 – pour conclure que « dans ces conditions, le grief tiré de la méconnaissance de la libre administration des collectivités territoriales doit être écarté ».

Cela dit, rien ne préjuge du sens de la décision du Conseil constitutionnel sur les dispositions qui lui sont soumises, notamment au regard du fait que le mécanisme institué par l’article L. 5210-1-2 ne constitue pas un dispositif temporaire.

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1. Décision CE 19 février 2014 Commune de Thonon-les-Bains, req. n° 373999.
2. Circulaire NOR INTB1316859C du ministère de l’Intérieur, du ministère de la réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique et du ministère délégué chargé de la décentralisation en date du 8 août 2013, publiée sur circulaires.legifrance.gouv.fr.
3. Ordonnance du TA de Nancy du 27 décembre 2013 Commune de Saint-Ail, req. n° 1302961.
4. Ordonnance du TA de Grenoble du 13 décembre 2013, Commune de Thonon-les-Bains, req. n° 1306269.
5. Dans la décision n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010 relative à la loi de réforme des collectivités territoriales, le Conseil constitutionnel, saisi sur le fondement de l’article 61 § 2 de la Constitution, n’avait eu à se prononcer que sur la conformité de l’institution des conseillers territoriaux, de la création des métropoles et de la suppression de la clause générale de compétence.
6. DécisionsCC 26 avril 2013 Commune de Puyravault, n° 2013-303 QPC – CC 26 avril 2013 Commune de Maing, n° 2013-304 QPC – CC 26 avril 2013 Commune de Couvrot, n° 2013-315 QPC : commentées par Montecler (M.-C.), AJDA du 2 mai 2013 ; Fialaire (J.) « L’intercommunalité face au principe de libre administration », AJDA 2013 p. 1386 ; Le Chatelier (G.) « Le Conseil constitutionnel valide les pouvoirs exorbitants du préfet en matière d’intercommunalité », AJCT 2013 p. 344 ; Lutton (P.) « Liberté communale et coopération intercommunale, trois décisions du Conseil constitutionnel du 26 avril 2013 », Constitutions 2013 p. 397.
7. Notamment depuis les décisions CC 8 juillet 2011, n° 2011-146 QPC et CC 17 janvier 2013, n° 2012-660 DC, Loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social.

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