Entre accès à la circulation publique, voie privée d’un lotissement et servitude de passage : l’appréciation du respect des conditions de desserte d’un terrain et d’accessibilité par les services d’incendie et de secours

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

March 2014

Temps de lecture

5 minutes

Par une décision Commune du Castellet n° 356571 du 26 février 2014, le Conseil d’Etat est venu rappeler tout en la précisant, la nature du contrôle opéré par l’autorité compétente sur les conditions de desserte et d’accessibilité du terrain d’assiette par les services d’incendie et de secours, dans le cadre de l’instruction des demandes de permis de construire.

De manière plus accessoire, la décision précitée reprend également sa jurisprudence classique en matière de retrait de permis de construire, y compris tacite, relative au respect de l’obligation de motivation et de procédure contradictoire préalable.

Dans la présente affaire, Mme A., propriétaire d’un terrain sur le territoire de la commune du Castellet a sollicité la délivrance d’un permis de construire afin d’y édifier une maison d’habitation.

Ledit terrain est desservi par deux voies, « l’une , ouverte à la circulation mais impraticable pour les engins d’incendie et de secours, l’autre praticable par ces mêmes engins, mais traversant un lotissement dont les propriétaires n’ont pas consenti à Mme A. d’autorisation de passage » 1) Pour reprendre l’arrêt de la cour administrative d’appel, la notice de présentation du projet faisait état d’une « double desserte du terrain d’assiette, la première, la plus courte mais comprenant des passages étroits impraticables par les engins de lutte contre l’incendie, serait empruntée par les véhicules légers, tandis que, la seconde, légèrement plus longue et traversant des lotissements, devrait être empruntée par les engins de lutte contre l’incendie en raison de l’étroitesse de l’autre voie de circulation ».
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Faute pour la commune d’avoir statué, par une décision expresse, sur la demande dans le délai d’instruction imparti, Mme A est devenue titulaire d’un permis de construire tacite.

Toutefois, par une décision ultérieure, le maire de la commune du Castellet a – tout en refusant, tardivement, de délivrer le permis de construire – procédé au retrait de celui-ci au motif que les conditions de desserte du terrain étaient insuffisantes.

Par un jugement en date du 6 novembre 2009, le tribunal administratif de Toulon a annulé l’arrêté litigieux par lequel le maire a retiré le permis de construire tacite.

La cour administrative d’appel de Marseille a ensuite confirmé le jugement entrepris par un arrêt du 8 décembre 2011.

Par une décision en date du 26 février 2014, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi de la commune en considérant notamment :

« […] qu’en relevant, pour juger que le maire s’était fondé à tort sur les conditions de desserte insuffisantes pour retirer le permis de construire, que si Mme A…ne justifiait pas d’une autorisation de passage des véhicules sur les voies du lotissement Lis Oulivie, la commune ne démontrait pas une incapacité matérielle pour les pompiers d’accéder en cas de sinistre au terrain d’assiette en litige en empruntant le cas échéant des voies privées qui ne seraient pas ouvertes à la circulation publique, la cour n’a entaché son arrêt d’aucune erreur de droit […]».

Pour juger ainsi, le Conseil d’Etat rappelle une jurisprudence constante selon laquelle il appartient à la personne publique chargée d’instruire le dossier de demande de permis de construire, de s’assurer notamment du respect des conditions d’accès à la voie publique au regard des règles d’urbanisme 2) Voir en ce sens, CE 9 mai 2012 M. et Mme Alain C., req. n° 335932, mentionné aux tables Rec. CE sur ce point ou encore CE 29 juin 1990 M. X., req. n° 83542 ; voir également CAA Marseille 12 décembre 2013 M. E. D. et autres, req. n° 11MA04657. et en matière d’incendie et de secours.

En effet, l’autorité compétente doit s’assurer « […] de l’existence d’une desserte suffisante de la parcelle par une voie ouverte à la circulation publique et, le cas échéant, de l’existence d’un titre créant une servitude de passage donnant accès à cette voie […] » 3) Voir à propos de l’existence d’une servitude de passage, CE, 17 décembre 2008 M. Jacques Gilbert A. et Mme Simone A., req. n° 314927 ; CAA Lyon 9 juillet 2013, M. C. E., req. n° 12LY03219..

Par ailleurs, si le terrain bénéficie d’une desserte satisfaisante, encore faut-il que les caractéristiques physiques de cette dernière assure un accès effectif au service d’incendie et de secours 4) Voir en ce sens, à propos d’un chemin privé dont la largeur ne permettait pas le passage des véhicules contre l’incendie, CE 11 juin 1982 Berjon, req. n° 16567, Rec. CE p. 221. Voir à l’inverse par exemple, à propos du caractère praticable d’une servitude de passage pour ces véhicules, CAA Nancy 1er août 2013 Mme A. D., req. n° 12NC02011 ; ou encore, à propos d’un chemin dont la largeur permettait l’accès des services d’incendie et de secours, la circonstance que celui-ci ne soit pas goudronné ne constituant pas un obstacle à la circulation compte tenu du nombre de véhicules appelés à l’emprunter : CAA Bordeaux 29 juin 2009 M. et Mme Eric X. req. n° 08BX02151..

Au cas présent, le terrain d’assiette est desservi par une voie plus courte et directe ouverte à la circulation.

Cependant, celle-ci est, compte tenu de sa configuration, impraticable pour les engins d’incendie et de secours de sorte que le terrain d’assiette ne satisferait pas a priori aux exigences de sécurité.

Toutefois, le Conseil d’Etat relève, à l’instar des juridictions du fond, qu’une deuxième voie dessert le terrain et permet l’accès des services d’incendie et de secours.

En effet, celui-ci considère que la circonstance selon laquelle ladite voie traverserait un lotissement dont les propriétaires n’ont pas consenti un droit de passage est indifférente, en application des articles L. 1424-2 à 4 du code général des collectivités territoriales.

Ainsi, en vertu des dispositions précitées, « les services d’incendie et de secours sont, dans le cadre de leurs missions protection et de secours, en droit d’intervenir sur tout le territoire de la commune, sans que puisse leur être opposé le caractère privé des voies qu’ils doivent emprunter ».

En d’autres termes, le Conseil d’Etat affirme que l’autorité compétente, et le cas échéant le juge administratif, doit « seulement […] s’assurer que les caractéristiques physiques d’une voie d’accès permettent l’intervention [des engins des services d’incendie et de secours] », étant précisé que la circonstance selon laquelle ladite voie ne serait pas ouverte à la circulation publique ou grevée d’une servitude de passage est sans incidence.

Dans ces conditions, en l’absence de démonstration par la commune, de « l’incapacité matérielle pour les pompiers d’accéder en cas de sinistre au terrain d’assiette » par une voie privée traversant un lotissement et non ouverte à la circulation, cette dernière a entaché son arrêté d’illégalité.

Enfin, le Conseil d’Etat confirme l’arrêt de la cour administrative d’appel en rappelant sa jurisprudence constante 5) Voir en ce sens par exemple, CE 23 avril 2003 Société Bouygues immobilier, req. n° 249712, mentionné aux tables Rec. CE sur ce point ; CE 19 février 2007Société Avignon construction immobilier, req. n° 296283. sur le nécessaire respect de l’obligation de faire précéder, en principe, la décision de retrait du permis de construire d’une procédure contradictoire préalable.

La décision portant retrait d’un permis de construire est effet au nombre de celles qui doivent être motivées en application de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public.

Par suite, le bénéficiaire du permis de construire dont le retrait est envisagé doit être mis en mesure de présenter ses observations écrites (ou à sa demande, orales) conformément à la procédure contradictoire prévue à l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs rapports avec les administrations.

En l’espèce, la décision portant retrait du permis de construire tacite n’a été précédée d’aucune procédure contradictoire 6) L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille précise que la commune a reconnu dans ses écritures avoir engagé une procédure contradictoire postérieurement à l’arrêté litigieux, alors qu’aucune situation d’urgence ou toute autre circonstance aurait justifié le non-respect de l’obligation de procédure préalable..

Et contrairement à ce que tentait de soulever la commune, cette dernière ne se trouvait pas en situation de compétence liée et devait apprécier le caractère suffisant ou non des conditions de desserte du terrain.

Par conséquent, le Conseil d’Etat juge, sans surprise, que « la cour n’a commis aucune erreur de droit en regardant comme opérant le moyen tiré de ce que la décision de retrait aurait été prise en méconnaissance des dispositions […] de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 ».

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1. Pour reprendre l’arrêt de la cour administrative d’appel, la notice de présentation du projet faisait état d’une « double desserte du terrain d’assiette, la première, la plus courte mais comprenant des passages étroits impraticables par les engins de lutte contre l’incendie, serait empruntée par les véhicules légers, tandis que, la seconde, légèrement plus longue et traversant des lotissements, devrait être empruntée par les engins de lutte contre l’incendie en raison de l’étroitesse de l’autre voie de circulation ».
2. Voir en ce sens, CE 9 mai 2012 M. et Mme Alain C., req. n° 335932, mentionné aux tables Rec. CE sur ce point ou encore CE 29 juin 1990 M. X., req. n° 83542 ; voir également CAA Marseille 12 décembre 2013 M. E. D. et autres, req. n° 11MA04657.
3. Voir à propos de l’existence d’une servitude de passage, CE, 17 décembre 2008 M. Jacques Gilbert A. et Mme Simone A., req. n° 314927 ; CAA Lyon 9 juillet 2013, M. C. E., req. n° 12LY03219.
4. Voir en ce sens, à propos d’un chemin privé dont la largeur ne permettait pas le passage des véhicules contre l’incendie, CE 11 juin 1982 Berjon, req. n° 16567, Rec. CE p. 221. Voir à l’inverse par exemple, à propos du caractère praticable d’une servitude de passage pour ces véhicules, CAA Nancy 1er août 2013 Mme A. D., req. n° 12NC02011 ; ou encore, à propos d’un chemin dont la largeur permettait l’accès des services d’incendie et de secours, la circonstance que celui-ci ne soit pas goudronné ne constituant pas un obstacle à la circulation compte tenu du nombre de véhicules appelés à l’emprunter : CAA Bordeaux 29 juin 2009 M. et Mme Eric X. req. n° 08BX02151.
5. Voir en ce sens par exemple, CE 23 avril 2003 Société Bouygues immobilier, req. n° 249712, mentionné aux tables Rec. CE sur ce point ; CE 19 février 2007Société Avignon construction immobilier, req. n° 296283.
6. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille précise que la commune a reconnu dans ses écritures avoir engagé une procédure contradictoire postérieurement à l’arrêté litigieux, alors qu’aucune situation d’urgence ou toute autre circonstance aurait justifié le non-respect de l’obligation de procédure préalable.

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