La procédure de rattachement des communes isolées à un EPCI à fiscalité propre déclarée contraire à la constitution : Décision n° 2014-391 QPC du 25 avril 2014 Commune de Thonon-les-Bains

Catégorie

Droit administratif général

Date

May 2014

Temps de lecture

5 minutes

Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par le Conseil d’Etat le 19 février 2014 1) Voir notre précédent article : « Transmission par le Conseil d’Etat d’une QPC portant sur la conformité des dispositions de l’article L. 5210-1-2 du CGCT : la rationalisation de l’intercommunalité à nouveau confrontée au principe de libre administration »., le Conseil constitutionnel a, par la décision commentée 5) Décision du Conseil constitutionnel n° 2014-391 du 25 avril 2014 Commune de Thonon-les-Bains et autre., déclaré contraire à la Constitution l’article L. 5210-1-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), imposant au préfet de rattacher les communes isolées à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre.

Rappelons brièvement le litige ayant conduit à cette décision. En application des dispositions de l’article L. 5210-1-2 du CGCT 2) Art. L. 5210-1-2 du CGCT : « Lorsque le représentant de l’Etat dans le département constate qu’une commune n’appartient à aucun établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ou crée, au sein du périmètre d’un tel établissement existant, une enclave ou une discontinuité territoriale, il rattache par arrêté cette commune à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, après accord de l’organe délibérant de ce dernier et avis de la commission départementale de la coopération intercommunale. A compter de la notification du projet d’arrêté à l’organe délibérant de l’établissement public et à la commission, ceux-ci disposent d’un délai de trois mois pour se prononcer. A défaut de délibération dans ce délai, celle-ci est réputée favorable. Lorsque le projet d’arrêté n’a pas recueilli l’accord de l’organe délibérant de l’établissement public, le représentant de l’Etat dans le département met en œuvre le rattachement de la commune conformément à ce projet, sauf si la commission départementale de la coopération intercommunale s’est prononcée, à la majorité des deux tiers de ses membres, en faveur d’un autre projet de rattachement à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre limitrophe de la commune concernée. Dans ce dernier cas, le représentant de l’Etat dans le département met en œuvre le projet de rattachement proposé par la commission départementale de la coopération intercommunale.
Si la commune qu’il est prévu de rattacher à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre est située dans une zone de montagne délimitée en application de l’article 3 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 précitée, l’arrêté du représentant de l’Etat dans le département intervient après consultation du comité de massif prévu à l’article 7 de la même loi. L’avis du comité de massif est réputé favorable s’il ne s’est pas prononcé dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine par le représentant de l’Etat dans le département.
L’arrêté du représentant de l’Etat dans le département emporte, le cas échéant, retrait de la commune rattachée d’un autre établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elle est membre.
II. – Le I n’est pas applicable à la situation des communes bénéficiant d’une dérogation aux principes de continuité territoriale ou de couverture intégrale du territoire par des établissements publics de coopération intercommunale en application des V et VI de l’article L. 5210-1-1
».
– et à la suite de la circulaire interministérielle du 8 août 2013 4) Circulaire NOR INTB1316859C du ministère de l’Intérieur, du ministère de la réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique et du ministère délégué chargé de la décentralisation en date du 8 août 2013, publiée sur circulaires.legifrance.gouv.fr. ayant rappelé aux préfets leur situation de compétence liée et leur obligation d’agir d’application immédiate – les préfets de Meurthe-et-Moselle et de Haute-Savoie, après avoir constaté que les communes de Saint-Ail et Batilly d’une part, et de Thonon-les-Bains d’autre part, ne relevaient du périmètre d’aucun EPCI à fiscalité propre, ont prononcé leur rattachement respectivement à la communauté de communes des pays de l’Orne et à celle des collines du Léman.

Contestant cette mesure, lesdites communes ont saisi le juge des référés d’une demande de suspension des arrêtés de rattachement et ont soulevé une QPC relative à la conformité de l’article L. 5210-1-2 du CGCT aux droits et libertés garantis par la Constitution.

C’est cette QPC qui fait l’objet de la décision du 25 avril 2014 commentée ici.

Les communes soutenaient plus précisément que les dispositions contestées méconnaissaient le principe de libre administration des collectivités territoriales énoncé à l’article 72 de la Constitution ainsi que le principe d’égalité.

Seul le premier grief a été examiné par le Conseil constitutionnel : il a été considéré comme suffisant pour emporter la déclaration d’inconstitutionnalité.

Cette décision a été rendue presque un an jour pour jour après les trois décisions QPC du 26 avril 2013 3) Décisions CC 26 avril 2013 Commune de Puyravault, n° 2013-303 QPC – CC 26 avril 2013 Commune de Maing, n° 2013-304 QPC – CC 26 avril 2013 Commune de Couvrot, n° 2013-315 QPC : commentées par Montecler (M.-C.), AJDA du 2 mai 2013 ; Fialaire (J.) « L’intercommunalité face au principe de libre administration », AJDA 2013 p. 1386 ; Le Chatelier (G.) « Le Conseil constitutionnel valide les pouvoirs exorbitants du préfet en matière d’intercommunalité », AJCT 2013 p. 344 ; Lutton (P.) « Liberté communale et coopération intercommunale, trois décisions du Conseil constitutionnel du 26 avril 2013 », Constitutions 2013 p. 397. qui avaient validé des atteintes à la libre administration concernant des dispositifs de retrait, de fusion ou de modification du périmètre d’un EPCI, issus, à l’instar de l’article L. 5210-1-2 du CGCT, de la loi du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales.

Outre les hasards du calendrier, la comparaison avec ces décisions appelle quelques remarques.

En effet, dans les décisions d’avril 2013 et en particulier dans la décision n° 2013-315 QPC Commune de Couvrot relative à la procédure temporaire appliquée du 1er janvier 2012 au 1er juin 2013 qui permettait au préfet de rattacher une commune à un EPCI à fiscalité propre malgré son souhait d’appartenir à un autre périmètre, le Conseil constitutionnel avait estimé que les mécanismes institués pour réaliser la fusion de périmètres d’EPCI, sur la base du schéma départemental de coopération intercommunale (SDCI) prévu par l’article L. 5210-1-1 du CGCT, ne méconnaissaient pas le principe énoncé à l’article 72 de la Constitution.

Il s’était fondé sur les motifs suivants :

« la procédure prévue au huitième alinéa du paragraphe III de l’article 60, qui permet au préfet de passer outre à l’opposition des communes, n’est applicable que jusqu’au 1er juin 2013 ; que le législateur a pu, dans les buts d’intérêt général de renforcement et de ‘’ rationalisation de la carte de l’intercommunalité ‘’, apporter ces limitations à la libre administration des communes ; que tout maire qui en fait la demande est entendu par la commission départementale de la coopération intercommunale ; que, dans ces conditions, le grief tiré de la méconnaissance de la libre administration des collectivités territoriales doit être écarté ».

Or, dans la décision commentée ici, s’il a été rappelé qu’il résulte de la combinaison des articles 34 et 72 de la Constitution que le législateur peut limiter la libre administration des collectivités territoriales, notamment en organisant « les conditions dans lesquelles les communes peuvent ou doivent exercer en commun certaines de leurs compétences dans le cadre de groupements », c’est à la double condition que ces mesures répondent à des fins d’intérêt général et qu’elles soient assorties de garanties suffisantes.

En l’espèce, le Conseil constitutionnel a, une nouvelle fois, reconnu l’intérêt général qui s’attache à « l’achèvement et la rationalisation de la carte de l’intercommunalité ». En revanche, il a estimé que la procédure instituée par l’article L. 5210-1-2 du CGCT portait une atteinte disproportionnée à la libre administration des communes, au motif que :

« les dispositions contestées ne prévoient aucune prise en compte du schéma départemental de coopération intercommunale préalablement établi pour décider du rattachement d’une commune à un établissement public de coopération intercommunale ; que si la décision de rattachement est soumise à l’avis de l’organe délibérant de l’établissement public auquel le rattachement est envisagé ainsi qu’à celui de la commission départementale de coopération intercommunale, qui est composée d’élus locaux représentant notamment les communes et les établissements publics de coopération intercommunale, seul un avis négatif de l’organe délibérant de l’établissement public impose de suivre la proposition émise à la majorité qualifiée par la commission départementale de coopération intercommunale ; que les dispositions contestées ne prévoient aucune consultation des conseils municipaux des communes intéressées par ce rattachement et, en particulier, du conseil municipal de la commune dont le rattachement est envisagé ».

En d’autres termes, il semble que dans le dispositif contesté, la consultation de la commission départementale de coopération intercommunale et des élus représentant les communes intéressées était insuffisante pour garantir le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales.

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1. Voir notre précédent article : « Transmission par le Conseil d’Etat d’une QPC portant sur la conformité des dispositions de l’article L. 5210-1-2 du CGCT : la rationalisation de l’intercommunalité à nouveau confrontée au principe de libre administration ».
2. Art. L. 5210-1-2 du CGCT : « Lorsque le représentant de l’Etat dans le département constate qu’une commune n’appartient à aucun établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ou crée, au sein du périmètre d’un tel établissement existant, une enclave ou une discontinuité territoriale, il rattache par arrêté cette commune à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, après accord de l’organe délibérant de ce dernier et avis de la commission départementale de la coopération intercommunale. A compter de la notification du projet d’arrêté à l’organe délibérant de l’établissement public et à la commission, ceux-ci disposent d’un délai de trois mois pour se prononcer. A défaut de délibération dans ce délai, celle-ci est réputée favorable. Lorsque le projet d’arrêté n’a pas recueilli l’accord de l’organe délibérant de l’établissement public, le représentant de l’Etat dans le département met en œuvre le rattachement de la commune conformément à ce projet, sauf si la commission départementale de la coopération intercommunale s’est prononcée, à la majorité des deux tiers de ses membres, en faveur d’un autre projet de rattachement à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre limitrophe de la commune concernée. Dans ce dernier cas, le représentant de l’Etat dans le département met en œuvre le projet de rattachement proposé par la commission départementale de la coopération intercommunale.
Si la commune qu’il est prévu de rattacher à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre est située dans une zone de montagne délimitée en application de l’article 3 de la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 précitée, l’arrêté du représentant de l’Etat dans le département intervient après consultation du comité de massif prévu à l’article 7 de la même loi. L’avis du comité de massif est réputé favorable s’il ne s’est pas prononcé dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine par le représentant de l’Etat dans le département.
L’arrêté du représentant de l’Etat dans le département emporte, le cas échéant, retrait de la commune rattachée d’un autre établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont elle est membre.
II. – Le I n’est pas applicable à la situation des communes bénéficiant d’une dérogation aux principes de continuité territoriale ou de couverture intégrale du territoire par des établissements publics de coopération intercommunale en application des V et VI de l’article L. 5210-1-1
».
3. Décisions CC 26 avril 2013 Commune de Puyravault, n° 2013-303 QPC – CC 26 avril 2013 Commune de Maing, n° 2013-304 QPC – CC 26 avril 2013 Commune de Couvrot, n° 2013-315 QPC : commentées par Montecler (M.-C.), AJDA du 2 mai 2013 ; Fialaire (J.) « L’intercommunalité face au principe de libre administration », AJDA 2013 p. 1386 ; Le Chatelier (G.) « Le Conseil constitutionnel valide les pouvoirs exorbitants du préfet en matière d’intercommunalité », AJCT 2013 p. 344 ; Lutton (P.) « Liberté communale et coopération intercommunale, trois décisions du Conseil constitutionnel du 26 avril 2013 », Constitutions 2013 p. 397.
4. Circulaire NOR INTB1316859C du ministère de l’Intérieur, du ministère de la réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique et du ministère délégué chargé de la décentralisation en date du 8 août 2013, publiée sur circulaires.legifrance.gouv.fr.
5. Décision du Conseil constitutionnel n° 2014-391 du 25 avril 2014 Commune de Thonon-les-Bains et autre.

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