Autorisation ICPE : un revirement et une précision

Catégorie

Environnement

Date

September 2014

Temps de lecture

6 minutes

Par un arrêt Syndicat mixte pour l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères (SIETOM) de la région de Tournan-en-Brie rendu le 22 septembre 2014 (req. n° 367889), le Conseil d’Etat revient sur sa jurisprudence antérieure s’agissant de l’interaction entre les procédures de demande d’autorisation d’exploiter une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) et de demande de permis de construire. Il examine également la question des mesures envisagées pour la remise en état du site.

1 – La justification dans le dossier ICPE du dépôt de la demande de permis de construire

Procédant à un revirement de jurisprudence, le Conseil d’Etat opère un double assouplissement quant à l’exigence d’une justification, dans le dossier de demande d’autorisation d’exploiter une installation classée, du dépôt d’une demande d’un permis de construire l’installation en cause.

Depuis 2007, l’article R. 512-4 du code de l’environnement dispose que : « La demande d’autorisation [ICPE] est complétée dans les conditions suivantes : 1° Lorsque l’implantation d’une installation nécessite l’obtention d’un permis de construire, la demande d’autorisation doit être accompagnée ou complétée dans les dix jours suivant sa présentation par la justification du dépôt de la demande de permis de construire. L’octroi du permis de construire ne vaut pas autorisation au sens des dispositions du présent titre […] ».

Ces dispositions sont issues de l’article 2 du décret du 21 septembre 1977 pris pour l’application de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux ICPE, sous l’empire duquel le Conseil d’Etat avait précédemment jugé, certes, que le délai de dix jours n’était pas imparti à peine de forclusion 1)CE 23 mai 2001 Association pour la défense de l’environnement du pays Aredien et du Limousin, req. n° 201938., mais néanmoins, d’une part, que cette exigence de justification était méconnue si, à la date à laquelle l’administration se prononce, la demande de permis n’a pas abouti (ayant été classée sans suite en raison de son caractère incomplet) et, d’autre part, que le dépôt d’une nouvelle demande de permis postérieurement à la décision prise sur la demande d’autorisation ICPE était sans incidence et ne pouvait être pris en compte par le juge saisi d’un recours contre ladite autorisation 2)CE 31 mars 2008 Société Normande de Nettoiement, req. n° 285690 : Rec. CE p. 22..

Dans son arrêt du 22 septembre 2014, le Conseil d’Etat revient sur l’un et l’autre point.

Il est d’abord jugé : « qu’il appartient au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l’environnement d’apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d’autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l’autorisation et celui des règles de fond régissant l’installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce ; que les obligations relatives à la composition du dossier de demande d’autorisation d’une installation classée relèvent des règles de procédure ; que les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant ce dossier ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d’entacher d’irrégularité l’autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ; qu’en outre, eu égard à son office, le juge du plein contentieux des installations classées peut prendre en compte la circonstance, appréciée à la date à laquelle il statue, que de telles irrégularités ont été régularisées, sous réserve qu’elles n’aient pas eu pour effet de nuire à l’information complète de la population ».

Ainsi, quand bien même les obligations relatives à la composition du dossier de demande d’autorisation ICPE relèvent des règles de procédure et doivent donc voir leur respect par l’administration apprécié par le juge à la date de délivrance de l’autorisation, il est admis que le juge puisse tenir compte, à la date à laquelle il statue, et donc postérieurement à la date de délivrance de l’autorisation, d’une régularisation d’une éventuelle omission dans le dossier de demande d’autorisation. La seule limite est que l’absence de la pièce litigieuse n’ait pas nui à l’époque à l’information complète du public, ce qui renvoie à une logique déjà mise en œuvre dans l’hypothèse d’une incomplétude de l’étude d’impact 3)CE 14 octobre 2011 Société Ocreal, req. n° 323257 : jugeant « que les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative »..

Il est ensuite jugé « que, conformément au principe d’indépendance des législations, la circonstance que le permis de construire sollicité a finalement été refusé, retiré ou annulé est par elle-même sans incidence sur la régularité du dossier de demande d’autorisation de l’installation classée comme sur la légalité de cette autorisation ». Cette solution apparaît logique dès lors que la lettre de l’article R. 512-4 du code de l’environnement n’exige dans le dossier que « la justification du dépôt de la demande de permis de construire » et non le permis lui-même.

En l’espèce, et en conséquence de ce qui précède, le Conseil d’Etat censure une double erreur de droit commise par la Cour administrative d’appel, d’une part, pour avoir pris en compte le fait que le permis de construire sollicité par la demande versée au dossier avait été refusé et, d’autre part, pour avoir au contraire refusé de prendre en considération le fait qu’un autre permis avait par la suite été sollicité et obtenu 4)Pour l’anecdote, on relèvera que le même syndicat intercommunal a déjà été à l’origine quelques années plus tôt d’une autre solution jurisprudentielle (et d’un autre assouplissement) au regard de la condition d’exigence d’une absence d’étude d’impact dans le cadre de la suspension ordonnée par le juge des référés sur le fondement de l’article L. 554-11 du code de justice administrative (CE 13 juillet 2007 Syndicat intercommunal pour l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères de la région de Tournan-en-Brie, req. n° 294603 : JCP A, n° 2305, note Billet)..

Si cette solution apparaît constituer un réel assouplissement, conforme au surplus à la lettre du texte, on peut toutefois s’interroger sur l’opportunité de maintenir à l’article R. 512-4 du code de l’environnement l’exigence de justification du dépôt de la demande de permis de construire, exigence dont la portée paraît se réduire à rappeler au pétitionnaire qu’il doit aussi penser à demander un permis.

2 – La question de l’évaluation financière des mesures de remise en état

Le Conseil d’Etat précise en outre le contenu de l’étude d’impact du dossier de demande d’autorisation ICPE s’agissant de la présence d’une évaluation financière des mesures envisagées pour la remise en état du site.

Il juge en effet d’abord : « qu’aux termes du 5° de l’article R. 512-8 du code de l’environnement, dans sa rédaction applicable à la date de l’arrêté attaqué : « I. – Le contenu de l’étude d’impact mentionnée à l’article R. 512-6 doit être en relation avec l’importance de l’installation projetée et avec ses incidences prévisibles sur l’environnement, au regard des intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1. / II. – Elle présente successivement : / (…) 5° Les conditions de remise en état du site après exploitation (…) » ; que ni les dispositions de l’article R. 512-8 du code de l’environnement ni aucune autre disposition législative ou réglementaire n’imposent que l’étude d’impact fasse apparaître une évaluation financière des mesures envisagées pour la remise en état du site ».

Au cas d’espèce, il relève en outre « que l’autorisation litigieuse porte sur l’extension d’une usine de compostage de déchets ménagers résiduels, dont il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu’elle présente des risques particuliers ; que l’étude d’impact précise notamment que l’usine n’a pas vocation à accueillir ou stocker des déchets d’amiante ou d’autres déchets dangereux ; que cette étude indique que le SIETOM de la région de Tournan-en-Brie prendra en charge le démantèlement du site et sa remise en état en veillant à ce que les déchets ou produits subsistants soient valorisés ou traités conformément à la réglementation en vigueur, précise l’origine et la nature des déchets à traiter en fin d’exploitation, y compris ceux issus de la démolition de l’installation, en indiquant qu’ils seront valorisés ou acheminés vers des centres de traitement ou d’enfouissement et comporte l’engagement de procéder aux replantations nécessaires suivant la destination des terrains dans l’avenir afin que le site puisse être exploité pour tout autre type d’activité ». Ceci pour conclure, à l’inverse de la Cour administrative d’appel, que, eu égard à la nature de l’activité en cause, les mentions de l’étude d’impact répondaient aux exigences de l’article R. 512-8 du code de l’environnement.

Au regard des textes en vigueur à l’époque de l’autorisation litigieuse (9 juin 2008), l’exigence de décrire dans l’étude d’impact les conditions de remise en état du site n’implique pas de faire apparaître une évaluation financière des mesures envisagées pour la remise en état du site et une telle solution, au regard de la rédaction actuelle de l’article R. 512-4 du code de l’environnement, pourrait être encore d’actualité. Cela étant, l’obligation que l’étude d’impact ait un contenu « en relation avec l’importance de l’installation projetée et avec ses incidences prévisibles sur l’environnement » pourrait devoir conduire à vérifier, au cas par cas, si une telle évaluation n’est pas cependant nécessaire. Et surtout, l’article R. 122-5 du code de l’environnement, auquel il est renvoyé par l’article R. 512-4, qui définit le contenu « de droit commun » de l’étude d’impact, exige la présentation des mesures prévues pour « compenser, lorsque cela est possible, les effets négatifs notables du projet sur l’environnement ou la santé humaine qui n’ont pu être ni évités ni suffisamment réduits […] accompagnée de l’estimation des dépenses correspondantes » (R. 122-5-II-7°), de telles mesures pouvant inclure celles prévues aux fins de remise en état du site.

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References   [ + ]

1. CE 23 mai 2001 Association pour la défense de l’environnement du pays Aredien et du Limousin, req. n° 201938.
2. CE 31 mars 2008 Société Normande de Nettoiement, req. n° 285690 : Rec. CE p. 22.
3. CE 14 octobre 2011 Société Ocreal, req. n° 323257 : jugeant « que les inexactitudes, omissions ou insuffisances d’une étude d’impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d’entraîner l’illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l’information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l’autorité administrative ».
4. Pour l’anecdote, on relèvera que le même syndicat intercommunal a déjà été à l’origine quelques années plus tôt d’une autre solution jurisprudentielle (et d’un autre assouplissement) au regard de la condition d’exigence d’une absence d’étude d’impact dans le cadre de la suspension ordonnée par le juge des référés sur le fondement de l’article L. 554-11 du code de justice administrative (CE 13 juillet 2007 Syndicat intercommunal pour l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères de la région de Tournan-en-Brie, req. n° 294603 : JCP A, n° 2305, note Billet).

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