Procédure de passation d’un marché par concours : offres irrégulières et perte de chance sérieuse d’obtenir le marché

Catégorie

Contrats publics

Date

October 2014

Temps de lecture

4 minutes

Par un arrêt SIVOM de Saint-François-Longchamp-Montgellafrey (8 octobre 2014, req. n° 370990 et 374632), le Conseil d’Etat vient de juger que, dans le cadre de la passation d’un marché par concours, l’offre irrégulière d’un candidat non retenu le prive, par principe, de toute indemnisation sur le terrain de la perte de chance sérieuse d’obtenir le marché, quand bien même l’offre retenue aurait été également irrégulière.

Le Syndicat à vocation multiple (SIVOM) de Saint-François-Longchamp-Montgellafrey a lancé, au mois de décembre 2005, une procédure de concours en vue de passer un marché de maîtrise d’œuvre pour la construction d’un centre de mise en forme et de loisirs de 1.400 mètres carrés afin d’équiper la station touristique de Saint-François-Longchamp.

Le groupement Atelier Dujol Architecture, admis à concourir mais dont l’offre n’a finalement pas été retenue, a sollicité la réparation des préjudices qu’il estimait avoir subis du fait d’une éviction irrégulière de la procédure. Son offre n’avait pas été jugée conforme aux exigences de la consultation.

La jurisprudence du Conseil d’Etat sur l’indemnisation des candidats évincés en cas de procédure irrégulière affectant un marché public a été fixée par l’arrêt Groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe (18 mai 2003, Rec. tables p. 865) 1)« lorsqu’une entreprise candidate à l’attribution d’un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d’abord si l’entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché ; que, dans l’affirmative, l’entreprise n’a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre ; qu’il convient ensuite de rechercher si l’entreprise avait des chances sérieuses d’emporter le marché ; que, dans un tel cas, l’entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre qui n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique ».

La méthode d’évaluation est la suivante : lorsque la procédure de passation du contrat est irrégulière, le juge doit apprécier si le candidat avait ou non une chance d’obtenir le marché. Si le candidat irrégulièrement évincé n’était pas dépourvu de toute chance d’obtenir le marché, il peut être indemnisé des seuls frais engagés pour soumissionner. En revanche, si le candidat a été privé d’une chance sérieuse d’obtenir le marché, alors son préjudice est constitué du bénéfice manqué.

En appel, la Cour administrative d’appel de Lyon a retenu le principe de la responsabilité du SIVOM sur le terrain de la perte de chance sérieuse pour le groupement d’architecte évincé d’obtenir le marché, tout en reconnaissant que son offre était irrégulière.

Le raisonnement de la CAA de Lyon a été le suivant.

Dans la mesure où l’offre concurrente finalement retenue était affectée également d’une non-conformité du même ordre que celle du candidat évincé, alors le jury a méconnu le principe d’égalité devant la commande publique en en rejetant une et en retenant l’autre.

Toujours selon les juges d’appel, cette illégalité engage la responsabilité du SIVOM et l’indemnisation du candidat non retenu dès lors qu’il a été privé d’une chance sérieuse de remporter le marché, puisqu’il lui était possible de modifier son offre pour la rendre compatible avec les exigences du pouvoir adjudicateur, et qu’une non-conformité n’avait pas empêché son concurrent d’obtenir le marché.

Le Conseil d’Etat n’a pas retenu ce raisonnement, en revenant à une stricte orthodoxie juridique, à la fois sur la notion de perte de chance sérieuse et sur la possibilité de régulariser les offres dans le cadre d’une procédure de passation d’un marché par concours.

Sur la notion de perte de chance sérieuse, le Conseil d’Etat rappelle clairement que :

« l’offre du groupement Atelier Dujol Architecture était irrégulière ; que, de ce seul fait, ce groupement ne peut être regardé comme ayant été privé d’une chance sérieuse d’obtenir le marché ; que, par suite, en se fondant sur la circonstance, d’une part, que l’offre que le SIVOM de Saint-François-Longchamp Montgellafrey a décidé de retenir était tout aussi irrégulière et, d’autre part, que le groupement Atelier Dujol Architecture aurait été susceptible, à l’instar du candidat effectivement retenu, de modifier son projet, pour en déduire que le groupement avait été privé d’une chance sérieuse d’obtenir le marché, la cour administrative d’appel de Lyon a commis une erreur de droit ».

Dès lors qu’une offre est déclarée non conforme, un candidat ne peut, par principe, être considéré comme ayant été privé d’une chance sérieuse de remporter le marché.

Le fait que le lauréat du concours ait lui-même entaché son offre d’une non-conformité est totalement inopérant dans l’appréciation de la perte de chance et du préjudice subi par le requérant. Le contentieux ne portait en effet pas sur la contestation de la procédure de passation du marché elle-même, mais bien sur l’indemnisation du candidat.

Implicitement, le Conseil d’Etat rappelle également que toutes les modifications ne sont pas admises à l’issue de la phase du concours.

L’arrêt de la CAA se fondait en effet sur l’idée que, même atteinte de non-conformité, une offre pouvait être régularisée au stade de la négociation avec le ou les lauréats, négociation prévue par le code des marchés publics après l’évaluation des projets par le jury. Ainsi, une offre non conforme ne privait pas nécessairement le candidat de toute chance de remporter le marché.

La jurisprudence du Conseil d’Etat n’est pas en ce sens. C’est uniquement si l’offre initiale ne contrevient pas à une interdiction édictée dans les documents de la consultation que le jury puis la personne responsable du marché peuvent décider de classer les projets qui pourront recevoir des corrections ultérieures lors de négociations.

Mais, même dans la procédure de concours, le non-respect de prescriptions essentielles du programme justifie la non-conformité et doit conduire le pouvoir adjudicateur à écarter l’offre 2)Ainsi, par un arrêt Agence de maîtrise d’ouvrage des travaux du ministère de la justice (9 mai 2008, req. n° 308.911), le Conseil d’Etat a jugé que : « le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit en recherchant si le projet retenu était conforme aux prescriptions du programme fonctionnel ; qu’en jugeant que tel n’était pas le cas, dès lors que ce projet organisait en extérieur des circulations en détention qui auraient dû être couvertes selon le programme et, ensuite, que cette non-conformité concernait un élément suffisamment important du programme, du point de vue de la sécurité, pour faire obstacle à la désignation comme lauréat du groupement concerné et à la régularisation ultérieure de son offre, laquelle méconnaîtrait le principe d’égalité de traitement des candidats, le juge des référés n’a pas dénaturé les pièces du dossier ni entaché son ordonnance d’erreur de droit ».
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1. « lorsqu’une entreprise candidate à l’attribution d’un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d’abord si l’entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché ; que, dans l’affirmative, l’entreprise n’a droit à aucune indemnité ; que, dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre ; qu’il convient ensuite de rechercher si l’entreprise avait des chances sérieuses d’emporter le marché ; que, dans un tel cas, l’entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu’ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l’offre qui n’ont donc pas à faire l’objet, sauf stipulation contraire du contrat, d’une indemnisation spécifique »
2. Ainsi, par un arrêt Agence de maîtrise d’ouvrage des travaux du ministère de la justice (9 mai 2008, req. n° 308.911), le Conseil d’Etat a jugé que : « le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit en recherchant si le projet retenu était conforme aux prescriptions du programme fonctionnel ; qu’en jugeant que tel n’était pas le cas, dès lors que ce projet organisait en extérieur des circulations en détention qui auraient dû être couvertes selon le programme et, ensuite, que cette non-conformité concernait un élément suffisamment important du programme, du point de vue de la sécurité, pour faire obstacle à la désignation comme lauréat du groupement concerné et à la régularisation ultérieure de son offre, laquelle méconnaîtrait le principe d’égalité de traitement des candidats, le juge des référés n’a pas dénaturé les pièces du dossier ni entaché son ordonnance d’erreur de droit ».

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