Compléter son offre : une précision du Conseil d’Etat

Catégorie

Contrats publics

Date

December 2014

Temps de lecture

4 minutes

CE 21 novembre 2014 commune de Versailles, req. n° 384089

Par un arrêt du 21 novembre dernier, le Conseil d’Etat s’est (encore une fois) prononcé sur la portée de l’article 59-I CMP, applicable à l’appel d’offres ouvert 1) Les procédures formalisées de l’appel d’offres restreint et du concours de maîtrise d’œuvre comprennent des dispositions identiques. , aux termes duquel « Il ne peut y avoir de négociation avec les candidats. Il est seulement possible de demander aux candidats de préciser ou de compléter la teneur de leur offre ».

La Haute juridiction a déjà eu l’occasion de préciser que les termes de cette disposition « interdisent au pouvoir adjudicateur de modifier ou de rectifier lui-même une offre incomplète, comme telle irrégulière ; que, si le pouvoir adjudicateur n’est pas tenu d’inviter un candidat à préciser ou à compléter une offre irrégulière, il peut toutefois demander à un candidat des précisions sur son offre si celle-ci lui paraît ambiguë ou incertaine, ou l’inviter à rectifier ou à compléter cette offre sans que le candidat puisse alors en modifier la teneur » 2) CE 25 mars 2013 Département de l’Hérault, req. n° 364824 : Contrats-Marchés publ. n° 133, note G. Eckert.. La seule exception à cette interdiction de toute modification de l’offre (à l’initiative du candidat ou de l’acheteur public) concerne « le cas exceptionnel où il s’agit de rectifier une erreur purement matérielle, d’une nature telle que nul ne pourrait s’en prévaloir de bonne foi dans l’hypothèse où le candidat verrait son offre retenue » 3) CE 21 septembre 2011 Département des Hauts-de-Seine, req. n° 349149 : BJCP 2011/79, p. 442, concl. Boulouis – CE 16 janvier 2012 Département de l’Essonne, req. n° 353629. .

Il est donc possible de solliciter des candidats des précisions ou des compléments, mais sans que les candidats puissent modifier la teneur de leur offre. On a pu s’interroger sur la portée de ces arrêts, qui peuvent sembler laisser ouverte une possibilité de régularisation, peut être au moins formelle. Mais en réalité, il faut considérer que les précisions ou compléments apportés recouvrent des hypothèses particulièrement anodines 4) Voir en ce sens Philippe Proot « Compléter les offres après leur remise : vers davantage de souplesse ? » in Contrats publics, n° 148, novembre 2014, p. 41., comme par exemple l’absence d’indication d’un prix unitaire, lequel a pu être complété sans modifier l’offre globale du prix du candidat 5) CE 9 novembre 2007 société Isosec, req. n° 288289..

Le Conseil d’Etat confirme par l’arrêt commenté que l’article 59 CMP ne peut pas permettre de régulariser une offre incomplète – et donc irrégulière au sens de l’article 35 CMP 6) L’article 35 CMP qualifie d’irrégulière l’offre qui « est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l’avis d’appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation »..

Dans cette affaire, au mois de janvier 2014, le groupement de commandes constitué entre la ville de Versailles, le CCAS de Versailles et la communauté d’agglomération de Versailles Grand Parc a lancé la procédure de passation d’un marché des prestations de géomètre expert, de détection et recollement de réseaux de manière non intrusive sous la forme d’un appel d’offres restreint.

Dans le cadre de la passation du lot n° 3, le pouvoir adjudicateur a dans un premier temps interrogé l’un des candidats, la société JFM Conseils, sur la teneur de son offre, en lui posant des questions sur les prix indiqués au sein de son bordereau des prix unitaires (BPU) ainsi que sur le détail quantitatif estimatif (DQE) remis. Néanmoins, dans un second temps, le pouvoir adjudicateur a rejeté l’offre en tant qu’irrégulière, au motif qu’elle ne comprenait pas l’ensemble des pièces que le règlement de la consultation sollicitait des candidats à l’appui de leurs offres, et notamment en raison de l’absence, dans l’offre présentée, de l’annexe 2 de la charte graphique signée et complétée, des versions originales des BPU et DQE et enfin du caractère « quasiment illisible » du BPU.

La société JFM Conseils a saisi le juge du référé précontractuel en contestant cette décision. Pour le tribunal administratif, la circonstance que le pouvoir adjudicateur ait interrogé le candidat sur la teneur de son offre aurait constitué un « commencement de preuve » de la complétude de l’offre.

Le Conseil d’Etat censure cette analyse pour erreur de droit, en rappelant que si les questions adressées à la société JFM Conseils pouvaient démontrer que le pouvoir adjudicateur détenait une partie de l’offre de ce candidat, elles ne pouvaient « en aucun cas » permettre de considérer que l’offre était conforme aux prescriptions du règlement de la consultation, et notamment que les pièces transmises respectaient les exigences formelles énoncées.

Jugeant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat constate que la société JFM Conseils n’établit pas qu’elle aurait bien transmis à l’appui de son offre les documents considérés comme manquants par le pouvoir adjudicateur. Mais plus encore, le Conseil d’Etat affirme très explicitement que les dispositions de l’article 59 CMP ne peuvent pas permettre la régularisation d’une offre incomplète :

    « […] 6. Considérant, en deuxième lieu, que les dispositions précitées interdisent au pouvoir adjudicateur de modifier ou de rectifier lui-même une offre incomplète, comme telle irrégulière ; que la circonstance que le candidat ait été invité à préciser ou compléter son offre par le pouvoir adjudicateur, sans qu’il puisse alors en modifier la teneur, n’est pas de nature à régulariser une offre qui serait incomplète et que le pouvoir adjudicateur était, dès lors, tenue d’écarter […] »

La requête est donc rejetée.

Partager cet article

References   [ + ]

1. Les procédures formalisées de l’appel d’offres restreint et du concours de maîtrise d’œuvre comprennent des dispositions identiques.
2. CE 25 mars 2013 Département de l’Hérault, req. n° 364824 : Contrats-Marchés publ. n° 133, note G. Eckert.
3. CE 21 septembre 2011 Département des Hauts-de-Seine, req. n° 349149 : BJCP 2011/79, p. 442, concl. Boulouis – CE 16 janvier 2012 Département de l’Essonne, req. n° 353629.
4. Voir en ce sens Philippe Proot « Compléter les offres après leur remise : vers davantage de souplesse ? » in Contrats publics, n° 148, novembre 2014, p. 41.
5. CE 9 novembre 2007 société Isosec, req. n° 288289.
6. L’article 35 CMP qualifie d’irrégulière l’offre qui « est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l’avis d’appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation ».

3 articles susceptibles de vous intéresser