Rétablissement et annulation d’une décision implicite : l’autorisation implicite de la CNAC remise en vigueur à la suite de l’annulation contentieuse d’une décision explicite de refus s’y substituant peut également faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir

Catégorie

Aménagement commercial, Urbanisme et aménagement

Date

May 2015

Temps de lecture

4 minutes

Par deux décisions en date du 11 février 2015 (CE 11 février 2015 Société Aubert France, req. n° 373673 et CE 11 février 2015 Société Ingdis-Ingwiller Distribution et autre, req. n°s 367149 et 370098), le Conseil d’Etat a apporté d’utiles précisions relatives à la procédure contentieuse de l’aménagement commercial.

Ces deux décisions s’inscrivent dans un cadre procédural singulier : il s’agit, dans les deux affaires, d’une demande d’annulation d’une autorisation implicite de la CNAC remise en vigueur à la suite de l’annulation contentieuse d’une décision explicite de refus qui s’y était postérieurement substituée.

Rappelons, pour mémoire, que lorsque la CNAC est saisie d’un recours administratif préalable obligatoire contre une décision d’autorisation de la CDAC :

    ► Son silence pendant 4 mois fait naître une décision implicite de rejet du recours se substituant à la décision de la CDAC et valant nouvelle autorisation du projet 1) CE 4 juillet 2012 Association de défense des consommateurs du centre-ville de Reims et autre, req. n° 352933.

    ► La CNAC peut ensuite retirer cette décision implicite pour y substituer une décision explicite faisant droit au recours administratif et refusant d’autoriser le projet 2) CE 4 juillet 2012, précité..

    ► Toutefois, l’annulation par le juge de l’excès de pouvoir de cette décision explicite à la demande du pétitionnaire a pour effet de rétablir la décision implicite de la CNAC autorisant le projet 3) CE 6 février 2013 S.A Union des coopérateurs d’Alsace, req. n° 354998 ; CE 23 octobre 2013 Société GVM et autre, req. n° 353216..

Il demeurait pourtant, à ce stade, une incertitude : devait-on considérer que l’autorisation implicite de la CNAC était devenue définitive et était, dès lors, insusceptible de recours ou, à l’inverse, que cette autorisation implicite ne faisait pas courir le délai de recours contentieux et qu’elle pouvait, ainsi, être contestée devant le juge de l’excès de pouvoir ?

Par sa décision Société Aubert France, le Conseil d’Etat a tranché en faveur de cette seconde solution et a rejeté la fin de non-recevoir opposée par le pétitionnaire qui estimait que la requête dirigée à l’encontre de la décision implicite remise en vigueur était irrecevable.

Il a jugé que l’autorisation implicite de la CNAC remise en vigueur à la suite de l’annulation contentieuse d’une décision explicite s’y substituant pouvait, dès lors que les décisions implicites de la CNAC ne font pas courir le délai de recours contentieux, faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Pour parvenir à une telle solution, la Haute juridiction a rappelé que, selon les dispositions de l’article R. 421-3 du code justice administrative, le délai de recours contentieux n’est pas opposable aux décisions implicites si la mesure sollicitée ne peut être prise que par une décision d’un organisme collégial 4) Art. R. 421-3 du code de justice administrative : « (…) l’intéressé n’est forclos qu’après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d’une décision expresse de rejet : (…) 2° Dans le contentieux de l’excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux ; »..

Or, la CNAC étant un organisme collégial, ses décisions implicites ne font pas courir le délai de recours contentieux.

Dès lors qu’il en est ainsi, la requête de la société requérante tendant à l’annulation de l’autorisation implicite de la CNAC – qui n’est pas devenue définitive – était recevable.

Cependant, il n’échappera pas que la Haute juridiction souligne ensuite qu’ « en tout état de cause », la requête de la société Aubert France a été présentée dans le délai de deux mois à compter de la « notification » de la décision d’annulation de la décision explicite de rejet de la CNAC se substituant à l’autorisation implicite.

Faut-il en déduire, pour autant, que la contestation d’une autorisation implicite de la CNAC remise en vigueur à la suite de l’annulation contentieuse d’une décision explicite de refus s’y substituant doit être enfermée dans un nouveau délai de recours contentieux qui court à compter de la date à laquelle le défendeur à l’instance (qui avait été l’auteur du RAPO) s’est vu notifier la décision juridictionnelle d’annulation ?

Il n’en est pas certain.

Sans doute faut-il voir dans cet « en tout état de cause » une inspiration de la jurisprudence Chabran selon laquelle lorsqu’un permis de construire est retiré, et que ce retrait est annulé, le permis initial est rétabli à compter de la date de lecture de la décision juridictionnelle prononçant cette annulation 5) CE 6 avril 2007 Chabran et autres, req. n° 296493. – ce qui a pour conséquence de rouvrir le délai de recours contre ledit permis (à la condition qu’il soit régulièrement affiché).

Toutefois, on peut s’interroger sur la combinaison d’une telle position avec les dispositions de l’article R. 421-3 du code de justice administrative, qui neutralisent l’opposabilité du délai de recours contentieux aux décisions implicites des organismes collégiaux, d’autant plus que le Conseil d’Etat fait précisément application de ces règles au cas d’espèce.
Toujours est-il, qu’après avoir accepté de contrôler la légalité de l’autorisation implicite remise en vigueur, le Conseil d’Etat l’a annulée en constatant que celle-ci était intervenue sans que les avis des ministres aient été présentés aux membres de la CNAC – irrégularité de nature à entraîner l’annulation de la décision litigieuse 6) CE 16 mai 2011 Communauté d’agglomération du bassin d’Aurillac et autre, req. n° 336104..

Notons que par sa décision Société Ingdis-Ingwiller Distribution et autre, qui complète utilement la portée de la décision Société Aubert France, le Conseil d’Etat a précisé que le juge de l’excès de pouvoir pouvait, après avoir fait droit à la demande d’annulation d’une autorisation implicite de la CNAC remise en vigueur à la suite de l’annulation d’une décision explicite de rejet s’y substituant, sur la demande du requérant, enjoindre à la commission nationale de se prononcer de nouveau sur la demande d’autorisation.

Rappelons en effet que l’annulation contentieuse d’une décision de la CNAC, qu’elle soit implicite ou explicite, a pour effet de saisir à nouveau et directement cette commission de la demande d’autorisation initialement formée, et non du recours dirigé contre la décision de la commission départementale 7) CE 12 janvier 2005 SA Cora Belgique, req. n° 260198 (Ab. jur., sur ce point, CE 11 février 2004 SARL Centre de jardinage Castelli Nice, req. n° 242849 ). – ce qu’admet, plus largement, la jurisprudence traditionnelle 8) La disparition d’un acte annulé ne rend pas le demandeur titulaire d’une autorisation tacite, mais conduit l’administration à procéder à un nouvel examen de la demande : v. CE 7 décembre 1973 SCA des Nigritelles, req. n°s 88252 et 91237 ; CE 7 décembre Entreprise Fayolle et fils, req. n° 88106. .

Appliquant strictement le principe précité, le Conseil d’Etat, après avoir annulé l’autorisation implicite de la CNAC, également pour défaut d’avis des ministres intéressés, a donc enjoint à la commission nationale de se prononcer de nouveau sur la demande d’autorisation présentée par le pétitionnaire.

Voir le Schéma récapitulatif de la décision Société Aubert France

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References   [ + ]

1. CE 4 juillet 2012 Association de défense des consommateurs du centre-ville de Reims et autre, req. n° 352933
2. CE 4 juillet 2012, précité.
3. CE 6 février 2013 S.A Union des coopérateurs d’Alsace, req. n° 354998 ; CE 23 octobre 2013 Société GVM et autre, req. n° 353216.
4. Art. R. 421-3 du code de justice administrative : « (…) l’intéressé n’est forclos qu’après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d’une décision expresse de rejet : (…) 2° Dans le contentieux de l’excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux ; ».
5. CE 6 avril 2007 Chabran et autres, req. n° 296493.
6. CE 16 mai 2011 Communauté d’agglomération du bassin d’Aurillac et autre, req. n° 336104.
7. CE 12 janvier 2005 SA Cora Belgique, req. n° 260198 (Ab. jur., sur ce point, CE 11 février 2004 SARL Centre de jardinage Castelli Nice, req. n° 242849 ).
8. La disparition d’un acte annulé ne rend pas le demandeur titulaire d’une autorisation tacite, mais conduit l’administration à procéder à un nouvel examen de la demande : v. CE 7 décembre 1973 SCA des Nigritelles, req. n°s 88252 et 91237 ; CE 7 décembre Entreprise Fayolle et fils, req. n° 88106.

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