Une convention d’occupation du domaine public ne peut être tacite et doit revêtir un caractère écrit. En l’absence de contrat, la responsabilité de la personne publique peut toutefois être recherchée sur le terrain extracontractuel, y compris lorsque ces conclusions sont soulevées pour la première fois en appel

Catégorie

Domanialité publique, Droit administratif général

Date

July 2015

Temps de lecture

5 minutes

CE 19 juin 2015 Société Immobilière du Port de Boulogne, req. n° 369558 : Publié au Rec. CE.

La décision rendue par le Conseil d’Etat le 19 juin 2015 précise que l’occupation du domaine public doit être autorisée par un titre, lequel ne peut être accordé tacitement. Elle indique par ailleurs, qu’en l’absence de contrat, le requérant peut se placer sur le terrain de la responsabilité extracontractuelle et invoquer la responsabilité de la personne publique pour enrichissement sans cause et faute, ces conclusions pouvant être soulevées pour la première fois en appel.

Dans cette affaire, la Société Immobilière du port de Boulogne donnait en location un hangar qu’elle avait édifié sur l’emprise du port de Boulogne-sur-Mer. Si un projet de contrat avait initialement été établi entre la Chambre de commerce et d’industrie de Boulogne-sur-Mer (la CCI) et la SIPB s’agissant de la construction et de l’exploitation du hangar, celui-ci n’avait toutefois pas été signé. Néanmoins, dans une lettre de la CCI du 3 février 1995, la CCI précisait les conditions financières de l’occupation du domaine public, pour les années 1994 à 1999. Précisions que pendant 10 ans, la CCI a toléré la présence de la SIPB sur son domaine public, tout en percevant les redevances correspondantes.

C’est dans ce contexte qu’en juin 2008, la SIPB a informé la CCI de son intention de reprendre directement la gestion du hangar, et lui a demandé la prolongation de son autorisation jusqu’en 2020. Dans un courrier d’octobre 2008, la CCI a toutefois fait savoir à la SIPB qu’elle ne disposait d’aucun titre lui permettant d’occuper le domaine public. La CCI a ensuite conclu une autorisation d’occupation du domaine public avec une autre société.

La SIPB a alors saisi le tribunal administratif de Lille, estimant que la CCI avait illégalement prononcé la résiliation de la convention l’autorisant à occuper le domaine public, aux fins de voir celle-ci condamnée, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, à lui payer la somme de 1 587 768 €. Le tribunal administratif de Lille, puis la cour administrative d’appel de Douai ont toutes deux écarté la responsabilité contractuelle de la CCI et rejeté, comme irrecevables, les conclusions indemnitaires fondées sur l’enrichissement sans cause et la faute quasi-délictuelle de la CCI.

C’est dans le cadre du pourvoi formé par la SIPB contre l’arrêt de la CAA de Douai que le Conseil d’Etat a précisé que :

    « nul ne peut, sans disposer d’un titre l’y habilitant, occuper une dépendance du domaine public ; qu’eu égard aux exigences qui découlent tant de l’affectation normale du domaine public que des impératifs de protection et de bonne gestion de ce domaine, l’existence de relations contractuelles en autorisant l’occupation privative ne peut se déduire de sa seule occupation effective, même si celle-ci a été tolérée par l’autorité gestionnaire et a donné lieu au versement de redevances domaniales ; qu’en conséquence, une convention d’occupation du domaine public ne peut être tacite et doit revêtir un caractère écrit ».

Il en résulte que, compte-tenu des impératifs de protection de bonne gestion du domaine public, mais également des exigences liées à l’affectation normale du domaine public, une convention d’occupation du domaine ne peut être tacite et doit revêtir un caractère écrit. La circonstance que l’occupation ait été tolérée par l’autorité gestionnaire pendant plusieurs années, et qu’elle ait perçu les redevances domaniales afférentes, ne faisant pas obstacle à un tel principe.

Aussi, si la jurisprudence a admis l’existence de contrats non écrits 1) CE 20 avril 1956 Epoux Bertin, req. n°98637, Rec. 167., dans la mesure où la conclusion d’un contrat administratif n’est en principe soumise à aucun formalisme, cette absence de formalisme n’est pas sans limite. Et, selon le Conseil d’Etat, alors même que l’article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques n’impose pas explicitement le caractère écrit de ces autorisations, le régime spécifique de la domanialité publique doit conduire à exclure le caractère verbal d’une convention domaniale.

Cette jurisprudence va dans le sens des décisions du Conseil d’Etat aux termes desquelles il n’y aucun droit au bénéficie d’une occupation privative du domaine public 2) CE 2 novembre 1956 Sieur Biberon, Rec. 403., ni de droit au renouvellement d’une autorisation 3) CE 14 octobre 1991 Helie, req. n°95857..

Par ailleurs, il avait d’ores et déjà été jugé que le fait pour un gestionnaire de tolérer la présence d’une personne sur le domaine public, et de lui faire payer des redevances domaniales ne vaut pas autorisation de l’occuper 4) CE 2 avril 2003 Saurin, req. n°237968 : L’expiration de la concession d’une plage par l’Etat à une commune entraîne par voie de conséquence l’expiration du titre dont bénéficie l’occupant, sous-concessionnaire. Les circonstances que ce dernier n’aurait pas été averti de l’expiration de la concession de la plage dont la commune était titulaire, qu’il aurait continué à verser à la commune la redevance annuelle d’occupation et qu’il aurait été conforté dans le sentiment qu’il avait d’occuper régulièrement le domaine public par le renouvellement par le préfet de l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public qui lui avait été accordée pour l’installation d’un ponton s’avançant dans la mer en face de son établissement, sont sans influence sur la matérialité de la contravention de grande voirie dressée à son encontre pour avoir continué d’exploiter son établissement..

Enfin, il avait été jugé en 2003 que :

    « ainsi que l’a rappelé la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, un régime de décision implicite d’acceptation ne peut être institué lorsque la protection des libertés ou la sauvegarde des autres principes de valeur constitutionnelle s’y opposent ; qu’en vertu de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, auquel se réfère le Préambule de la Constitution, la protection du domaine public est un impératif d’ordre constitutionnel ; que le pouvoir réglementaire ne pouvait donc légalement instaurer un régime d’autorisation tacite d’occupation du domaine public, qui fait notamment obstacle à ce que soient, le cas échéant, précisées les prescriptions d’implantation et d’exploitation nécessaires à la circulation publique et à la conservation de la voirie » 5) CE 221 mars 2003 Siperec, req. n° 189191..

Dans l’affaire commentée, le principe est toutefois désormais clairement posé : une convention d’occupation du domaine public ne peut être tacite et doit revêtir un caractère écrit.

Dans cette même décision, le Conseil d’Etat a par ailleurs étendu sa jurisprudence Société Citécable Est 6) CE 20 octobre 2000 Société Citécable Est, req. n° 196553, Rec. 457, RFDA 2001, p. 359 : selon cette décision, lorsque le juge est conduit à constater la nullité du contrat dont la méconnaissance fondait la demande indemnitaire dont il était saisi, les parties sont autorisées à poursuivre le litige sur une cause juridique nouvelle reposant sur l’enrichissement sans cause procuré par l’application du contrat nul ou la faute résultant de la passation du contrat. au cas dans lequel l’instance révèle non pas la nullité du contrat mais son absence.

Il juge ainsi que :

    « lorsque le juge, saisi d’un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit à constater, le cas échéant d’office, l’absence ou la nullité du contrat, les parties qui s’estimaient liées par ce contrat peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l’enrichissement sans cause que l’application du contrat par lequel elles s’estimaient liées a apporté à l’une d’elles ou de la faute consistant, pour l’une d’elles, à avoir induit l’autre partie en erreur sur l’existence de relations contractuelles ou à avoir passé un contrat nul, bien que ces moyens, qui ne sont pas d’ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles ».

La Conseil d’Etat considère ainsi que la CAA a commis une erreur de droit en « relevant que la SIPB, dont la demande devant le tribunal administratif tendait exclusivement à mettre en jeu la responsabilité contractuelle de la chambre de commerce et d’industrie, n’était pas recevable à invoquer, dans le délai de recours contentieux, pour la première fois devant elle à l’appui de sa requête, d’une part, l’enrichissement sans cause de l’établissement public, d’autre part, la faute qu’il aurait commise, en lui laissant croire, sans signer la convention, qu’elle pouvait occuper le domaine public », et lui renvoie donc l’affaire, après avoir cassé l’arrêt.

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References   [ + ]

1. CE 20 avril 1956 Epoux Bertin, req. n°98637, Rec. 167.
2. CE 2 novembre 1956 Sieur Biberon, Rec. 403.
3. CE 14 octobre 1991 Helie, req. n°95857.
4. CE 2 avril 2003 Saurin, req. n°237968 : L’expiration de la concession d’une plage par l’Etat à une commune entraîne par voie de conséquence l’expiration du titre dont bénéficie l’occupant, sous-concessionnaire. Les circonstances que ce dernier n’aurait pas été averti de l’expiration de la concession de la plage dont la commune était titulaire, qu’il aurait continué à verser à la commune la redevance annuelle d’occupation et qu’il aurait été conforté dans le sentiment qu’il avait d’occuper régulièrement le domaine public par le renouvellement par le préfet de l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public qui lui avait été accordée pour l’installation d’un ponton s’avançant dans la mer en face de son établissement, sont sans influence sur la matérialité de la contravention de grande voirie dressée à son encontre pour avoir continué d’exploiter son établissement.
5. CE 221 mars 2003 Siperec, req. n° 189191.
6. CE 20 octobre 2000 Société Citécable Est, req. n° 196553, Rec. 457, RFDA 2001, p. 359 : selon cette décision, lorsque le juge est conduit à constater la nullité du contrat dont la méconnaissance fondait la demande indemnitaire dont il était saisi, les parties sont autorisées à poursuivre le litige sur une cause juridique nouvelle reposant sur l’enrichissement sans cause procuré par l’application du contrat nul ou la faute résultant de la passation du contrat.

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