Un mur de soutènement implanté en totalité sur une propriété privée et faisant l’objet de travaux privés relève de la qualification d’ouvrage public

Catégorie

Domanialité publique, Urbanisme et aménagement

Date

March 2016

Temps de lecture

5 minutes

CE 26 février 2016 SCI Jenapy 01, req. n° 389258

Le Conseil d’Etat précise encore un peu plus les conditions d’appartenance d’un mur de soutènement au domaine public (voir en ce sens http://www.adden-leblog.com/?p=6882 ).

Dans la présente affaire, la commune de Bessèges avait décidé en janvier 2004 la construction d’un mur de soutènement de la voirie routière communale surplombant le terrain de la SCI Jenapy 01 qui venait d’y faire édifier en contrebas deux gîtes destinés à la location.

Le gérant de la société, a fait exécuter, à sa demande, sous son contrôle et à ses frais, des travaux de surélévation du mur de soutènement en vue de permettre le stationnement de véhicules.
Quelques années plus tard, cette partie du mur menaçant de s’effondrer sur la propriété de la SCI Jenapy 01, elle a saisi, après expertise judicaire, la commune de Bessèges afin qu’elle réalise à ses frais les travaux de démolition préconisés par l’expert et l’indemnise des préjudices subis.

Sans réponse de la commune, la SCI Jenapy 01 a saisi le tribunal administratif de Nîmes puis la cour administrative d’appel de Marseille qui ont respectivement rejetés le 4 avril 2013 et le 5 février 2015, ses conclusions tendant à l’annulation du refus implicite de la commune d’effectuer les travaux et à ce qu’il soit enjoint à la commune de les réaliser.

Saisi d’un pourvoi le 7 avril 2015, le Conseil d’Etat devait avant d’établir le régime de responsabilité applicable, rechercher si la circonstance que les désordres qui affectent une partie de l’ouvrage réalisé par et pour les besoins d’un propriétaire privé exclu sa qualification d’ouvrage public.

Si le Conseil d’Etat ne fait que confirmer une jurisprudence bien établie sur le régime des murs de soutènement (1), il vient néanmoins, en préciser les contours lorsque les travaux à l’origine de désordres ont été effectués par une personne privée (2).

1 – Un mur de soutènement situé dans sa totalité sur une propriété privée constitue un accessoire nécessaire de la voirie communale.

Le Conseil d’Etat, a tout d’abord, était conduit à rechercher la nature juridique d’un mur de soutènement situé en totalité sur la propriété d’une personne privée.

A cet égard, la cour administrative d’appel de Marseille avait explicitement tranché la compétence de la juridiction administrative en retenant :

    « qu’il est constant que le mur litigieux est destiné à soutenir la voie publique passant en surplomb du terrain appartenant à la SCI Jenapy 01 ; que ce mur constitue ainsi l’accessoire indispensable de cette voie ; que, dès lors, ce mur présente le caractère d’un ouvrage public, alors même qu’il serait implanté dans sa totalité sur le terrain privé de la société »

Il est vrai que le régime juridique des murs de soutènement fait désormais l’objet d’une jurisprudence bien établie.

Ce dernier constituant, par principe, une dépendance nécessaire de la voie publique affectée à la circulation 1)CE 8 novembre 1946 ville de Brides-les-Bains, Rec. p. 266 / CE 15 avril 2015 Mme Nederveen, n° 369339. et ce alors qu’il n’assurerait même que partiellement le maintien de la voie, d’une part et d’autre part, la sécurité d’une propriété privée 2)CE 23 mai 1980 ville de Falaise, n° 4639 / CE 15 mai 2013 Commune de Villeneuve-lès-Avignon, n° 354593..

Dans ces conditions, que le mur soit situé en tout ou partie sur une propriété privée est sans incidence sur sa qualification d’ouvrage public sauf à ce qu’un titre en attribue la propriété aux tiers des parcelles voisines sur lesquels il est édifié 3)CE 15 avril 2015 Mme Nederveen, n° 369339 : « qu’en l’absence de titre en attribuant la propriété aux propriétaires des parcelles en bordure desquelles il est édifié ou à des tiers, un mur situé à l’aplomb d’une voie publique et dont la présence évite la chute de matériaux qui pourraient provenir des fonds qui la surplombent doit être regardé comme un accessoire de la voie publique, même s’il a aussi pour fonction de maintenir les terres des parcelles qui la bordent »..

En l’espèce, l’ouvrage a été conçu par la commune dans le but de soutenir une voie affectée à la circulation routière. Or bien qu’accessoire affecté pour partie au maintien de la voie publique et pour une autre partie à la sécurité du terrain de la SCI Jenapy 01, le mur de soutènement, situé dans sa totalité sur la propriété la SCI, constitue selon le Conseil d’Etat un accessoire de la voie publique présentant le caractère d’ouvrage public 4)« Considérant qu’il est constant que le mur litigieux est destiné à soutenir la voie publique passant en surplomb du terrain appartenant à la SCI Jenapy 01 ; que ce mur constitue ainsi l’accessoire de cette voie et présente le caractère d’un ouvrage public, alors même qu’il serait implanté dans sa totalité sur le terrain privé de la société ».
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2 – Les travaux réalisés par une personne privée sur cette dépendance sont sans incidence sur la qualification d’ouvrage public.

Le Conseil d’Etat va venir préciser, ensuite, que la circonstance que les travaux soient réalisées par et pour le compte d’une personne privée est sans incidence sur la nature juridique de l’ouvrage.

En effet, la Haute Assemblée avait eu l’occasion de retenir que des murs ayant à la fois une fonction de soutien à la voie publique et une fonction de maintien d’un terrain privé est sans conséquence sur la nature juridique de l’ouvrage, alors même que ce dernier a été construit par la personne privée 5)CE 23 janvier 2012 Département des Alpes Maritimes, n° 334360 : « qu’il résulte ainsi de l’instruction que, si le mur en litige a pour objet de maintenir les terres de la parcelle AY 17, il a également celui de retenir les chutes de matériaux provenant de cette propriété et d’en protéger les usagers de la voie départementale ; que ce mur doit, par suite, être regardé comme accessoire de la route départementale et, en l’absence de titre en attribuant la propriété au propriétaire de la parcelle AY 17 ou à un tiers, comme appartenant au domaine public du DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES, alors même qu’il n’aurait pas été construit par ce dernier».

Dans ces conditions, il retient en l’espèce :

    « qu’est sans incidence sur cette qualification (d’ouvrage public) la circonstance que ce mur ait fait l’objet d’une surélévation, à la demande, aux frais et sous le contrôle de la SCI Jenapy 01, dans le cadre de travaux privés »

De ce raisonnement il en déduit que si le mur de soutènement implanté en totalité sur une propriété privée et faisant l’objet de travaux privés constitue bien un ouvrage public dont les désordres engagent, par principe, la responsabilité de la commune, celle-ci pourra s’en exonérer par la faute du tiers victime.
Or, la Haute Assemblée va considérer que dans les circonstances de l’espèce la SCI Jenapy 01, a commis une faute de nature à exonérer la responsabilité de la commune de Bessèges :

    « 9. Considérant que le maître d’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement ; qu’il ne peut dégager sa responsabilité que s’il établit que ces dommages, qui doivent revêtir un caractère anormal et spécial pour ouvrir droit à réparation, résultent de la faute de la victime ou d’un cas de force majeure ; que la SCI est un tiers à l’égard de l’ouvrage public ;

    10. Considérant que la SCI Jenapy 01 a, ainsi qu’il résulte de l’instruction, directement demandé à l’entrepreneur de rehausser d’un mètre le mur, dont la hauteur initialement prévue était de 1,50 mètres, afin de pouvoir ensuite combler la partie du mur située du côté de la voie publique et réaliser une aire de stationnement bordant son gîte ; qu’elle a elle-même financé et surveillé ces travaux ; qu’il ressort du rapport d’expertise en date du 5 novembre 2007 que les désordres ont pour origine cette surélévation du mur, qui ne peut résister à la poussée des terres et bascule par le haut ; que, par suite, la faute de la victime est, dans les circonstances de l’espèce, de nature à exonérer la commune de toute responsabilité ».

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References   [ + ]

1. CE 8 novembre 1946 ville de Brides-les-Bains, Rec. p. 266 / CE 15 avril 2015 Mme Nederveen, n° 369339.
2. CE 23 mai 1980 ville de Falaise, n° 4639 / CE 15 mai 2013 Commune de Villeneuve-lès-Avignon, n° 354593.
3. CE 15 avril 2015 Mme Nederveen, n° 369339 : « qu’en l’absence de titre en attribuant la propriété aux propriétaires des parcelles en bordure desquelles il est édifié ou à des tiers, un mur situé à l’aplomb d’une voie publique et dont la présence évite la chute de matériaux qui pourraient provenir des fonds qui la surplombent doit être regardé comme un accessoire de la voie publique, même s’il a aussi pour fonction de maintenir les terres des parcelles qui la bordent ».
4. « Considérant qu’il est constant que le mur litigieux est destiné à soutenir la voie publique passant en surplomb du terrain appartenant à la SCI Jenapy 01 ; que ce mur constitue ainsi l’accessoire de cette voie et présente le caractère d’un ouvrage public, alors même qu’il serait implanté dans sa totalité sur le terrain privé de la société ».
5. CE 23 janvier 2012 Département des Alpes Maritimes, n° 334360 : « qu’il résulte ainsi de l’instruction que, si le mur en litige a pour objet de maintenir les terres de la parcelle AY 17, il a également celui de retenir les chutes de matériaux provenant de cette propriété et d’en protéger les usagers de la voie départementale ; que ce mur doit, par suite, être regardé comme accessoire de la route départementale et, en l’absence de titre en attribuant la propriété au propriétaire de la parcelle AY 17 ou à un tiers, comme appartenant au domaine public du DEPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES, alors même qu’il n’aurait pas été construit par ce dernier»

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