Des précisions sur la recevabilité du référé « mesures utiles » tendant à l’expulsion d’un occupant sans droit ni titre du domaine public

Catégorie

Domanialité publique, Urbanisme et aménagement

Date

July 2016

Temps de lecture

4 minutes

CE 1er juin 2016 Société mahoraise d’acconage de représentation et de transit (SMART), req. n° 394069

Le Conseil d’Etat précise l’articulation entre les compétences du propriétaire et du gestionnaire du domaine public pour demander l’expulsion d’un occupant sans droit ni titre.

1. Le contexte de l’affaire

La SMART exerce une activité de manutention sur un port dont le département de Mayotte est propriétaire.

Cette société bénéficiait d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public qui a pris fin en septembre 2013, en même temps que la délégation de service public consentie par le département à la CCI de Mayotte ayant pour objet la gestion du domaine public portuaire.

C’est la société Mayotte Channel Gateway (MCG) qui est alors devenue le nouveau délégataire.

Des négociations ont eu lieu entre la société MCG et la société SMART pour que cette dernière obtienne, de nouveau, une autorisation d’occupation temporaire du domaine public.

Les négociations ayant échoué, la société MCG a saisi le juge des référés d’une demande d’expulsion fondée sur l’article L. 521-3 du code de justice administrative (CJA) 1) « En cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative »., en dépit d’un courrier du département informant la société MCG qu’elle ne pouvait pas saisir le juge sans avoir obtenu son autorisation.

Le juge ayant fait droit à cette demande, la société SMART se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du tribunal administratif de Mayotte du 9 octobre 2015.

2. Le rappel de la compétence du gestionnaire du domaine public concurremment à celle du propriétaire

Il était déjà acquis que le gestionnaire et le propriétaire d’une dépendance du domaine public ont, tous deux, compétence pour demander l’expulsion d’un occupant sans droit ni titre 2) CE 19 novembre 2014 régie municipale « Espaces Cauterets », req. n° 366276, point 9 : « que l’autorité propriétaire ou gestionnaire du domaine public est recevable à demander au juge administratif l’expulsion de l’occupant irrégulier de ce domaine ; que la régie municipale “Espaces Cauterets” a qualité pour demander à la juridiction administrative d’ordonner l’expulsion des occupants sans titre du domaine public dont elle est le gestionnaire »..

Dans son arrêt du 1er juin 2016, le Conseil d’Etat confirme naturellement ce point, rappelant que « le propriétaire ou le gestionnaire du domaine public sont l’un et l’autre en principe recevables à demander au juge administratif l’expulsion de l’occupant irrégulier de ce domaine ».

Et, au cas d’espèce, il reconnaît à la société MCG la qualité pour demander l’expulsion de la société SMART, occupant sans droit ni titre du domaine public, au regard des stipulations du contrat de DSP qu’elle a conclu avec le département, la société MCG étant bien « dotée d’une mission générale de gestion et d’exploitation des installations portuaires ».

3. L’articulation de leurs compétences respectives

L’apport de l’arrêt est ailleurs, puisque le Conseil d’Etat vient répondre à la question de savoir si, et dans quelle mesure, le propriétaire du domaine public peut s’opposer à la compétence du gestionnaire pour demander l’expulsion d’un occupant.

Il juge en effet que :

    « si le propriétaire ou le gestionnaire du domaine public sont l’un et l’autre en principe recevables à demander au juge administratif l’expulsion de l’occupant irrégulier de ce domaine, le propriétaire du domaine ne peut, en l’absence de stipulation en ce sens de la convention le liant au gestionnaire, s’opposer à ce que celui-ci saisisse le juge des référés afin que soit ordonnée l’expulsion d’un occupant sans titre ».

Autrement dit, il est possible de prévoir, dans le contrat entre le propriétaire du domaine et son gestionnaire, des dispositions relatives aux expulsions.

Au cas présent, et en conséquence, le Conseil d’Etat va examiner les stipulations contractuelles de la DSP liant le département à la société MCG.

En l’espèce, la convention portant délégation du service public prévoyait des stipulations relatives au pouvoir de contrôle du département sur la délivrance des autorisations, mais rien concernant les demandes d’expulsion du domaine.

Il s’avère toutefois que le département avait adressé un courrier indiquant que la société MCG ne pouvait pas introduire de référé sans obtenir au préalable son autorisation.

Ce courrier n’ayant, semble-t-il, été adressé qu’à la société SMART, il n’est pas regardé comme constituant ou révélant une modification de la DSP quant à la question de la compétence de la société MCG pour demander au juge une expulsion.

Ainsi, la Haute Juridiction juge-t-elle que :

    « qu’en l’espèce, s’il ressort des articles 35.01.a, 35.01.b et 35.02 de la convention soumise au juge des référés que le département a un pouvoir de contrôle sur la délivrance de telles autorisations, aucune stipulation n’organise les demandes d’expulsion du domaine public ; si la SMART conteste la qualité pour agir de la société MCG au motif que, par un courrier du 19 août 2015, le département, propriétaire du domaine public, informé de l’intention de la société MCG de demander l’expulsion de la SMART, lui avait indiqué qu’elle ne pouvait saisir le juge sans avoir obtenu son autorisation et que celle-ci ne l’avait obtenue ni à la date de l’introduction de sa demande ni ultérieurement, cette lettre ne peut être regardée comme constituant ou révélant une modification unilatérale de la convention en cause; que, dans ces conditions, le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant recevable la demande de la société MCG, alors même que le département s’était opposé à l’expulsion demandée ».

Ecartant le surplus des conclusions de la société SMART, le Conseil d’Etat rejette son pourvoi, confirmant ainsi la décision du juge des référés tendant à l’expulsion de cette dernière du domaine public portuaire.

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References   [ + ]

1. « En cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative ».
2. CE 19 novembre 2014 régie municipale « Espaces Cauterets », req. n° 366276, point 9 : « que l’autorité propriétaire ou gestionnaire du domaine public est recevable à demander au juge administratif l’expulsion de l’occupant irrégulier de ce domaine ; que la régie municipale “Espaces Cauterets” a qualité pour demander à la juridiction administrative d’ordonner l’expulsion des occupants sans titre du domaine public dont elle est le gestionnaire ».

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