Périmètre des délégations de service public : une conception large

Catégorie

Contrats publics

Date

September 2016

Temps de lecture

5 minutes

CE 21 septembre 2016 communauté urbaine du Grand Dijon, req. n° 399656 Par un avis d’appel public à la concurrence du 13 juillet 2015, la communauté urbaine du Grand Dijon a lancé une procédure d’appel à candidatures, sur le fondement de l’article L. 1411-1 CGCT, afin de sélectionner les candidats admis à remettre ultérieurement une offre pour une délégation de service public portant sur « l’exploitation des services de la mobilité » sur le territoire du Grand Dijon pour une durée de 6 ans. C’est la société Kéolis qui a été retenue. Cette dernière n’a toutefois pas été en mesure de signer la DSP, la procédure de passation ayant été annulée par une ordonnance du tribunal administratif de Dijon du 25 avril 2016 à la suite d’un référé précontractuel exercé par des sociétés évincées (Q-Park France, SAGS et Indigo Infra) ayant été « dissuadées » de présenter une offre dans le cadre de cette procédure, ce qui a conduit la communauté urbaine du Grand Dijon et la société Kéolis à se pourvoir en cassation contre cette ordonnance. Parallèlement, la communauté urbaine du Grand Dijon a lancé une nouvelle procédure à la suite de l’annulation de la première. Cependant, cette procédure a de nouveau été annulée par le juge des référés du tribunal administratif de Dijon par une ordonnance du 8 juillet 2016. 1 – La Haute Juridiction examine, tout d’abord, les conclusions à fin de non-lieu à statuer (1.1) puis les fins de non-recevoir (1.2). 1.1 – La communauté urbaine s’est prévalue du lancement d’une nouvelle procédure de mise en concurrence pour soutenir qu’il n’y aurait pas lieu de statuer sur les demandes des sociétés évincées. Le Conseil d’Etat écarte cet argumentaire, aucune DSP n’ayant été finalement conclue à l’occasion de cette nouvelle mise en concurrence, également annulée :

    « Considérant que si, à la suite de l’annulation de la procédure par l’ordonnance attaquée, la communauté urbaine du Grand Dijon a lancé une nouvelle procédure en vue de la passation d’une délégation de service public portant, pour tenir compte de l’ordonnance attaquée, sur une partie des mêmes prestations, cette nouvelle procédure n’a pas, à ce jour, abouti à la signature d’une convention de délégation de service public, le juge des référés du tribunal administratif de Dijon ayant de nouveau annulé la procédure engagée par une ordonnance du 8 juillet 2016 » 1) Voir en ce sens : CE 5 janvier 2011 société Voyages Dupas Lebeda, req. n° 342158 : « Considérant que si, à la suite de l’annulation partielle de la procédure par l’ordonnance attaquée, le département du Nord a déclaré cette procédure infructueuse et que s’il est soutenu qu’il aurait lancé une nouvelle procédure en vue de la passation d’une délégation de service public portant sur les mêmes prestations, cette nouvelle procédure n’a pas à ce jour abouti à la signature d’une convention de délégation de service public ; que, dans ces conditions, les conclusions de la société Véolia Transport Nord-Pas-de-Calais tendant à ce que soit prononcé dans la présente instance un non-lieu à statuer doivent être rejetées »..

1.2 – Confirmant une jurisprudence constante, eu égard aux dispositions de l’article L. 551-10 CJA, le Conseil d’Etat rappelle que « toute personne est recevable à agir, sur le fondement de l’article L. 551-1 du CJA, lorsqu’elle a vocation, compte tenu de son domaine d’activité, à exécuter le contrat, y compris lorsqu’elle n’a pas présenté de candidature ou d’offre si elle en a été dissuadée par les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence qu’elle invoque » 2) CE 29 avril 2015 Syndicat de valorisation des déchets de la Guadeloupe (SYVADE), req. n° 386748 : « Considérant, en deuxième lieu, que toute personne est recevable à agir, sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, lorsqu’elle a vocation, compte tenu de son domaine d’activité, à exécuter le contrat, y compris lorsqu’elle n’a pas présenté de candidature ou d’offre si elle en a été dissuadée par les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence qu’elle invoque ; que le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant la société Urbaser Environnement recevable à agir alors même qu’elle avait renoncé à présenter une offre ».. En l’espèce, le juge de référés a commis une erreur de droit pour n’avoir pas recherché si les manquements allégués par les sociétés requérantes étaient la cause de leur absence de candidature. Sur ce fondement, la Haute Juridiction annule l’ordonnance attaquée. La Haute Juridiction considère au contraire que les requérantes ont bien fait valoir qu’elles avaient été dissuadées de se porter candidate au regard des manquements qu’elles invoquaient aux obligations de publicité et de mise en concurrence, à savoir en l’espèce au regard de l’objet « trop largement défini » de la DSP qui ne leur a pas permis de se porter utilement candidates. Selon le Conseil d’Etat, les demandes des sociétés évincées sont donc recevables à exercer un référé précontractuel. 2 – Etrangement, cette imprécision dans la définition de l’objet de la délégation qui a pourtant empêché trois sociétés, candidates potentielles, de participer à la procédure ne va pas conduire à l’annulation de la procédure. Jugeant au fond, le Conseil d’Etat va finalement conclure au rejet des demandes présentées par les sociétés requérantes. 2.1 – S’agissant du périmètre de la DSP, la Haute Juridiction va juger que :

    « aucune disposition législative ni aucun principe général n’impose à la collectivité publique qui entend confier à un opérateur économique la gestion de services dont elle a la responsabilité de conclure autant de conventions qu’il y a de services distincts ; qu’elle ne saurait toutefois, sans méconnaitre les impératifs de bonne administration ou les obligations générales de mise en concurrence qui s’imposent à elle, donner à une délégation un périmètre manifestement excessif ni réunir au sein de la même convention des services qui n’auraient manifestement aucun lien entre eux ».

De la sorte, le Conseil d’Etat valide les contrats de DSP regroupant plusieurs services distincts, ce qui correspond à l’esprit de la nouvelle règlementation applicable aux concessions, qui n’impose aucune obligation d’allotissement, contrairement aux dispositions applicables aux marchés publics 3) Qu’il s’agisse de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession que de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession ou du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession.. La Haute Juridiction impose cependant à ce principe deux limites, qu’il rattache aux impératifs de bonne administration et de mise en concurrence :

    ► la délégation ne doit pas avoir un « périmètre manifestement excessif » ; ► la collectivité publique ne doit pas non plus regrouper « des services qui n’auraient manifestement aucun lien entre eux ».

2.2 – Par ailleurs, le Conseil d’Etat rappelle qu’il est possible de prévoir des prestations accessoires dans la mesure où ces dernières sont complémentaires à l’objet de la délégation :

    « Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales : « Les conventions de délégation de service public ne peuvent contenir de clauses par lesquelles le délégataire prend à sa charge l’exécution de services ou de paiements étrangers à l’objet de la délégation » ; que ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu’une convention de délégation de service public mette à la charge du cocontractant des prestations accessoires dès lors qu’elles présentent un caractère complémentaire à l’objet de la délégation » 4) Voir en ce sens : CE 19 mars 2012 SA Groupe Partouche, req. n° 341562..

En l’espèce, les missions contestées 5) A savoir, « les missions de vérification de la performance du sous-système électrique du tramway et du système d’hybridation des bus hybrides, de maîtrise d’œuvre pour le déploiement des matériels de péage et d’assistance à maîtrise d’ouvrage du projet « Prioribus » ». présentent bien un caractère « complémentaire et accessoire » au service de transport et de stationnement délégué dans la mesure où elles « confient au délégataire le soin de s’assurer du bon fonctionnement et de l’exploitabilité d’équipements en usage dans le réseau de transport de l’agglomération dijonnaise ». 2.3 – Enfin, la Haute Juridiction confirme de nouveau le caractère inopérant, dans le cadre du référé précontractuel sanctionnant les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence, du moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 420-2 code de commerce prohibant les abus de position dominante 6) CE 5 juin 2007 Société Corsica Ferries, req. n° 305280.. Ainsi, le Conseil d’Etat annule l’ordonnance du tribunal administratif de Dijon du 25 avril 2016 et rejette les demandes des sociétés évincées.

Partager cet article

References   [ + ]

1. Voir en ce sens : CE 5 janvier 2011 société Voyages Dupas Lebeda, req. n° 342158 : « Considérant que si, à la suite de l’annulation partielle de la procédure par l’ordonnance attaquée, le département du Nord a déclaré cette procédure infructueuse et que s’il est soutenu qu’il aurait lancé une nouvelle procédure en vue de la passation d’une délégation de service public portant sur les mêmes prestations, cette nouvelle procédure n’a pas à ce jour abouti à la signature d’une convention de délégation de service public ; que, dans ces conditions, les conclusions de la société Véolia Transport Nord-Pas-de-Calais tendant à ce que soit prononcé dans la présente instance un non-lieu à statuer doivent être rejetées ».
2. CE 29 avril 2015 Syndicat de valorisation des déchets de la Guadeloupe (SYVADE), req. n° 386748 : « Considérant, en deuxième lieu, que toute personne est recevable à agir, sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, lorsqu’elle a vocation, compte tenu de son domaine d’activité, à exécuter le contrat, y compris lorsqu’elle n’a pas présenté de candidature ou d’offre si elle en a été dissuadée par les manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence qu’elle invoque ; que le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant la société Urbaser Environnement recevable à agir alors même qu’elle avait renoncé à présenter une offre ».
3. Qu’il s’agisse de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l’attribution de contrats de concession que de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession ou du décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession.
4. Voir en ce sens : CE 19 mars 2012 SA Groupe Partouche, req. n° 341562.
5. A savoir, « les missions de vérification de la performance du sous-système électrique du tramway et du système d’hybridation des bus hybrides, de maîtrise d’œuvre pour le déploiement des matériels de péage et d’assistance à maîtrise d’ouvrage du projet « Prioribus » ».
6. CE 5 juin 2007 Société Corsica Ferries, req. n° 305280.

3 articles susceptibles de vous intéresser