Référé suspension : précisions sur l’appréciation de l’urgence à suspendre l’exécution d’un refus de permis de construire

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

September 2016

Temps de lecture

6 minutes

CE 23 novembre 2016 SCI CT Vendeville, req. n° 398068 L’urgence est une des deux conditions cumulatives auxquelles est subornée, en application de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution d’une décision administrative. Le Conseil d’Etat a, rapidement, dégagé une grille d’analyse en retenant que l’urgence doit être regardée comme satisfaite « lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre 1) CE 19 janvier 2001 Confédération nationale des radios libres, req. n° 228815.» et que celle-ci « s’apprécie objectivement compte-tenu de l’ensemble des circonstances de chaque espèce» 2) CE 28 février 2001 Préfet des Alpes Maritimes et Sté Sud-Est assainissement, req. n°229562.. Toutefois, si dans le cadre du contentieux de l’urbanisme, le juge a reconnu une présomption d’urgence s’agissant des décisions accordant un permis de construire dans la mesure où la réalisation des travaux crée une situation pratiquement irréversible 3) CE 27 juillet 2001 Commune de Tulle, req. n° 230231., tel n’est, en revanche, pas le cas lorsqu’est demandé la suspension d’une décision de sursis à statuer 4) CE 23 janvier 2004 Commune de Meyreuil, n° 257779, ou le retrait d’une décision accordant un permis de construire 5) CE 14 novembre 2003 SCI « Les Jardins d’Eva », n° 258396..
Dans ces hypothèses il appartient au requérant de faire application de la grille d’analyse de « droit commun », précitée, pour établir que la décision préjudicie à sa situation personnelle ou aux intérêts qu’il entend défendre. La décision commentée vient explicitement 6) CE 8 avril 2009 SCI Saint-Cloud-Gounod, req. n° 317990. Le Conseil d’Etat avait, en effet, eu l’occasion de statuer sur la question de savoir si le risque de perdre le bénéfice d’une promesse de vente signée sous condition suspensive de l’octroi d’un permis de démolir était de nature à caractériser l’urgence à suspendre l’exécution de la décision refusant de délivrer ce permis. Si ce dernier avait répondu par la négative, il n’avait pas parallèlement, dégagé par un considérant de principe une analyse générale permettant de caractériser l’urgence à suspendre l’exécution d’une décision refusant de délivrer une autorisation d’urbanisme. étendre et préciser cette solution au cas d’une demande de suspension d’une décision refusant de délivrer un permis de construire. Dans cette affaire les juges saisis, à différents degrés de juridiction, se sont livrés à une interprétation différente mais tout aussi rigoureuse de l’urgence, en cas de refus de délivrance d’un permis de construire. Il faut dire que les faits de l’espèce, particuliers, étaient sujets à caution. C’est pourquoi, il conviendra avant d’analyser l’interprétation de l’urgence portées par les juridictions (2) de revenir, sommairement, sur le contexte de cette affaire (1). 1 Sur les faits de l’espèce La SCI Vendeville, filiale de la SARL CTPLV (société mère), a fait l’acquisition le 6 février 2015 d’un entrepôt situé rue de Fâches sur le territoire de la commune de Vendeville dans la perspective d’y transférer l’activité de centre de contrôle technique de poids lourds exercée par la société mère rue du Fort dans la même commune. La SCI Vendeville ayant entrepris des travaux dans ses nouveaux locaux sans y avoir été préalablement autorisée, le maire de la commune a édicté, en date du 18 mars 2015, un arrêté interruptif de travaux. Souhaitant régulariser les travaux entrepris, la SCI a déposé une demande de permis de construire le 30 avril suivant. Avant que le maire ne statue sur cette demande, un incendie a détruit, le 1er juin 2015, le bâtiment situé rue du Fort empêchant la SARL CTPLV d’y exercer effectivement son activité. Or, par une décision du 20 octobre 2015 le maire a refusé de délivrer le permis de construire sollicité par la SCI Vendeville, la privant ainsi, comme il était initialement prévu, de transférer l’activité exercée rue du Fort par sa société mère. Le maire de la commune ayant rejeté son recours gracieux, la SCI Vendeville a saisi le juge des référés, le 3 février 2016, d’une demande tendant à la suspension du refus opposé à sa demande de permis de construire. 2 Sur l’appréciation de l’urgence à suspendre l’exécution d’une décision refusant la délivrance d’un permis de construire Le juge des référés du tribunal administratif de Lille a, par une ordonnance du 29 février 2016 7) TA Lille 29 février 2016 SCI CT Vendeville, n° 1600958 : « (…) qu’il résulte de ce qui précède que la SARL CTPLV, qui gère cinq centres de contrôle technique dans le Nord-Pas-de-Calais, n’a pas pris la précaution d’insérer dans l’acte de vente une condition suspensive d’obtention d’un permis de construire, n’a pas déposé une demande de certificat d’urbanisme en vue de s’assurer de la faisabilité de l’opération projetée au regard des règles d’urbanisme, alors que le terrain situé rue de Fâches est classé par le plan local d’urbanisme en zone UB, définie comme une zone urbaine mixte de densité élevée, affectée à l’habitat, pouvant comporter des commerces, des services, des bureaux, des activités artisanales et industrielles … compatibles avec un environnement urbain », qu’il jouxte un lotissement à usage d’habitation, que l’une des ouvertures projetée est située à quelques mètres de maisons et que les capacités de stationnement en dehors de la voie publique sont particulièrement limitées (3 places) ; que la SARL CTPLV ne s’est pas davantage rapproché des services de la mairie pour leur présenter son projet et recueillir leurs éventuelles objections ; qu’ainsi, compte tenu de l’imprudence caractérisée dont elle a fait preuve, la société requérante se trouve exclusivement à l’origine de la situation dans laquelle elle est placée ; qu’elle ne saurait, dès lors, se prévaloir d’une quelconque urgence de nature à justifier la suspension de la décision attaquée »., rejeté la requête de la SCI Vendeville pour défaut d’urgence dans la mesure où celle-ci n’avait pas pris, d’une part, la précaution d’insérer dans l’acte de vente une condition suspensive d’obtention d’un permis de construire ou déposé une demande de certificat d’urbanisme, et d’autre part, ne s’était pas rapprochée des services de la mairie pour présenter son projet. Constatant que la SCI requérante avait, ainsi, fait preuve d’une « imprudence caractérisée » à l’origine exclusive de sa situation, le tribunal en a déduit qu’elle n’était pas fondée à se prévaloir d’une quelconque situation d’urgence. Saisi d’un pourvoi le 17 mars 2016 le Conseil d’Etat a censuré ce raisonnement au motif qu’il n’était pas établi ni même soutenu que l’incendie ayant détruit le bâtiment situé rue du Fort été dû à une imprudence de la SCI requérante. Toutefois, statuant sur la demande de suspension, la Haute Juridiction a, également, rejeté cette demande pour défaut d’urgence en précisant, pour la première fois, par un considérant de principe, les critères permettant de caractériser l’urgence à suspendre l’exécution d’une décision refusant d’accorder un permis de construire. Si la Haute Juridiction reprend, dans un premier temps, sans surprise, la grille d’analyse « traditionnelle », précitée, permettant d’apprécier l’urgence à suspendre une décision 8) « L’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. En ce qui concerne une décision de refus de permis de construire, il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi d’une demande de suspension, d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets du refus de permis litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue.(…) », elle complète utilement cette appréciation, dans un second temps, en retenant que dans l’hypothèse d’un refus de permis de construire l’urgence peut s’apprécier :

    « (…) en tenant compte, notamment, des conséquences qui seraient susceptibles de résulter, pour les divers intérêts en présence, de la délivrance d’un permis de construire provisoire à l’issue d’un réexamen de la demande ordonné par le juge des référés. »

Le Conseil d’Etat retient, dans les circonstances de l’espèce et ce pour deux motifs, qu’il n’y a pas urgence à suspendre le refus de permis de construire. En premier lieu, la Haute Juridiction va, très concrètement, considérer que l’activité exercée rue du Fort était, en toute hypothèse, avant l’incendie d’ores et déjà largement compromise du fait de la concurrence locale et de l’installation de gens du voyage, tout en soulignant que la société, par son imprudence, s’était privée de moyens lui permettant de s’assurer que l’activité pouvait être valablement transférée dans les nouveaux locaux. En second lieu, la Haute juridiction retient, que les coûts supportés par la société ne sont pas nature à porter une atteinte grave et immédiate à l’équilibre financier dans la mesure où celle-ci gère plusieurs autres centres de contrôle techniques. Remarquons que si cette décision s’inscrit, pour partie, dans le sillage d’une jurisprudence établie, les précisions qu’elle apporte permettront à des pétitionnaires éconduits de bénéficier d’une grille d’analyse renforcée avant de saisir le juge des référés.

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1. CE 19 janvier 2001 Confédération nationale des radios libres, req. n° 228815.
2. CE 28 février 2001 Préfet des Alpes Maritimes et Sté Sud-Est assainissement, req. n°229562.
3. CE 27 juillet 2001 Commune de Tulle, req. n° 230231.
4. CE 23 janvier 2004 Commune de Meyreuil, n° 257779,
5. CE 14 novembre 2003 SCI « Les Jardins d’Eva », n° 258396.
6. CE 8 avril 2009 SCI Saint-Cloud-Gounod, req. n° 317990. Le Conseil d’Etat avait, en effet, eu l’occasion de statuer sur la question de savoir si le risque de perdre le bénéfice d’une promesse de vente signée sous condition suspensive de l’octroi d’un permis de démolir était de nature à caractériser l’urgence à suspendre l’exécution de la décision refusant de délivrer ce permis. Si ce dernier avait répondu par la négative, il n’avait pas parallèlement, dégagé par un considérant de principe une analyse générale permettant de caractériser l’urgence à suspendre l’exécution d’une décision refusant de délivrer une autorisation d’urbanisme.
7. TA Lille 29 février 2016 SCI CT Vendeville, n° 1600958 : « (…) qu’il résulte de ce qui précède que la SARL CTPLV, qui gère cinq centres de contrôle technique dans le Nord-Pas-de-Calais, n’a pas pris la précaution d’insérer dans l’acte de vente une condition suspensive d’obtention d’un permis de construire, n’a pas déposé une demande de certificat d’urbanisme en vue de s’assurer de la faisabilité de l’opération projetée au regard des règles d’urbanisme, alors que le terrain situé rue de Fâches est classé par le plan local d’urbanisme en zone UB, définie comme une zone urbaine mixte de densité élevée, affectée à l’habitat, pouvant comporter des commerces, des services, des bureaux, des activités artisanales et industrielles … compatibles avec un environnement urbain », qu’il jouxte un lotissement à usage d’habitation, que l’une des ouvertures projetée est située à quelques mètres de maisons et que les capacités de stationnement en dehors de la voie publique sont particulièrement limitées (3 places) ; que la SARL CTPLV ne s’est pas davantage rapproché des services de la mairie pour leur présenter son projet et recueillir leurs éventuelles objections ; qu’ainsi, compte tenu de l’imprudence caractérisée dont elle a fait preuve, la société requérante se trouve exclusivement à l’origine de la situation dans laquelle elle est placée ; qu’elle ne saurait, dès lors, se prévaloir d’une quelconque urgence de nature à justifier la suspension de la décision attaquée ».
8. « L’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. En ce qui concerne une décision de refus de permis de construire, il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi d’une demande de suspension, d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets du refus de permis litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue.(…) »

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