La fraude quant à l’attestation prévue à l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme relative à la qualité pour présenter la demande de permis de construire peut être établie après la délivrance de celui-ci et ainsi donner lieu à son retrait sans condition de délai

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

October 2017

Temps de lecture

5 minutes

CE 9 octobre 2017 Société Les Citadines, req. n° 398853 : mentionné aux Tables du Rec. CE

La société Les Citadines avait obtenu, le 28 juin 2012, un permis de construire un immeuble comprenant seize logements ainsi qu’un commerce en pied d’immeuble.

A la suite du recours gracieux exercé par une société tierce bénéficiaire d’une promesse de vente portant sur le terrain d’assiette du permis de construire, le maire a, par une décision du 21 septembre 2012, retiré le permis « aux motifs tirés de ce que ni la société titulaire d’une promesse de vente sur le terrain depuis le 16 décembre 2011, ni la propriétaire du terrain n’avait autorisé la société Les Citadines à exécuter les travaux objet de la demande de permis de construire qu’elle avait déposée le 24 février 2012 ; qu’en outre la société Les Citadines ne pouvait se prévaloir d’une lettre d’engagement de la propriétaire du terrain de signer une promesse de vente avant le 15 novembre 2011 laquelle était caduque à la date du dépôt de la demande de permis de construire » 1)CAA Versailles 18 février 2016 SARL Les Citadines, req. n° 14VE01981..

Sans que le terme soit expressément mentionné, ce sont les déclarations frauduleuses de la société pétitionnaire qui ont motivé le retrait du permis qui lui avait été délivré.

Contestée d’abord par un recours gracieux puis par la voie contentieuse, cette décision de retrait a été confirmée par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, puis par la cour administrative d’appel de Versailles et enfin, dans la décision commentée, par le Conseil d’Etat.

C’est l’occasion pour la Haute juridiction de rappeler, par un considérant de principe dense et synthétique, les principes et la marge de manœuvre de l’administration dans le cadre de son analyse de la qualité du pétitionnaire à présenter la demande d’autorisation d’urbanisme :

« Considérant qu’il résulte de ces dispositions que les demandes de permis de construire doivent seulement comporter l’attestation du pétitionnaire qu’il remplit les conditions définies à l’article R. 423-1 cité ci-dessus ; que les autorisations d’utilisation du sol, qui ont pour seul objet de s’assurer de la conformité des travaux qu’elles autorisent avec la législation et la réglementation d’urbanisme, étant accordées sous réserve du droit des tiers, il n’appartient pas à l’autorité compétente de vérifier, dans le cadre de l’instruction d’une demande de permis, la validité de l’attestation établie par le demandeur ; qu’ainsi, sous réserve de la fraude, le pétitionnaire qui fournit l’attestation prévue à l’article R. 423-1 du code doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande ; que, lorsque l’autorité saisie d’une demande de permis de construire vient à disposer, au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une mesure d’instruction lui permettant de les recueillir, d’informations de nature à établir son caractère frauduleux, il lui revient de refuser la demande de permis pour ce motif ; qu’enfin, si postérieurement à la délivrance du permis de construire, l’administration a connaissance de nouveaux éléments établissant l’existence d’une fraude à la date de sa décision, elle peut légalement procéder à son retrait sans condition de délai ; que la fraude est caractérisée lorsqu’il ressort des pièces du dossier que le pétitionnaire a eu l’intention de tromper l’administration sur sa qualité pour présenter la demande d’autorisation d’urbanisme ».

Depuis l’entrée en vigueur, le 1er octobre 2007, de la réforme des autorisations d’urbanisme issue de l’ordonnance du 8 décembre 2005, la demande de permis ou le dépôt d’une déclaration préalable sont soumis à un régime déclaratif : le pétitionnaire n’a plus à justifier dans sa demande d’un titre lui permettant de présenter la demande. Il lui suffit d’attester avoir qualité pour ce faire en cochant et signant le formulaire Cerfa et il est ainsi réputé remplir les conditions définies à l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme, hors cas de fraude.

L’administration chargée de l’instruction d’une demande d’autorisation d’urbanisme n’a donc pas à vérifier, d’elle-même, l’exactitude des informations fournies sur ce point ni la validité de l’attestation établie par le pétitionnaire.

Par exemple, il a été jugé que, dans le cadre d’un projet portant sur un immeuble en copropriété régie par la loi du 10 juillet 1965, le service instructeur n’avait pas à exiger la production des autorisations auxquelles la loi subordonne le droit, pour chacun des copropriétaires, de réaliser certains travaux ni à vérifier si les travaux faisant l’objet de la déclaration affectaient des parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble et nécessitaient ainsi l’assentiment de l’assemblée générale des copropriétaires 2)CE 15 février 2012, req. n° 333631 : publié au Rec. CE..

En revanche, lorsque l’administration est informée au cours de l’instruction, toujours sans effectuer par elle-même aucun acte d’instruction, que l’attestation produite par le pétitionnaire présente un caractère frauduleux, c’est-à-dire procède de manœuvres destinées à la tromper sur sa qualité à présenter la demande d’autorisation d’urbanisme, elle est alors tenue de s’intéresser à la régularité du titre invoqué par le pétitionnaire et en conséquence de refuser la demande.

La décision commentée rappelle ainsi le principe dégagé dans deux décisions de 2015 selon lequel : « lorsque l’autorité saisie d’une demande de permis de construire vient à disposer, au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une mesure d’instruction lui permettant de les recueillir, d’informations de nature à établir son caractère frauduleux ou faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que le pétitionnaire ne dispose, contrairement à ce qu’implique l’article R. 423-1 du code de l’urbanisme, d’aucun droit à la déposer, il lui revient de refuser la demande de permis pour ce motif » 3)Voir CE 19 juin 2015 Commune de Salbris, req. n° 368667 : publié au Rec. CE – CE 23 mars 2015, req. n° 348261 : publié au Rec. CE..

Ont été regardées, par exemple, comme des manœuvres frauduleuses le fait, pour un locataire, de déposer une déclaration préalable portant sur des travaux auxquels s’était opposé le propriétaire, lequel avait fait connaître son opposition en adressant un courrier au service instructeur pendant l’instruction du permis 4)CAA Marseille 24 mai 2017 Commune d’Arles, req. n° 16MA00494. Voir également CE 6 décembre 2013, req. n° 354703 : mentionné aux T. Rec. CE..

Il est en outre précisé dans la décision commentée que lorsque des éléments apportés après l’édiction de la décision établissent l’existence de manœuvres frauduleuses à la date de délivrance de celle-ci, l’administration peut retirer l’autorisation et ce sans condition de délai (c’est-à-dire au-delà du délai de retrait de trois mois fixé par l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme) conformément à un principe ancien 5)Par exemple CE 10 octobre 1990, req. n° 86379 : mentionné aux T. Rec. CE..

Ainsi, en l’espèce, le maire avait régulièrement pu se fonder sur les éléments ne figurant pas dans la demande et apportés postérieurement à la délivrance du permis à l’occasion du recours présenté par la société tierce titulaire d’une promesse de vente sur le terrain pour retirer le permis obtenu frauduleusement par la société Les Citadines.

La solution dégagée dans cette décision – selon laquelle l’autorité compétente pour délivrer (et retirer) une autorisation d’urbanisme peut se fonder sur des éléments portés à sa connaissance postérieurement à la délivrance de l’autorisation pour retirer celle-ci dès lors qu’ils établissent l’existence d’une fraude à la date de la décision – ne doit pas être confondue avec l’hypothèse où l’utilisation effective de la construction n’est pas conforme à celle présentée dans la demande et autorisée ou avec les règles d’urbanisme 6)CE 13 juillet 2012, req. n° 344710 : mentionné aux T. Rec CE. ainsi qu’avec l’hypothèse où le pétitionnaire perdrait sa qualité postérieurement à la délivrance du permis 7)CE 19 juin 2015 Commune de Salbris, req. n° 368667 précité..

Dans ces deux cas de figure, le juge administratif n’a pas retenu l’existence d’une fraude.

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References   [ + ]

1. CAA Versailles 18 février 2016 SARL Les Citadines, req. n° 14VE01981.
2. CE 15 février 2012, req. n° 333631 : publié au Rec. CE.
3. Voir CE 19 juin 2015 Commune de Salbris, req. n° 368667 : publié au Rec. CE – CE 23 mars 2015, req. n° 348261 : publié au Rec. CE.
4. CAA Marseille 24 mai 2017 Commune d’Arles, req. n° 16MA00494. Voir également CE 6 décembre 2013, req. n° 354703 : mentionné aux T. Rec. CE.
5. Par exemple CE 10 octobre 1990, req. n° 86379 : mentionné aux T. Rec. CE.
6. CE 13 juillet 2012, req. n° 344710 : mentionné aux T. Rec CE.
7. CE 19 juin 2015 Commune de Salbris, req. n° 368667 précité.

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