Appréciation de l’intérêt à agir et de la recevabilité des moyens invoqués dans le cadre d’un recours en contestation de validité d’une convention d’occupation du domaine public

Catégorie

Contrats publics, Domanialité publique, Droit administratif général

Date

November 2017

Temps de lecture

6 minutes

CAA Paris 11 octobre 2017 Mme D., req. n° 16PA02885

Par son arrêt Département de Tarn-et-Garonne, le Conseil d’Etat a ouvert à tout tiers à un contrat administratif un recours contestant la validité de ce contrat, le tiers devant toutefois et en principe d’abord démontrer être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation ou les clauses du contrat puis invoquer des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé en cause ou suffisamment graves 1) CE Ass. 4 avril 2014 Département de Tarn-et-Garonne, req. n° 358994 : Rec. CE p. 70, concl. Dacosta..

L’arrêt rendu le 11 octobre 2017 par la cour administrative d’appel de Paris fournit une intéressante illustration de cette double exigence.

    1 Le contexte

1.1 Par acte du 30 juin 2009, la société « Immobilière Daru-Saint-Honoré » (IDSH) a vendu à l’établissement public de la Cité de la Musique, qui en était locataire depuis 2004, un immeuble rue du Faubourg-Saint-Honoré à Paris comprenant une salle de spectacle dénommée « salle Pleyel ».

Parallèlement, Mme D., qui détient 0,03% de la société IDSH, a engagé le 11 juin 2009, devant le Tribunal de commerce de Paris, une action, toujours pendante, en abus de majorité tendant à l’annulation des délibérations du 18 mai 2009 par lesquelles l’assemblée générale de la société IDSH avait décidé cette cession.

Elle n’a en revanche pas directement contesté le contrat de vente de l’immeuble.

1.2 L’établissement public de la Cité de la Musique a ensuite lancé une procédure de mise en concurrence en vue de la passation d’une convention d’occupation du domaine public ayant pour objet de concéder le droit d’occuper, à titre précaire et révocable, une emprise de son domaine public en vue d’exploiter et de valoriser la salle Pleyel.

A la suite de cette procédure, une convention d’occupation du domaine public a été conclue avec la société Fimalac le 28 janvier 2015.

1.3 Mme D. a alors saisi le tribunal administratif de Paris d’une demande tendant à l’annulation de la convention d’occupation conclue le 28 janvier 2015.

Par un jugement du 11 juillet 2016, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande comme étant irrecevable en estimant que la requérante n’établissait pas être affectée de façon suffisamment directe et certaine dans ses intérêts notamment patrimoniaux, par la passation de la convention d’occupation de la salle Pleyel.

Mme D. a en conséquence fait appel mais la cour administrative d’appel de Paris confirme ce jugement.

    2 Les règles applicables

2.1 La cour rappelle tout d’abord le principe admis par la jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne en ce qui concerne la possibilité pour un tiers, autre que préfet ou membre de l’assemblée délibérante de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales passant un contrat administratif, de contester ce contrat à condition d’être susceptible d’être lésé dans ses intérêts :

    « Considérant qu’indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l’excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d’un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles ; que cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité ».

Elle rappelle ensuite le principe, issu de la même décision, selon lequel le tiers (autre que préfet ou membre de l’assemblée délibérante) ne peut invoquer que des irrégularités en rapport avec l’intérêt lésé :

    « que si le représentant de l’Etat dans le département et les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l’appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office ».

Elle complète enfin ce rappel par celui d’une autre décision du Conseil d’Etat 2) CE Sect. 5 février 2016 Syndicat mixte des transports en commun Hérault Transport c/ Société « Voyages Guirette », req. n° 383149 : Rec. CE ; BJCP 2016/106, p. 218, concl. Henrard, obs. R.S. ayant précisé quels sont les vices que peut invoquer le tiers lorsque celui-ci se prévaut de la qualité de concurrent évincé de l’attribution du contrat :

    « le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif ne peut ainsi, à l’appui d’un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction ».

2.2 Ainsi, hormis le représentant de l’Etat dans le département et les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales qui bénéficient d’un régime particulier, il convient de distinguer deux catégories de tiers :

    – Les « autres tiers » qui doivent invoquer des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé (ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office), et

    – Parmi ces autres tiers, ceux qui agissent en qualité de « concurrent évincé » et dont on sait déjà, d’une part, que leur intérêt lésé est donc de ne pas s’être vus attribuer le contrat et, d’autre part, qu’ils ne peuvent invoquer que des moyens tirés des manquements aux règles applicables à la passation en rapport direct avec leur éviction (ou, là encore, ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office).

    3 La décision de la cour administrative d’appel

Au cas d’espèce, la cour va analyser si la requérante disposait ou non d’un intérêt à agir lui permettant de contester utilement l’attribution de la convention d’occupation sur le fondement d’un recours de plein contentieux « Tarn-et-Garonne » et, dans l’affirmative, si les arguments qu’elle invoque sont alors en rapport direct avec l’intérêt lésé admis.

3.1 S’agissant tout d’abord de l’existence d’un intérêt de Mme D. susceptible d’être lésé de façon suffisamment directe et certaine par la passation ou les clauses du contrat d’occupation du domaine public conclu entre l’établissement public de la Cité de la Musique et la société Fimalac, la cour va juger que :

    ► Ses intérêts patrimoniaux ne sont pas lésés :
    o Mme D. n’est pas personnellement propriétaire de la salle Pleyel,
    o Elle n’a pas contesté la vente de l’immeuble par la société IDSH à l’établissement public de la Cité de la Musique,
    o Sa qualité d’actionnaire minoritaire et le fait qu’elle ait engagé une action devant le tribunal de commerce sont sans effet sur la validité de cette vente à un tiers de bonne foi.

    ► Elle ne peut pas se prévaloir non plus d’une perte de valeur de la salle Pleyel dont elle n’est pas propriétaire.

    ► Elle ne peut pas davantage se prévaloir d’une perte de valeur de ses parts dans la société IDSH qui a vendu l’immeuble, dans la mesure où la perte de valeur invoquée ne résulte pas de la convention d’occupation attaquée mais « seulement de la vente intervenue auparavant et devenue irrévocable ».

    ► Enfin, « ni son investissement personnel ni sa qualité de chef d’orchestre ne permettent de la regarder comme un concurrent évincé en raison de la nouvelle programmation prévue par le cahier des charges de la convention qui exclut tout concert ou spectacle de musique classique ».

En revanche, la cour semble admettre qu’elle puisse se prévaloir de « sa qualité « d’usager du service public de la culture » ».

Mais ce n’est que la première étape.

3.2 S’agissant en effet ensuite de l’invocation de vices en rapport avec cet intérêt lésé ou suffisamment graves, la cour juge que cette seconde condition n’est en revanche pas remplie en considérant que si Mme D. :

    « se prévaut aussi de sa qualité « d’usager du service public de la culture », les vices qu’elle invoque en soutenant que la convention constituerait en réalité une délégation de service public, que les avis de marché n’auraient pas été complets et que la Cité de la Musique ne lui aurait communiqué que tardivement et de manière incomplète la convention, sont en tout état de cause sans rapport avec l’ intérêt dont elle fait ainsi état et ne sont pas d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office ».

En conséquence, la cour estime que la requérante n’est pas fondée à demander l’annulation du jugement et donc de la procédure de passation de la convention d’occupation du domaine public. Sa demande est dès lors rejetée.

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1. CE Ass. 4 avril 2014 Département de Tarn-et-Garonne, req. n° 358994 : Rec. CE p. 70, concl. Dacosta.
2. CE Sect. 5 février 2016 Syndicat mixte des transports en commun Hérault Transport c/ Société « Voyages Guirette », req. n° 383149 : Rec. CE ; BJCP 2016/106, p. 218, concl. Henrard, obs. R.S.

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