Condamnation d’un ancien administrateur d’une entreprise soumissionnaire et exclusion de celle-ci d’une procédure de passation

Catégorie

Contrats publics

Date

January 2018

Temps de lecture

5 minutes

CJUE 20 décembre 2017 Impresa di Costruzioni Ing. E. Mantovani SpA, Guerrato SpA, aff. C-178/16

La Cour de justice de l’Union européenne précise les conditions d’application par les Etats membres de certaines des causes d’exclusion facultatives de la participation à une procédure d’attribution d’un marché public envisagées à l’article 45, paragraphe 2, de la directive 2004/18/CE.

    1 Le cadre juridique

1.1 La directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, désormais abrogée, prévoyait, en son article 45 « Situation personnelle du candidat ou du soumissionnaire », des causes d’exclusion obligatoires (§ 1), des causes d’exclusion facultatives que les Etats membres pouvaient ou non transposer (§ 2) et les éléments de preuve que les pouvoirs adjudicateurs pouvaient prendre en compte pour apprécier si un candidat se trouvait dans l’une de ces causes d’exclusion (§ 3).

L’article 45 § 2 prévoyait notamment que :

    « Peut être exclu de la participation au marché, tout opérateur économique […]
    c) qui a fait l’objet d’un jugement ayant autorité de chose jugée selon les dispositions légales du pays et constatant un délit affectant sa moralité professionnelle ;
    d) qui, en matière professionnelle, a commis une faute grave constatée par tout moyen dont les pouvoirs adjudicateurs pourront justifier ;
    […]
    g) qui s’est rendu gravement coupable de fausses déclarations en fournissant les renseignements exigibles en application de la présente section ou qui n’a pas fourni ces renseignements.
    Les États membres précisent, conformément à leur droit national et dans le respect du droit communautaire, les conditions d’application du présent paragraphe
    ».

1.2 Le code des marchés publics italiens prévoyait l’exclusion d’une entreprise soumissionnaire en cas de condamnation pénale définitive pour un délit affectant sa moralité professionnelle et, envisageant le cas d’une condamnation prononcée à l’encontre non pas de l’entreprise mais de l’un de ses anciens dirigeants ou administrateur, précisait : « En tout état de cause, l’exclusion et l’interdiction s’appliquent également aux personnes démises de leurs fonctions dans l’année ayant précédé la date de publication de l’avis de marché, dès lors que l’entreprise ne démontre pas qu’il y a eu une dissociation complète et effective de l’entreprise par rapport au comportement pénalement sanctionné ».

2 Le contexte de l’affaire

La province de Bolzano a lancé en juillet 2013 une procédure de passation pour la construction d’un établissement pénitentiaire.

Le 16 décembre 2013, la société Mantovani fait acte de candidature et produit deux déclarations datées des 4 et 13 décembre dans lesquelles elle indique que M. B, ancien PDG, n’exerce plus ses fonctions depuis le 6 mars 2013 et n’a jamais fait l’objet d’une condamnation pénale définitive. Elle passe toutefois sous silence le fait que celui-ci a été condamné le 5 décembre 2013 pour avoir été l’instigateur d’un système de fausses factures.

La province de Bolzano l’ayant appris par la presse, elle admet sous réserve la candidature de la société, se procure ensuite le casier judiciaire de M. B dont il ressort que le jugement de condamnation est devenu définitif en mars 2014, invite Mantovani à lui apporter des précisions sur cette condamnation (laquelle lui répond que la condamnation n’était pas encore définitive en 2013), puis, finalement, exclut Mantovani en février 2015 en raison du caractère tardif et insuffisant des éléments fournis pour démontrer qu’elle s’était dissociée des agissements pénalement répréhensibles de son ancien dirigeant et pour ne pas avoir fait état de la condamnation de celui-ci.

Au terme d’un contentieux, le Conseil d’Etat italien interroge la CJUE sur la compatibilité avec les c) et g) du paragraphe 2 de l’article 45 de la directive d’une disposition nationale permettant d’exclure une entreprise pour une condamnation de l’un de ses anciens dirigeants.

3 La réponse de la Cour de justice

La CJUE, qui suit intégralement les conclusions de son avocat général, admet la compatibilité d’une telle disposition, en l’examinant également au regard du d) de l’article 45 § 2.

3.1 La Cour commence par rappeler que, s’agissant des causes d’exclusion facultatives, l’article 45 § 2 prévoit qu’il appartient aux Etats d’en fixer les « conditions d’application » et ajoute qu’ils disposent donc d’un pouvoir d’appréciation certain (points 30 et 32).

3.2 S’agissant de la cause d’exclusion visée au c) du § 2 (délit affectant la moralité professionnelle constaté par un jugement ayant autorité de chose jugée), elle relève d’abord que, les personnes morales agissant par l’intermédiaire de leurs représentants, le comportement de ces derniers peut constituer un facteur pertinent pour apprécier la moralité professionnelle d’une entreprise, ce que le § 1 prévoit d’ailleurs expressément pour les causes d’exclusion obligatoires. Cette prise en compte n’est donc pas une extension de la cause d’exclusion mais juste une modalité de mise en œuvre, et il appartient à l’Etat de déterminer, dans le respect du principe de proportionnalité, la date à partir de laquelle un tel comportement peut justifier l’exclusion du soumissionnaire (points 33-38).

Elle ajoute que, l’Etat membre pouvant alléger les causes d’exclusion facultatives (CJUE 14 décembre 2016, Connexxion Taxi Services, aff. C‑171/15), il peut renoncer à appliquer une cause d’exclusion en cas de dissociation entre l’entreprise soumissionnaire et le comportement constituant un délit. Dans ce cas, il est en droit également de déterminer les conditions de cette dissociation et d’exiger, comme le fait le droit italien, que l’entreprise soumissionnaire informe le pouvoir adjudicateur d’une condamnation subie par son administrateur, même si cette condamnation n’est pas encore définitive (point 41).

3.3 S’agissant de la cause d’exclusion visée au d) du § 2 (faute grave en matière professionnelle pouvant être constatée par tout moyen), elle considère qu’elle est susceptible de s’appliquer dans un cas où le jugement constatant un délit affectant la moralité professionnelle de l’administrateur d’une entreprise soumissionnaire n’est pas encore définitif.

Outre les considérations énoncées pour le c), elle ajoute que, le pouvoir adjudicateur pouvant justifier de la faute grave par tout moyen, une décision juridictionnelle, même non encore définitive, peut fournir un moyen approprié (points 44-47).

3.4 S’agissant de la cause d’exclusion visée au g) du § 2 (fausses déclarations ou absence de renseignements concernant les critères de sélection qualitative des candidats), elle considère que le fait de ne pas informer le pouvoir adjudicateur des agissements pénalement répréhensibles de l’ancien administrateur peut aussi être un élément permettant d’exclure, en vertu de cette disposition, un soumissionnaire de la participation à une procédure de passation de marché public (point 48).

3.5 Enfin, la juridiction de renvoi ayant également mentionné divers principes, la Cour relève :

    S’agissant du principe d’égalité, que la situation d’une entreprise soumissionnaire dont l’administrateur a commis un délit affectant la moralité professionnelle de cette entreprise ou une faute grave professionnelle ne saurait être considérée comme comparable à celle d’une entreprise soumissionnaire dont l’administrateur ne s’est pas rendu coupable d’un tel comportement (point 51).

    S’agissant du principe de proportionnalité, que la prise en considération d’un comportement fautif au cours de l’année précédant la date de la publication de l’avis de marché public n’apparaît pas disproportionnée, d’autant plus si la réglementation prévoit que l’entreprise peut prouver qu’elle s’est effectivement et complètement dissociée des agissements de son administrateur (point 52-54).


En conclusion, la Cour juge que :

    « La directive 2004/18/CE […], en particulier l’article 45, paragraphe 2, premier alinéa, sous c), d) et g), de cette directive, ainsi que les principes de l’égalité de traitement et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale permettant au pouvoir adjudicateur :
    – de prendre en considération, selon les conditions qu’il a établies, une condamnation pénale de l’administrateur d’une entreprise soumissionnaire, même si cette condamnation n’est pas encore définitive, pour un délit affectant la moralité professionnelle de cette entreprise lorsque celui-ci a cessé d’exercer ses fonctions dans l’année qui précède la publication de l’avis de marché public et
    – d’exclure ladite entreprise de la participation à la procédure de passation de marché en cause, au motif que, en omettant de déclarer cette condamnation non encore définitive, elle ne s’est pas dissociée complètement et effectivement des agissements dudit administrateur
    ».

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