La défaillance des équipements de secours d’une usine de traitement de l’eau l’empêche de garantir la continuité du service public de distribution de l’eau potable, ce qui la rend impropre à destination : la responsabilité décennale du fournisseur est engagée même s’ils sont des équipements dissociables

Catégorie

Contrats publics

Date

February 2018

Temps de lecture

3 minutes

CAA Bordeaux 8 février 2018 SERTAD, req. n° 15BX01701

Dans le cadre d’un marché public de travaux conclu en 2001 pour la construction d’une usine de production d’eau potable, le syndicat pour l’étude et la réalisation des travaux d’amélioration de la desserte en eau potable du sud Deux-Sèvres (SERTAD) a confié à la société 2H Energy un lot de travaux, fourniture et installation d’un groupe électrogène de secours rattaché à l’usine réalisée. La maintenance du groupe électrogène a été par ailleurs confiée à cette société par un marché distinct.

Une visite périodique effectuée par la société le 30 mars 2010 a révélé un dysfonctionnement du régulateur de vitesse du moteur de ce groupe électrogène, ce qui l’a conduit à préconiser son remplacement. Le moteur du groupe électrogène s’est brisé trois semaines après cette visite, conduisant le SERTAD à engager devant le tribunal administratif de Poitiers la responsabilité de la société 2H Energy. Le tribunal l’a condamnée au paiement de la somme correspondant au remplacement du groupe électrogène, sur le fondement de la responsabilité décennale, soit 119 519 euros, ce qu’a confirmé la cour administrative d’appel de Bordeaux.

1 Pour mémoire, la garantie décennale d’un constructeur est fondée sur les articles 1792 et suivants du code civil et s’applique aux marchés de travaux publics depuis longtemps 1)CE 3 janvier 1881 Ville de la Fère : publié au Rec. CE – CE ass. 2 février 1973 Sieur Trannoy, req. n° 82706 : publié au Rec. CE. Les constructeurs d’un ouvrage sont responsables de plein droit des désordres qui n’étaient pas décelables au moment de la réception et qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou le rendent impropre à sa destination. Par exemple, le défaut de conformité à des normes de sécurité d’un centre hospitalier 2)CE 29 novembre 1989 Groupement permanent des architectes, req. n° 70215 : mentionné dans les tables du Rec. CE. ou la surchauffe périodique de certaines salles de classe d’une école en période estivale 3)CE 9 décembre 2011 Commune de Mouans-Sartoux, req. n° 346189 : mentionné dans les tables du Rec. CE. – AdDen avocats « Un désordre peut rendre un ouvrage impropre à sa destination alors même qu’il n’est ni général ni permanent », adden-leblog.com. rendent impropres à leurs destinations les ouvrages concernés.

En principe, la présomption de responsabilité décennale ne s’étend qu’aux éléments indissociables d’un ouvrage 4)Article 1792-2 code civil : « La présomption de responsabilité établie par l’article 1792 s’étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d’équipement d’un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert. Un élément d’équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l’un des ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage ».. Sont indissociables les éléments d’équipement qui ne peuvent être posés ou retirés « sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage » 5)CE 26 janvier 2018 Société Futura Play, req. n° 414337 : pour une illustration récente de qualification d’équipement indissociable de l’ouvrage.. Les éléments dissociables de l’ouvrage sont, quant à eux, couverts par la garantie d’un an de parfait achèvement et par la garantie de deux ans de bon fonctionnement 6)PINTAT Pierre, COSTE-FLORET, Guillaume « Garanties des constructeurs dans les marchés publics de travaux : principes de droit commun et adaptations » Contrats publics n° 169 octobre 2016. Toutefois, la couverture par la garantie décennale d’éléments dissociables de l’ouvrage est admise lorsque leur dysfonctionnement rend dans son ensemble un ouvrage impropre à sa destination 7)CE 8 décembre 1999 Société Borg Warner, req. n° 138651 : mentionné dans les tables du Rec. CE.

Les constructeurs ne peuvent s’exonérer de cette responsabilité décennale qu’en prouvant la force majeure ou la faute du maître d’ouvrage 8)CE ass. 2 février 1973 Sieur Trannoy, req. n° 82706 : publié au Rec. CE, telle qu’un défaut d’entretien grave et prolongé par exemple 9)CE 6 mars 2002 SIADO, req. n° 224523.

2 En l’espèce, le groupe électrogène défaillant avait vocation à assurer l’alimentation électrique de secours de l’usine de traitement d’eau en cas de coupure de l’alimentation assurée par le réseau.

Malgré le caractère dissociable de l’usine de traitement du groupe électrogène et l’absence de dommage causé à l’usine de traitement elle-même, qui a d’ailleurs continué à fonctionner, le juge administratif a estimé que la défaillance du groupe électrogène de secours rendait l’usine dans son ensemble impropre à sa destination. Pour ce faire, la cour a pris en compte la nature de l’activité de l’usine et « les besoins impérieux d’approvisionnement en eau potable de la population qu’elle dessert » : autrement dit, l’exigence de continuité absolue du service public de distribution de l’eau potable impose que cette usine dispose d’équipements de secours garantissant qu’elle puisse poursuivre son activité même en cas de coupure de courant. A défaut, l’usine est impropre à sa destination, qui est d’assurer de manière continue le service public de distribution de l’eau potable.

En outre, le juge estime que la société 2H Energy ne peut pas se prévaloir d’une faute du maître d’ouvrage qui n’a pas remplacé le régulateur de vitesse, alors qu’elle n’a pas assorti le constat du dysfonctionnement du régulateur d’une description des conséquences susceptibles de survenir s’il n’était pas remplacé, à savoir le bris total du moteur.

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References   [ + ]

1. CE 3 janvier 1881 Ville de la Fère : publié au Rec. CE – CE ass. 2 février 1973 Sieur Trannoy, req. n° 82706 : publié au Rec. CE
2. CE 29 novembre 1989 Groupement permanent des architectes, req. n° 70215 : mentionné dans les tables du Rec. CE.
3. CE 9 décembre 2011 Commune de Mouans-Sartoux, req. n° 346189 : mentionné dans les tables du Rec. CE. – AdDen avocats « Un désordre peut rendre un ouvrage impropre à sa destination alors même qu’il n’est ni général ni permanent », adden-leblog.com.
4. Article 1792-2 code civil : « La présomption de responsabilité établie par l’article 1792 s’étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d’équipement d’un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert. Un élément d’équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l’un des ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s’effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage ».
5. CE 26 janvier 2018 Société Futura Play, req. n° 414337 : pour une illustration récente de qualification d’équipement indissociable de l’ouvrage.
6. PINTAT Pierre, COSTE-FLORET, Guillaume « Garanties des constructeurs dans les marchés publics de travaux : principes de droit commun et adaptations » Contrats publics n° 169 octobre 2016
7. CE 8 décembre 1999 Société Borg Warner, req. n° 138651 : mentionné dans les tables du Rec. CE
8. CE ass. 2 février 1973 Sieur Trannoy, req. n° 82706 : publié au Rec. CE
9. CE 6 mars 2002 SIADO, req. n° 224523

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