L’exclusion automatique de candidats à une procédure d’appel d’offres représentés par la même personne est contraire au droit de l’Union européenne

Catégorie

Contrats publics

Date

March 2018

Temps de lecture

3 minutes

CJUE 8 février 2018 Lloyd’s of London c. Agenzia regionale per la protezione dell’Ambiente della Calabria, aff. C-144/17

Le Lloyd’s of London est une bourse d’assurance regroupant depuis plusieurs siècles des assureurs réunis en groupements autonomes et concurrentiels (syndicats). Ces structures internes n’ont cependant pas eux-mêmes de personnalité juridique. Par conséquent, le représentant général du Lloyd’s of London du pays de chaque appel d’offres agit en tant que représentants de chacun de ces syndicats.

L’agence calabraise de protection de l’environnement (ARPACAL) a lancé un appel d’offres pour un marché public de services d’assurance auquel ont répondu deux syndicats du Lloyd’s of London, tous les deux représentés par le même signataire, représentant italien de la Lloyd’s of London.

En se fondant sur la règlementation italienne qui interdit la participation des soumissionnaires « qui ont avec un autre soumissionnaire à la même procédure une relation de contrôle, ou ont avec lui une quelconque relation, même de fait, si ce contrôle ou cette relation impliquent que les offres sont imputables à un seul centre de décision » 1)Article 38 § 1, m), quater decreto legislativo – Codice dei contratti pubblici relativi a lavori, servizi e forniture in attuazione delle direttive 2004/17/CE e 2004/18/CE du 12 avril 2006, l’ARPACAL a exclu les deux syndicats de la procédure en considérant que le même centre de décision était à l’origine des deux offres, révélé par la circonstance que les offres étaient signées par le même représentant. Pourtant, les autorités administratives italiennes, et notamment de l’Autorita Nazionale di Anticorruzione (ANAC), écartent l’exclusion automatique de candidats pour un tel motif, c’est-à-dire sans que l’acheteur ait démontré que cette représentation commune portait effectivement atteinte au principe de libre concurrence ou d’autonomie et de secret des offres 2)ANAC 9 avril 2008 comune di Cesena, avis n° 110.

Saisi par le représentant du Lloyd’s of London, le tribunal administratif régional de Calabre, a interrogé la CJUE sur la conformité de cette réglementation italienne avec les principes consacrés par les règles de l’Union :

« Les principes consacrés par les règles de l’Union en matière de concurrence et prévus par le [traité] FUE, ainsi que les principes qui en découlent, tels que l’autonomie et le secret des offres, font‑ils obstacle à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par la jurisprudence, qui permet à plusieurs syndicats adhérents au Lloyd’s de participer simultanément à un même appel d’offres lancé par un pouvoir adjudicateur, lorsque leurs offres sont signées par une seule personne, le représentant général pour le pays ? »

La Cour souligne d’abord que les Etats membres peuvent compléter les causes d’exclusion de candidats d’un marché public énumérées par l’article 45 de la directive n° 2004/18/CE du 31 mars 2004, par des règles supplémentaires visant à protéger le principe d’égalité de traitement des candidats et le principe de transparence 3)Point 30 de l’arrêt 4)SCAVUZZO Davide, « Lloyd’s of London v. Arpacal. The European Court of Justice has handed down its judgment on the Italian Code on public works contrats, public service contracts and public supply contracts » transportwatch.eu, 27 février 2018. En l’espèce, la loi italienne a pour objectif la prévention de pratiques collusives, ce qui est en accord avec l’interprétation de la Cour concernant l’article 45 5)Point 29 de l’arrêt .

Néanmoins, le principe de proportionnalité, qui est un principe général du droit de l’Union européenne, interdit d’aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif visé.

Or, dans la mesure la réalisation du marché unique suppose aussi d’assurer la libre circulation et l’élimination des restrictions à la concurrence, les encadrements nationaux et européens doivent permettre la participation la plus large possible de soumissionnaires 6)Point 34 de l’arrêt . La Cour estime ainsi que l’exclusion automatique de candidats représentés par une même personne constitue une « présomption irréfragable d’interférence réciproque dans les offres respectives, pour un même marché d’entreprises liées par un rapport de contrôle ou d’association » 7)Point 36 de l’arrêt . Dans le cadre de ce mécanisme, les entreprises se voient donc priver de toute possibilité de prouver l’indépendance de leurs offres, ce qui limite le nombre de soumissionnaires pouvant participer au marché.

Par conséquent, le pouvoir adjudicateur ne peut pas procéder à une exclusion automatique et doit apprécier in concreto l’autonomie des offres des entreprises liées et, dans le cas d’une influence établie d’une représentation commune sur les offres, exclure les candidats de la procédure.

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References   [ + ]

1. Article 38 § 1, m), quater decreto legislativo – Codice dei contratti pubblici relativi a lavori, servizi e forniture in attuazione delle direttive 2004/17/CE e 2004/18/CE du 12 avril 2006
2. ANAC 9 avril 2008 comune di Cesena, avis n° 110
3. Point 30 de l’arrêt
4. SCAVUZZO Davide, « Lloyd’s of London v. Arpacal. The European Court of Justice has handed down its judgment on the Italian Code on public works contrats, public service contracts and public supply contracts » transportwatch.eu, 27 février 2018
5. Point 29 de l’arrêt
6. Point 34 de l’arrêt
7. Point 36 de l’arrêt

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