Applicabilité de la directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur à une interdiction énoncée par un document d’urbanisme

Catégorie

Aménagement commercial, Urbanisme et aménagement

Date

March 2018

Temps de lecture

5 minutes

CJUE 30 janvier 2018 Visser Vastgoed Beleggingen BV c/ Raad van de gemeente Appingedam, aff. C‑31/16

La Cour de justice de l’Union européenne juge que la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur encadre la possibilité pour un plan d’occupation des sols d’interdire l’activité de commerce de détail de produits non volumineux dans des zones géographiques situées en dehors du centre-ville.

1 Le cadre juridique

La directive 2006/123/CE établit des dispositions générales permettant de faciliter l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires ainsi que la libre circulation des services.

Son article 4 définit différentes notions, dont celles de « service », « régime d’autorisation », « exigence » et « raisons impérieuses d’intérêt général ».

En outre, au sein de son chapitre III intitulé « Liberté d’établissement des prestataires » :

    ► ses articles 9 à 13 visent à encadrer l’institution, par les Etats membres, de « Régimes d’autorisation » ;

    ► son article 14 énumère les « exigences interdites » ;

    ► et son article 15, intitulé « Exigences à évaluer », impose aux Etats membres de vérifier si leur système juridique comprend une ou plusieurs exigences parmi celles qu’il énumère (§ 1), dont « les limites quantitatives ou territoriales sous forme, notamment, de limites fixées en fonction de la population ou d’une distance géographique minimum entre prestataires » (§ 2), et, si c’est le cas, de veiller à ce que celles-ci soient compatibles avec les conditions de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité (§ 3).

2 Le contexte de l’affaire

La commune d’Appingedam (Pays-Bas) possède sur son territoire, à l’extérieur du quartier commerçant historique du centre-ville, une zone commerciale, appelée Woonplein, comprenant des commerces de biens volumineux (meubles, cuisines, bricolage, articles de jardin, automobiles…).

En vertu de l’article 18 du plan d’occupation des sols de la commune, la Woonplein a été affectée exclusivement au commerce de détail de biens volumineux.

Le propriétaire de surfaces commerciales sur la Woonplein souhaitant louer l’une d’entre elles à une société qui exploite une chaîne de magasins de chaussures et de vêtements, ce qu’en l’état le plan d’occupation des sols ne permet donc pas, il a décidé de le contester devant le Conseil d’Etat néerlandais et a invoqué à cet effet la méconnaissance par ce plan de la directive 2006/123. Le Conseil d’Etat a alors interrogé la CJUE sur l’applicabilité et l’interprétation de diverses dispositions de la directive.

3 La réponse de la Cour de justice

3.1 Dans son arrêt, par lequel la Cour répond également à une question posée dans le cadre d’un autre litige relatif à des droits de passage pour l’installation de réseaux de communications électroniques et n’ayant de commun que de concerner la même directive, la Cour répond d’abord à deux questions préliminaires.

(i) D’une part, elle juge, au regard de la définition de la notion de « service » comme « toute activité économique non salariée, exercée normalement contre rémunération, visée à l’article 57 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne », que l’activité de commerce de détail de produits tels que des chaussures et des vêtements relève de la notion de « service » au sens de la directive (points 84-97).

(ii) D’autre part, elle juge que les dispositions du chapitre III de la directive 2006/123, relatif à la liberté d’établissement des prestataires, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’appliquent également à une situation dont tous les éléments pertinents se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (points 98-110).

3.2 Elle en vient ensuite aux interrogations relatives au plan d’occupation des sols.

(i) La notion de « régime d’autorisation » étant définie comme « toute procédure qui a pour effet d’obliger un prestataire ou un destinataire à faire une démarche auprès d’une autorité compétente en vue d’obtenir un acte formel ou une décision implicite relative à l’accès à une activité de service ou à son exercice », un plan d’occupation des sols ne relève pas de cette notion.

Les prestataires concernés par l’interdiction énoncée par le plan d’occupation des sols ne le sont en effet pas à la suite d’une démarche individuelle, mais en raison de l’approbation de règles générales. Les articles 9 et 10 de la directive ne sont donc pas applicables (points 114-118).

(ii) La notion d’« exigence » est pour sa part définie comme « obligation, interdiction, condition ou limite prévue dans les dispositions législatives, réglementaires ou administratives des États membres ».

Or, le plan d’occupation des sols en cause interdit l’activité de commerce de détail de produits non volumineux, tels que des chaussures et des vêtements, dans une zone géographique située en dehors du centre-ville de la commune.

La Cour relève certes que le considérant 9 de la directive exclut les exigences telles que la réglementation en matière d’aménagement ou de développement du territoire ou celles relative à l’aménagement des zones urbaines et rurales, qui ne réglementent pas ou n’affectent pas spécifiquement l’activité de service, mais doivent être respectées par les prestataires dans l’exercice de leur activité économique, de la même façon que par des personnes agissant à titre privé.

Toutefois, les règles du plan d’occupation du sol ont pour objet spécifique de déterminer les zones géographiques où certaines activités de commerce de détail peuvent s’implanter et s’adressent ainsi aux seules personnes qui envisagent de développer ces activités dans ces zones géographiques.

Il s’agit donc bien d’exigences au sens de la directive, et ses articles 14 et 15 leur sont donc applicables (points 119-126).

(iii) Or, l’article 15 de la directive, qui n’était d’ailleurs mentionné ni par le requérant, ni par le Conseil d’Etat néerlandais, impose aux Etats membres, en vertu de son paragraphe 1, de vérifier si leur système juridique comprend une ou plusieurs exigences visées à son paragraphe 2 et, si c’est le cas, de veiller à ce que celles-ci soient compatibles avec les conditions de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité prévues son paragraphe 3.

A cet égard, en interdisant l’activité de commerce de détail de produits non volumineux dans une zone géographique située en dehors du centre-ville, le plan d’occupation des sols litigieux comporte une telle exigence puisqu’il subordonne l’accès à une activité de service ou son exercice à une limite territoriale.

Et, si l’appréciation du respect des conditions énoncées par la directive en pareille hypothèse relève du juge national, la Cour de justice relève néanmoins que la condition de nécessité, imposant que l’exigence soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (dont la définition mentionne la protection de l’environnement et de l’environnement urbain), pourrait être remplie en l’espèce puisque l’interdiction énoncée par le plan d’occupation des sols viserait à préserver la viabilité du centre-ville de la commune d’Appingedam et à éviter l’existence de locaux inoccupés en zone urbaine dans l’intérêt d’un bon aménagement du territoire (points 129-135).

Elle conclut donc que « l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2006/123 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que des règles contenues dans un plan d’occupation des sols d’une commune interdisent l’activité de commerce de détail de produits non volumineux dans des zones géographiques situées en dehors du centre-ville de cette commune, pourvu que l’ensemble des conditions énoncées à l’article 15, paragraphe 3, de cette directive soient remplies, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier » (point 136).

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