La CJUE confirme la condamnation de la France à la récupération des aides d’Etat incompatibles dans l’affaire « Sernam »

Catégorie

Contrats publics

Date

March 2018

Temps de lecture

6 minutes

CJUE 7 mars 2018 SNCF Mobilités c. Commission européenne, aff. n° C-127/16 P

A la suite de la décision « Sernam 2 » du 20 octobre 2004 1) Commission européenne 20 octobre 2004 concernant l’aide d’Etat partiellement mise à exécution par la France en faveur de l’entreprise « Sernam » dite « Sernam 2 » n° 2006/367/CE de la Commission européenne, la France a signalé à la Commission la vente en bloc des actifs de la société Sernam, une ancienne filiale de la SNCF spécialisée dans l’activité de messagerie et de transport express de colis et de palettes, à la Financière Sernam, nouvelle société créée par l’ancienne équipe de direction de Sernam. La Commission a néanmoins estimé, dans une décision du 9 mars 2012 2)Commission européenne 9 mars 2012 concernant l’aide d’Etat n° SA.12522 (C37/08) – France – Application de la décision « Sernam 2 » ,n° 2012/398/UE que plusieurs prescriptions issues de la décision « Sernam 2 » n’avaient pas été respectées concernant l’attribution d’une aide d’Etat à la société Sernam. Ainsi, la France a été condamnée à récupérer toutes les aides d’Etat attribuées par SNCF Mobilités qui sont incompatibles avec le marché intérieur, à hauteur de 642 millions d’euros.

SNCF Mobilités a introduit un recours contre la décision de la Commission devant le Tribunal de l’Union européenne (TUE) le 4 juin 2012. Le TUE a confirmé la décision de la Commission dans un arrêt du 17 décembre 2015 contre lequel s’est pourvue SNCF Mobilités 3) TUE 17 décembre 2015 SNCF & République française c. Commission européenne, aff. T-242/12. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le 7 mars 2018, a rejeté le recours, condamnant définitivement la France à la récupération des aides d’Etat déclarées incompatibles avec le marché intérieur.

1. La société Sernam exerçait son activité en tant que service à part entière de la SNCF, puis en tant que filiale à 100% de la SNCF après être devenue Sernam SCS le 1er février 2000. Le 21 décembre 2001, elle a été transformée en société anonyme 4)Commission européenne 23 mai 2001 « Sernam 1 » AE NN 122/00, point 7. Pour faciliter cette restructuration, la Commission européenne, dans sa décision dite « Sernam 1 », a autorisé l’attribution d’une aide d’Etat à hauteur de 503 millions d’euros le 23 mai 2001, soumises à plusieurs conditions, dont la reprise à 60% par la société Géodis par exemple 5) Commission européenne 23 mai 2001 « Sernam 1 » AE NN 122/00.

Cependant, les conditions de mise en œuvre réelles de l’aide d’Etat différaient des conditions que la décision « Sernam 1 » imposait, notamment dans la mesure où Géodis n’a repris la société qu’à hauteur de 15% et où une aide supplémentaire de 41 millions d’euros a été attribuée, au-delà du montant arrêté. Face au changement de circonstances, la Commission européenne a adopté la décision « Sernam 2 » du 20 octobre 2004 6) Commission européenne 20 octobre 2004 concernant l’aide d’Etat partiellement mise à exécution par la France en faveur de l’entreprise « Sernam » dite « Sernam 2 » n° 2006/367/CE. Cette décision relève les irrégularités dans l’application de la décision « Sernam 1 », ce qui a conduit la Commission à ordonner la récupération de l’aide de 41 millions d’euros, en maintenant malgré tout l’aide de 503 millions d’euros. La Commission a ajouté deux conditions à l’attribution de l’aide d’Etat : « le recentrage de Sernam sur ses activités d’acheminement ferroviaire et, d’autre part, le remplacement de ses activités d’acheminement par transport routier par le recours aux services d’entreprises indépendantes » ou alternativement la cession des actifs en bloc de Sernam à une entreprise n’ayant aucun lien juridique avec la SNCF, option que la France a préféré mettre en œuvre 7)CJUE 7 mars 2018 SNCF Mobilités c. Commission européenne, aff. C-127/16 P : point 6.

La cession s’est déroulée en quatre phases 8)Point 10 de l’arrêt :

► Recapitalisation de Sernam SA à hauteur de 57 millions d’euros par la SNCF qui alors détenait 100% des parts
► Sernam SA a effectué au profit de sa filiale Sernam Xpress un apport portant sur tous les éléments d’actif, dont les actifs issus de la recapitalisation, et sur les éléments de passif, à l’exclusion des passifs financiers, pour un montant de 38,5 millions d’euros. En contrepartie, Sernam SA a reçu une part de Sernam Xpress pour la valeur nominale de 100 euros
► Augmentation du capital de Sernam Xpress à hauteur de 2 millions d’euros, entièrement souscrite par la SNCF qui détient alors la majorité des parts de Sernam Xpress
► Cession de l’intégralité des parts de Sernam SA et de la SNCF à la Financière Sernam pour 2 millions d’euros.

Le 15 décembre 2005 la société Sernam SA a été liquidée. Le passif de la liquidation comprenait par ailleurs les 41 millions d’euros d’aide d’Etat incompatible qui devaient être récupérés.

2. Plusieurs plaintes ont à nouveau attiré l’attention de la Commission, dès le 24 juin 2005, sur une mise en œuvre abusive des aides de restructuration de Sernam, malgré le nouveau cadre établi 9)TUE 17 décembre 2015 SNCF & République française c. Commission européenne, aff. T-242/12 : point 34. Constatant plusieurs manquements liés à la mise en œuvre de la décision, la Commission a adopté la décision du 9 mars 2012 concernant l’aide d’Etat SA/ 12522 (C-37/08) – France – Application de la décision « Sernam 2 » n° 2012/398/UE, dite « Sernam 3 ».

La Commission a condamné la France à récupérer les aides distribuées à hauteur de 503 millions d’euros d’aides à la restructuration de Sernam devenues incompatibles, de 41 millions d’euros d’aides supplémentaires incompatibles, de 57 millions d’euros de recapitalisation de Sernam SA et de la somme de 38,5 millions d’euros d’abandon de créances. Elle a également regardées comme incompatibles les garanties octroyées par la SNCF lors de la transmission des activités de Sernam SA à la Financière Sernam.

3. Dans une décision du 17 décembre 2015, le TUE a rejeté tous les moyens soulevés par le recours introduit par la France et la SNCF à l’encontre de la décision « Sernam 3 », confirmant la mise en œuvre abusive de l’aide à la restructuration. La SNCF a donc formé un pourvoi contre la décision du TUE.

La Cour a confirmé l’interprétation du TUE et rejeté les nombreux moyens soulevés. L’objectif des opérations proposées par la Commission était de libérer des parts de marché en interrompant l’activité économique de Sernam dans un marché surcapacitaire, « le segment de marché du groupage/de la messagerie traditionnelle acheminée par voie routière » 10)Conclusions de l’avocat général M. Paolo MENGOZZI 20 juillet 2017, aff. C-127/16P, point 21. L’interruption économique de Sernam devait être mise en œuvre soit par le remplacement de ses moyens propres par les moyens et les services d’une ou plusieurs autres entreprises juridiquement et économiquement indépendantes de la SNCF, soit par la vente de ses actifs en bloc à une société n’ayant pas de lien juridique avec la SNCF 11)Article 3 § 1 & § 2 Commission européenne 20 octobre 2004 concernant l’aide d’Etat partiellement mise à exécution par la France en faveur de l’entreprise « Sernam » dite « Sernam 2 » n° 3006/367/CE.

Cette constatation a conduit la Cour à considérer que la cession des actifs en bloc excluait la cession parallèle des passifs. La libération en bloc des actifs, option adoptée par Sernam, permettait en effet à une entreprise tierce de reprendre l’activité de Sernam, à la place de Sernam qui avait irrégulièrement bénéficié d’aides d’Etat et dont la présence créait de ce fait une distorsion sur un marché surcapacitaire si elles n’étaient pas compensées 12) Points 54-60 de l’arrêt .

De même, la procédure de cession devait conduire à la sélection d’un candidat indépendant de la SNCF. La requérante soutenait qu’aucune offre appropriée n’avait pu être retenue et proposait de faire une analogie avec les principes applicables en matière de marchés publics, permettant de s’adresser à un opérateur n’ayant pas participé à la première procédure.

Sans se prononcer sur cette analogie, la Cour relève que selon le Tribunal, au moins un candidat demeurait encore partie intégrante du processus de sélection n’ayant pourtant pas abouti et qu’en la matière, le caractère ouvert et transparent d’une procédure d’appel d’offres s’apprécie en fonction d’un faisceau d’indices propres aux circonstances de chaque affaire. L’attribution à la Financière Sernam n’a pu respecter les prescriptions de la décision « Sernam 2 » en matière d’ouverture et de transparence de la procédure de cession puisque celle-ci n’avait pas soumis sa candidature à l’appel d’offres prévu par les conditions d’attribution de l’aide d’Etat en cause. La Cour en déduit que le Tribunal a pu, à bon droit, estimer que l’exigence relative au caractère ouvert et transparent de la procédure n’avait pas été respectée 13)Points 66-70 de l’arrêt..

La Cour a également relevé le lien entre Sernam et Sernam Xpress, notamment en raison de la fusion de Sernam Xpress et la Financière Sernam 14) Points 112 & 113 de l’arrêt , ainsi que le prix négatif qui a été acquitté, qui révèle la méconnaissance des dispositions de « Sernam 2 » qui requérait une vente à prix de marché 15)Point 110 de l’arrêt .

Le caractère abusif de l’application de la décision « Sernam 2 » s’est donc manifesté dans la transmission de la quasi-totalité des passifs de la société Sernam à la Financière Sernam, alors que seuls les actifs auraient dû être transmis. Les liens juridiques unissant Sernam, la SNCF, Sernam Xpress et la Financière Sernam méconnaissaient également la disposition selon laquelle l’entreprise tierce recevant les actifs Sernam devait être distincte. La condamnation à la récupération des aides d’Etat incompatibles est ainsi maintenue.

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References   [ + ]

1. Commission européenne 20 octobre 2004 concernant l’aide d’Etat partiellement mise à exécution par la France en faveur de l’entreprise « Sernam » dite « Sernam 2 » n° 2006/367/CE
2. Commission européenne 9 mars 2012 concernant l’aide d’Etat n° SA.12522 (C37/08) – France – Application de la décision « Sernam 2 » ,n° 2012/398/UE
3. TUE 17 décembre 2015 SNCF & République française c. Commission européenne, aff. T-242/12
4. Commission européenne 23 mai 2001 « Sernam 1 » AE NN 122/00, point 7
5. Commission européenne 23 mai 2001 « Sernam 1 » AE NN 122/00
6. Commission européenne 20 octobre 2004 concernant l’aide d’Etat partiellement mise à exécution par la France en faveur de l’entreprise « Sernam » dite « Sernam 2 » n° 2006/367/CE
7. CJUE 7 mars 2018 SNCF Mobilités c. Commission européenne, aff. C-127/16 P : point 6
8. Point 10 de l’arrêt
9. TUE 17 décembre 2015 SNCF & République française c. Commission européenne, aff. T-242/12 : point 34
10. Conclusions de l’avocat général M. Paolo MENGOZZI 20 juillet 2017, aff. C-127/16P, point 21
11. Article 3 § 1 & § 2 Commission européenne 20 octobre 2004 concernant l’aide d’Etat partiellement mise à exécution par la France en faveur de l’entreprise « Sernam » dite « Sernam 2 » n° 3006/367/CE
12. Points 54-60 de l’arrêt
13. Points 66-70 de l’arrêt.
14. Points 112 & 113 de l’arrêt
15. Point 110 de l’arrêt

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