L’indemnisation du titulaire d’une concession annulée : application dans le temps de l’article 56-1 de l’ordonnance Concessions et prise en considération des frais financiers

Catégorie

Contrats publics, Droit administratif général

Date

April 2018

Temps de lecture

7 minutes

CE 9 mars 2018 Société GSN-DSP, req. n° 406669 : mentionné aux tables du Rec. CE

 

La ville de Nice a conclu le 18 janvier 2006 avec un groupement momentané d’entreprises un contrat de concession portant sur la conception, la construction, la maintenance et l’exploitation d’un complexe de football dit « Grand stade Nice » (GSN) pour une durée de 30 ans, le contrat ayant été ensuite transmis à la société de projet constituée pour l’exécution de ce contrat, dénommée GSN-DSP.

Sur déféré du préfet, le tribunal administratif de Nice a, par un jugement en date du 22 décembre 2006, annulé la délibération autorisant la signature du contrat ainsi que le contrat au motif que les dispositions de l’article L. 1411-2 du code général des collectivités territoriales, alors applicables, avaient été méconnues, à défaut pour le contrat d’avoir stipulé les tarifs à la charge des usagers et précisé l’incidence sur ces tarifs des paramètres ou indices qui déterminent leur évolution. Cette décision n’a pas été contestée par les parties et est ainsi devenue définitive.

A la suite de cette annulation du contrat, la société a sollicité de la ville le versement d’une indemnité qu’elle a évaluée à plus de 40 millions d’EUR, responsabilités quasi-contractuelle (indemnisation des dépenses utiles sur le fondement de l’enrichissement sans cause) et quasi-délictuelle (indemnisation du bénéfice manqué en raison de la faute commise par la collectivité) confondues 1) CE 10 avril 2008 Société Decaux, n°244950CE 6 octobre 2017 Société CEGELEC Sud-ouest req. n° 395268 –arrêt d’application : CAA Marseille 2 mars 2015, société Vinci Park CGST, req. n° 12MA02902.

Par un jugement en date du 18 juillet 2014, le tribunal administratif de Nice a condamné la commune à verser à la société requérante une somme de 1 504 590 EUR HT. La société GSN-DSP a relevé appel de ce jugement et par un arrêt en date du 7 novembre 2016, la cour administrative d’appel de Marseille a porté cette somme à 2 454 210 EUR HT 2) CAA Marseille 7 novembre 2016 Société GSN-DSP, req. n° 14MA04055.

La société a formé un pourvoi contre cet arrêt en tant qu’il n’a fait droit que partiellement à ses demandes indemnitaires, notamment parce que la cour a exclu par principe l’indemnisation des frais financiers au titre des dépenses utiles exposées par le titulaire du contrat annulé.

1             Cette position est effectivement contraire tout à la fois à la jurisprudence du Conseil d’Etat rendue en la matière 3)  CE 16 novembre 2005 commune de Nogent-sur-Marne, req. n° 262360 : « Considérant que le cocontractant de l’administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé ; que, dans le cas où le contrat en cause est une concession de service public, il peut notamment, à ce titre, demander à être indemnisé de la valeur non amortie, à la date à laquelle les biens nécessaires à l’exploitation du service font retour à l’administration, des dépenses d’investissement qu’il a consenties, ainsi que du déficit qu’il a, le cas échéant, supporté à raison de cette exploitation, compte tenu notamment des dotations aux amortissements et des frais afférents aux emprunts éventuellement contractés pour financer les investissements, pour autant toutefois qu’il soit établi, au besoin après expertise, que ce déficit était effectivement nécessaire, dans le cadre d’une gestion normale, à la bonne exécution du service », et désormais à la rédaction de l’article 56-I 4) Article 56-I de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession : « En cas d’annulation, de résolution ou de résiliation du contrat de concession par le juge, faisant suite au recours d’un tiers, le concessionnaire peut prétendre à l’indemnisation des dépenses qu’il a engagées conformément au contrat dès lors qu’elles ont été utiles à l’autorité concédante, parmi lesquelles figurent, s’il y a lieu, les frais liés au financement mis en place dans le cadre de l’exécution du contrat y compris, le cas échéant, les coûts pour le concessionnaire afférents aux instruments de financement et résultant de la fin anticipée du contrat

  1. – Cette prise en compte des frais liés au financement est subordonnée à la mention, dans les annexes du contrat de concession, des principales caractéristiques des financements à mettre en place pour les besoins de l’exécution de la concession. » de l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession (« l’ordonnance »), puisque la jurisprudence comme le texte prévoient que les frais liés au financement des investissements engagés par le concessionnaire peuvent constituer des dépenses utiles, sous certaines conditions toutefois.

La société GSN-DSP a critiqué ce positionnement sous deux angles.

1.1       Tout d’abord, la société a soutenu que la cour avait commis une erreur de droit en n’appliquant pas l’article 56-I de l’ordonnance pour résoudre le litige.

Pour mémoire, l’article 78 de l’ordonnance précise que « La présente ordonnance entre en vigueur à une date fixée par voie réglementaire et au plus tard le 1er avril 2016, à l’exception du I de l’article 56 qui entre en vigueur le lendemain du jour de la publication de la présente ordonnance. […] Les I et III de l’article 56 de la présente ordonnance s’appliquent aux décisions juridictionnelles rendues à compter de l’entrée en vigueur desdites dispositions. »

La société GSN-DSP soutenait que les décisions juridictionnelles auxquelles l’article 78 fait référence sont celles statuant sur les demandes d’indemnisation des dépenses utiles, et non pas celles prononçant l’annulation, la résolution ou la résiliation du contrat. Cette approche lui permettait d’arguer que les dispositions de l’article 56-I étaient applicables au litige indemnitaire qu’elle avait introduit, l’arrêt de la cour ayant été rendu en novembre 2016, soit après l’entrée en vigueur de l’article 56-I de l’ordonnance.

Mais le Conseil d’Etat ne partage pas cette interprétation et considère que les dispositions de l’article 56-I s’appliquent aux décisions juridictionnelles qui prononcent l’annulation, la résolution, ou la résiliation du contrat de concession et qui sont intervenues à compter du 31 janvier 2016. En d’autres termes, les décisions juridictionnelles auxquelles l’article 78 fait référence sont celles qui décident du sort du contrat et qui sont le fait générateur des demandes indemnitaires, et non pas celles statuant sur ces dernières.

En l’espèce, le contrat de concession a été annulé par un jugement du 22 décembre 2006. Le litige portait donc sur l’indemnisation du préjudice né d’une annulation prononcée par une décision juridictionnelle antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance : les dispositions de l’article 56-I ne sont pas applicables au litige et la cour n’a pas commis d’erreur de droit en n’en faisant pas application.

1.2       Ensuite, la société GSN-DSP soutenait qu’en tout état de cause, la cour a commis une erreur de droit en excluant par principe les frais financiers du cadre des dépenses utiles indemnisables, alors que la jurisprudence du Conseil d’Etat en admet l’indemnisation dans certaines conditions 5) CE 16 novembre 2005 commune de Nogent-sur-Marne, req. n° 262360 : « Considérant que le cocontractant de l’administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé ; que, dans le cas où le contrat en cause est une concession de service public, il peut notamment, à ce titre, demander à être indemnisé de la valeur non amortie, à la date à laquelle les biens nécessaires à l’exploitation du service font retour à l’administration, des dépenses d’investissement qu’il a consenties, ainsi que du déficit qu’il a, le cas échéant, supporté à raison de cette exploitation, compte tenu notamment des dotations aux amortissements et des frais afférents aux emprunts éventuellement contractés pour financer les investissements, pour autant toutefois qu’il soit établi, au besoin après expertise, que ce déficit était effectivement nécessaire, dans le cadre d’une gestion normale, à la bonne exécution du service ».

Cet argument emporte effectivement la conviction du Conseil d’Etat. La haute juridiction rappelle ainsi que le titulaire d’un contrat annulé peut toujours, sur un terrain quasi-contractuel, prétendre au remboursement des dépenses exposées pour l’exécution d’un contrat et qui ont été utiles à la collectivité. Et le Conseil d’Etat réaffirme le considérant de principe de l’arrêt « Nogent-sur-Marne » précité, aux termes duquel dans le cadre d’un contrat de délégation de service public, sont comptées au titre des dépenses utiles exposées par le titulaire les « dépenses d’investissement qu’il a effectuées relatives aux biens nécessaires ou indispensables à l’exploitation du service, à leur valeur non amortie évaluée à la date à laquelle ces biens font retour à la personne publique, ainsi que du déficit d’exploitation qu’il a éventuellement supporté sur la période et du coût de financement de ce déficit, pour autant toutefois qu’il soit établi, au besoin après expertise, que ce déficit était effectivement nécessaire, dans le cadre d’une gestion normale, à la bonne exécution du service public et que le coût de financement de ce déficit est équivalent à celui qu’aurait supporté ou fait supporter aux usagers le délégant ».

Par conséquent, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que les frais financiers étaient exclus par principe des dépenses utiles, sans rechercher si ces dépenses correspondaient au coût de financement d’un déficit d’exploitation nécessaire au service public, et que le délégant aurait supporté dans les mêmes conditions.

L’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel de Marseille sur ce seul point, laquelle devra donc analyser si le déficit d’exploitation financé était nécessaire à la bonne exécution du service public et si le coût de son financement aurait été supporté dans les mêmes conditions par l’autorité délégante.

2          C’est le seul sujet du renvoi : le Conseil d’Etat valide la décision de la cour sur tous les autres postes indemnitaires.

D’abord, il relève que c’est à raison et au titre d’une motivation suffisante que la cour a retenu que les autres dépenses invoquées comme utiles par la requérante (frais de conception et frais de piquetage) n’ont pas présenté un tel caractère pour la collectivité, parce que celle-ci a engagé par la suite un projet conçu différemment, pour lequel ces prestations ne pouvaient pas être réutilisées.

Ce faisant, le Conseil d’Etat valide pour la première fois expressément l’approche retenue par la cour administrative d’appel de Bordeaux dans l’affaire du projet de métropolitain bordelais pour apprécier le caractère utile des dépenses engagées par le titulaire d’un contrat annulé : peu importe qu’elles aient été engagées utilement à l’époque, si la collectivité abandonne ensuite son projet et ne peut pas réutiliser les prestations pour lesquelles ces dépenses ont été engagées, celles-ci perdent leur caractère d’utilité et ne seront pas indemnisées 6) CAA Bordeaux 30 mars 2004 Société pour la concession du métro et du réseau de bus de l’agglomération bordelais (MB2), req. n° 00BX00197.. On notera que cette approche ne semble pas utilisée pour l’indemnisation des frais financiers (le déficit d’exploitation financé par le titulaire du contrat de concession n’est pourtant pas utile à la collectivité si les ouvrages n’ont pas été réalisés et que celle-ci change de projet – et finance un autre déficit, selon des conditions probablement différentes).

Ensuite, le Conseil d’Etat valide également la position de la cour sur la responsabilité quasi-délictuelle de la collectivité.

Certes, outre les dépenses utiles, le titulaire d’un contrat annulé peut prétendre à une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de la faute de l’administration, sous réserve du partage de responsabilité découlant le cas échéant de ses propres fautes. Ce préjudice correspond aux gains dont le co-contractant a été privé par l’annulation du contrat, c’est-à-dire le bénéfice qu’il aurait tiré de l’exécution du contrat. Mais pour cela, encore faut-il démontrer que l’exécution du contrat aurait effectivement permis de dégager des bénéfices : si l’exécution du contrat était projetée déficitaire, le titulaire du contrat n’a perdu aucun bénéfice du fait de l’annulation du contrat 7) CE 18 novembre 1988 Ville Amiens et Sté exploitation parc de stationnement gare routière Amiens, req. n° 61871 : publié au Rec. CE 1988, p. 417 ; RFDA 1990, p. 23, concl. Lévis..

Le Conseil d’Etat retient que la cour n’a commis aucune dénaturation des faits en jugeant que l’exécution normale du contrat se serait traduite par un déficit prévisionnel de l’ordre de 18 millions d’EUR, pour des dépenses du concessionnaire de l’ordre de 9 millions d’EUR : l’annulation du contrat n’a donc privé la requérante d’aucun bénéfice, mais lui a évité au contraire de supporter des pertes d’exploitation.

 

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1. CE 10 avril 2008 Société Decaux, n°244950CE 6 octobre 2017 Société CEGELEC Sud-ouest req. n° 395268 –arrêt d’application : CAA Marseille 2 mars 2015, société Vinci Park CGST, req. n° 12MA02902
2. CAA Marseille 7 novembre 2016 Société GSN-DSP, req. n° 14MA04055
3.   CE 16 novembre 2005 commune de Nogent-sur-Marne, req. n° 262360 : « Considérant que le cocontractant de l’administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé ; que, dans le cas où le contrat en cause est une concession de service public, il peut notamment, à ce titre, demander à être indemnisé de la valeur non amortie, à la date à laquelle les biens nécessaires à l’exploitation du service font retour à l’administration, des dépenses d’investissement qu’il a consenties, ainsi que du déficit qu’il a, le cas échéant, supporté à raison de cette exploitation, compte tenu notamment des dotations aux amortissements et des frais afférents aux emprunts éventuellement contractés pour financer les investissements, pour autant toutefois qu’il soit établi, au besoin après expertise, que ce déficit était effectivement nécessaire, dans le cadre d’une gestion normale, à la bonne exécution du service »
4.  Article 56-I de l’ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession : « En cas d’annulation, de résolution ou de résiliation du contrat de concession par le juge, faisant suite au recours d’un tiers, le concessionnaire peut prétendre à l’indemnisation des dépenses qu’il a engagées conformément au contrat dès lors qu’elles ont été utiles à l’autorité concédante, parmi lesquelles figurent, s’il y a lieu, les frais liés au financement mis en place dans le cadre de l’exécution du contrat y compris, le cas échéant, les coûts pour le concessionnaire afférents aux instruments de financement et résultant de la fin anticipée du contrat

  1. – Cette prise en compte des frais liés au financement est subordonnée à la mention, dans les annexes du contrat de concession, des principales caractéristiques des financements à mettre en place pour les besoins de l’exécution de la concession. »
5.  CE 16 novembre 2005 commune de Nogent-sur-Marne, req. n° 262360 : « Considérant que le cocontractant de l’administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé ; que, dans le cas où le contrat en cause est une concession de service public, il peut notamment, à ce titre, demander à être indemnisé de la valeur non amortie, à la date à laquelle les biens nécessaires à l’exploitation du service font retour à l’administration, des dépenses d’investissement qu’il a consenties, ainsi que du déficit qu’il a, le cas échéant, supporté à raison de cette exploitation, compte tenu notamment des dotations aux amortissements et des frais afférents aux emprunts éventuellement contractés pour financer les investissements, pour autant toutefois qu’il soit établi, au besoin après expertise, que ce déficit était effectivement nécessaire, dans le cadre d’une gestion normale, à la bonne exécution du service »
6. CAA Bordeaux 30 mars 2004 Société pour la concession du métro et du réseau de bus de l’agglomération bordelais (MB2), req. n° 00BX00197.
7. CE 18 novembre 1988 Ville Amiens et Sté exploitation parc de stationnement gare routière Amiens, req. n° 61871 : publié au Rec. CE 1988, p. 417 ; RFDA 1990, p. 23, concl. Lévis.

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