Méthode de notation des offres et contentieux indemnitaire : l’irrégularité de la méthode de notation ne peut donner lieu à indemnisation du candidat évincé que si elle a été la cause directe de son éviction

Catégorie

Contrats publics

Date

May 2018

Temps de lecture

5 minutes

CE, 6 avril 2018, Société Nouvelle d’Entreprise Générale du Sud-Ouest (SNEGSO), req. n° 402219

Le contexte de la décision

Le 1er décembre 2010, un groupement de commandes a lancé une procédure d’appel d’offres en vue de l’attribution d’un marché public de travaux de réaménagement d’une résidence HLM située à Bayonne, comportant dix lots techniques.

A la suite du rejet de son offre, la Société Nouvelle d’Entreprise Générale du Sud-Ouest (SNEGSO) a demandé au tribunal administratif de Pau de condamner le pouvoir adjudicateur à l’indemniser d’un préjudice qu’elle estime avoir subi du fait d’une éviction irrégulière de la procédure de consultation.

Accueillie en première instance, la requête a été rejetée par la cour administrative d’appel de Bordeaux, qui a annulé le jugement. Par un premier arrêt de cassation rendu le 1er juillet 2015, le Conseil d’Etat a toutefois annulé cette solution et ordonné le renvoi de l’affaire devant la même juridiction, laquelle a rejeté de nouveau la requête de la SNEGSO.

Saisi d’un nouveau pourvoi, le Conseil d’Etat a, par la décision commentée du 6 avril 2018, annulé le second arrêt d’appel pour insuffisance de motivation. Il a ensuite réglé l’affaire au fond, ainsi qu’il y était tenu par les textes[1], sans pour autant accueillir la demande indemnitaire de la SNEGSO. Ce faisant, il a apporté d’utiles précisions sur le contrôle de la régularité de la méthode de notation des offres retenue par l’acheteur (1) puis, corrélativement, sur les éventuelles conséquences indemnitaires qu’il convient d’en tirer à l’égard du candidat évincé (2).

 

Un nouvel exemple de méthode de notation des offres jugée irrégulière

Ecartant brièvement le grief tiré de l’irrégularité des critères et des sous-critères, le juge a examiné plus longuement celui relatif à l’irrégularité de la méthode de notation retenue par le pourvoir adjudicateur. Comme dans son premier arrêt de cassation, le Conseil d’Etat a fait ici application de sa jurisprudence Commune de Belleville-sur-Loire[2], laquelle permet au juge administratif de sanctionner le fait pour un acheteur public de recourir à une méthode de notation conduisant à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération.

Ont ainsi pu être jugées irrégulières des méthodes de notation conduisant à l’attribution de notes négatives[3], à l’attribution de la meilleure note à l’offre la plus proche de l’estimation faite par le pouvoir adjudicateur[4], à l’attribution d’une note selon une formule incluant le prix proposé et le prix de l’offre la plus basse ayant pour effet de neutraliser les écarts entre les prix[5] ou encore à l’attribution automatique de la note maximale à l’offre la moins-disante et de la note minimale à l’offre la plus onéreuse ayant pour effet, au regard de la pondération élevée du prix, de neutraliser les autres critères[6].

La décision commentée fournit un nouvel exemple de méthode de notation jugée irrégulière. En l’espèce, le pouvoir adjudicateur avait choisi d’attribuer une note globale à chaque candidat, fondée sur la moyenne arithmétique des notes obtenues lot par lot. Aux termes de son premier arrêt, le Conseil d’Etat avait déjà admis que le calcul de cette note globale ne permettait pas de tenir compte de la grande disparité des valeurs des différents lots ni, par suite, d’identifier l’offre dont le prix était effectivement le plus avantageux.

Confirmant cette solution, la décision commentée ajoute que, pour tenir compte de la disparité des valeurs des lots, il appartenait au pouvoir adjudicateur d’appliquer aux notes obtenues sur chacun des lots un coefficient de pondération résultant du rapport entre (i) la valeur de chaque lot et (ii) la valeur estimée de l’ensemble du marché.

En ce sens, le Conseil d’Etat fait œuvre de pédagogie en identifiant clairement la méthode de notation qui aurait dû être retenue, afin de garantir le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse et d’éviter une sanction au titre de la jurisprudence Commune de Belleville-sur-Loire. Une telle démarche se révèle d’autant plus cohérente que c’est précisément le silence gardé par le juge d’appel sur la méthode retenue pour établir une note comparative qui a fondé l’annulation de l’arrêt d’appel pour insuffisance de motivation.

 

Méthode de notation irrégulière : une indemnisation non-garantie du candidat évincé

Après avoir constaté l’irrégularité de la méthode de notation, le Conseil d’Etat s’est attaché à établir les conséquences qu’il convenait d’en tirer. Il a ici suivi sa propre jurisprudence, initiée cinq ans plus tôt[7] et récemment enrichie par un arrêt Société Bancel[8], dont il a d’ailleurs repris le considérant de principe[9].

Il ressort de ces décisions que, lorsqu’un candidat évincé demande l’indemnisation d’un préjudice résultant d’une éviction irrégulière, le juge adopte un raisonnement en deux étapes : d’une part, il doit établir l’existence ou non des irrégularités alléguées ; d’autre part, il lui appartient de déterminer l’existence d’un lien causal direct entre la faute résultant des irrégularités constatées et les préjudices dont se prévaut le requérant.

En l’espèce, la Haute Juridiction a pu constater, par une appréciation mathématique du lien causal, qu’en appliquant la méthode de notation exposée par ses soins, la société requérante conservait une note globale inférieure à celle de la société attributaire du marché. Elle en a donc déduit que l’irrégularité de la procédure de consultation n’avait pas eu d’incidence sur le classement de l’offre de la SNEGSO.

Suivant une logique classique, selon laquelle un manquement ne peut donner lieu à indemnisation que s’il a directement causé le préjudice dont le requérant se prévaut, le Conseil d’Etat prend ici soin de souligner, s’agissant des méthodes de notation, que, pour que le lien direct de causalité soit caractérisé, l’irrégularité doit avoir été « la cause directe de l’éviction du candidat ».

Aussi, dès lors que l’application d’une méthode de notation régulière ne permettait pas à la requérante d’obtenir une note supérieure à celle de l’attributaire, l’irrégularité de la méthode de notation retenue par le pouvoir adjudicateur ne saurait constituer la cause directe de son éviction. C’est la raison pour laquelle ladite irrégularité ne pouvait fonder, en l’espèce, une condamnation d’Habitat Sud Atlantic à indemniser la SNEGSO.

 

 

[1] En vertu de l’article L. 821-2, alinéa 2 du code de justice administrative

[2] CE, 3 novembre 2014, Commune de Belleville-sur-Loire, req. n° 373362

[3] CE, 18 décembre 2012, Département de la Guadeloupe, req. n° 362532

[4] CE, 29 octobre 2013, OPH Val d’Oise Habitat, req. n° 370798

[5] CE, 3 novembre 2014, Commune de Belleville-sur-Loire, préc.

[6] CE, 24 mai 2017, Sté Technico Logistique, req. n° 405787

[7] CE, 10 juillet 2013, Cie martiniquaise des transports, req. n° 362777

[8] CE, 10 février 2017, Sté Bancel, req. n° 393720

[9] Cons. 13 : « Considérant, toutefois, que, lorsqu’un candidat à l’attribution d’un marché public demande la réparation du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de l’irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et les préjudices dont le candidat demande l’indemnisation ; qu’il s’en suit que lorsque l’irrégularité ayant affecté la procédure de passation n’a pas été la cause directe de l’éviction du candidat, il n’y a pas de lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à raison de son éviction ; que sa demande de réparation des préjudices allégués ne peut alors qu’être rejetée ».

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