Nouvelles précisions contentieuses sur l’autorisation environnementale  

Catégorie

Environnement, Urbanisme et aménagement

Date

September 2018

Temps de lecture

6 minutes

CE avis 26 juillet 2018 Association Non au projet éolien de Walincourt-Selvigny et Haucourt-en-Cambrésis, req. n° 416831, publié au Rec. CE.

Après l’avis contentieux Association Novissen du 22 mars 2018 1)CE 22 mars 2018 Association Novissen, req. n° 415852 : Rec. CE. Voir notre article sur cet avis : http://www.adden-leblog.com/2018/04/02/precisions-sur-le-regime-contentieux-de-lautorisation-environnementale/#footnote_0_10755, le Conseil d’Etat vient à nouveau de préciser les modalités de la procédure contentieuse après l’entrée en vigueur des dispositions de l’ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 2)Ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l’autorisation environnementale et son décret d’application n° 2017-81 du même jour, codifiées aux articles L. 181-1 et suivants du code de l’environnement instituant l’autorisation environnementale.

Pour mémoire, rappelons que cette ordonnance a été prise à la suite de l’expérimentation pendant près de trois ans de ce qui était dénommé « autorisation unique », prévue par l’ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 et son décret d’application 3)Ordonnance n° 2014-355 du 20 mars 2014 relative à l’expérimentation d’une autorisation unique en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement et décret n° 2014-450 du 2 mai 2014 pris pour application de cette ordonnance. En outre, une ordonnance n° 2014-619 du 12 juin 2014 relative à l’expérimentation d’une autorisation unique pour les installations, ouvrages, travaux et activités soumis à autorisation au titre de l’article L. 214-3 du code de l’environnement a été prise le même jour.

Ainsi, la société Les vents du Sud Cambrésis a, sur ce fondement, sollicité le 7 novembre 2014 une demande d’autorisation unique portant sur la construction et l’exploitation d’un parc éolien Le Bois de Saint Aubert. Par un arrêté du 26 janvier 2016, le préfet du Nord a délivré l’autorisation sollicitée. L’association « Non au projet éolien de Walincourt-Selvigny et Haucourt-en-Cambrésis » et d’autres requérants ont saisi le tribunal administratif de Lille d’une requête en annulation de l’arrêté. Par un jugement du 14 décembre 2017, le tribunal administratif a décidé de saisir le Conseil d’Etat d’une demande d’avis sur l’application éventuelle de l’ordonnance du 26 janvier 2017 au litige, au regard de l’évolution du cadre juridique.

C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat apporte une nouvelle série de précisions et introduit son propos en énonçant l’objet même d’une autorisation environnementale : « permettre qu’une décision unique tienne lieu de plusieurs décisions auparavant distinctes ».

1          Présentation des règles procédurales applicables aux autorisations uniques

Le Conseil d’Etat annonce tout d’abord que l’ordonnance du 26 janvier 2017 n’a ni pour objet, ni pour effet de modifier rétroactivement les dispositions régissant la procédure de délivrance des autorisations uniques prévue par l’ordonnance du 26 mars 2014, la date d’entrée en vigueur du 1er mars 2017 étant indiquée expressément à l’article 15 de l’ordonnance du 26 janvier 2017.

La Haute Juridiction précise ensuite que depuis le 1er mars 2017, l’autorisation environnementale est soumise à un contentieux de pleine juridiction 4)L. 181-17 du code de l’environnement., comme l’était d’ailleurs l’autorisation unique ainsi que les autres autorisations délivrées avant cette date.

Cette précision relative à la nature du contentieux emporte des conséquences sur les modalités d’examen du juge. Ainsi, en reprenant les termes de l’arrêt SIETOM 5)CE 22 septembre 2014 SIETOM, req. n° 367889., le Conseil d’Etat indique que le juge apprécie :

  • le respect des règles de procédure régissant la demande d’autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l’autorisation ;
  • le respect des règles de fond régissant l’installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il statue, sous réserve du respect des règles d’urbanisme qui s’apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l’autorisation.

Le rappel de ces règles le conduit alors à affirmer que bien que les autorisations uniques délivrées au titre de l’ordonnance du 20 mars 2014 soient considérées depuis le 1er mars 2017 comme des autorisations environnementales, le juge saisi d’une contestation contre une autorisation unique devra apprécier sa légalité au regard des règles procédurales applicables aux autorisations uniques à la date de sa délivrance.

Enfin, dans le prolongement de l’avis Association Novissen 6)CE 22 mars 2018 Association Novissen, req. n° 415852 : Rec. CE. Voir notre article sur cet avis : http://www.adden-leblog.com/2018/04/02/precisions-sur-le-regime-contentieux-de-lautorisation-environnementale/#footnote_0_10755, le Conseil d’Etat revient sur les possibilités de régularisation d’une autorisation. Aussi, il précise que le juge du plein contentieux peut prendre en compte la circonstance, au moment où il statue, que les irrégularités affectant l’autorisation ont été régularisées sous réserve que cette régularisation n’ait pas eu pour effet de nuire à l’information complète de la population.

Si en revanche une telle régularisation n’est pas intervenue à la date à laquelle le juge statue, il peut, en application de l’article 181-18 du code de l’environnement, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration d’un délai qu’il fixe afin de permettre à l’administration de régulariser l’illégalité par une autorisation modificative.

2          Spécificités des autorisations uniques valant permis de construire

En application de l’article 2 de l’ordonnance de 2014, l’autorisation unique valait permis de construire au titre de l’article L. 421-1 du code de l’urbanisme. Mais l’article premier de l’ordonnance de 2017, codifié à l’article L. 181-2 du code de l’environnement, prévoit à l’inverse que l’autorisation environnementale ne tient pas lieu de permis construire.

Dès lors, comment articuler le passage de l’autorisation unique à l’autorisation environnementale concernant le volet du permis de construire ?

Le Conseil d’Etat y répond clairement : bien que l’autorisation unique soit regardée comme une autorisation environnementale, elle continue de produire ses effets en tant qu’elle vaut permis de construire.

Par suite, le juge saisi de moyens contre une autorisation unique en tant qu’elle vaut permis de construire statue comme juge de l’excès de pouvoir, c’est-à-dire à la date de la délivrance de l’autorisation d’urbanisme.

Dernière précision : si un permis de construire n’est plus requis pour un projet d’installation d’éoliennes terrestres depuis le 1er mars 2017, cette modification est sans incidence sur la légalité des autorisations uniques, qui ont été délivrées avant cette date.

3          Focus sur le contrôle des capacités techniques et financière du bénéficiaire d’une autorisation environnementale

Les articles L. 181-27 et D. 181-15-2 du code de l’environnement ont modifié les règles de fond relatives aux capacités techniques et financières de l’exploitant d’une installation classée pour la protection de l’environnement, antérieurement définies à l’article L. 512-1 du même code. Ces dispositions allègent le contrôle en amont des capacités de l’exploitant.

En effet, rappelons que par une décision Société Hambrégie du 22 février 2016 7)CE 22 février 2016 Société Hambrégie, req. n°384821., le Conseil d’Etat avait interprété les anciennes dispositions comme impliquant que le pétitionnaire était tenu de fournir des indications précises et étayées sur ses capacités techniques financière à l’appui de son dossier de demande et que l’autorisation ne pouvait pas être légalement délivrée si ces conditions n’étaient pas remplies.

Cette jurisprudence, très exigeante, ne prenait finalement pas en compte le contexte des projets d’énergie. En effet, ces projets prennent souvent la forme de société de projet, de sorte que les financements et les principaux contrats ne seront conclus et exécutés qu’après le dépôt du dossier de demande. C’est dans ces conditions que l’ordonnance de 2017 et son décret d’application ont modifié la réglementation applicable afin de permettre que l’autorisation prenne en compte les capacités techniques et financières que le pétitionnaire entend mettre en œuvre 8)L. 181-17 du code de l’environnement..

Dans le présent avis, le Conseil d’Etat relève ainsi que le dossier d’une demande d’autorisation déposée depuis le 1er mars 2017 ne doit plus comporter des indications précises et étayées sur les capacités techniques et financières exigées par l’article 181-27 du code de l’environnement, mais seulement une présentation des modalités prévues pour établir ces capacités, dans l’hypothèse où elles ne sont pas constituées à ce stade.

Le Conseil d’Etat se prononce enfin sur plusieurs autres points relatifs au contrôle des capacités techniques et financières du bénéficiaire d’une autorisation environnementale :

3.1 En ce qui concerne le contrôle du juge :

  • une autorisation d’exploiter une installation classée ne peut légalement être délivrée sous le contrôle du juge du plein contentieux des installations classées si les conditions qu’elles posent ne sont pas remplies ;
  • lorsque le juge se prononce sur la légalité de l’autorisation avant la mise en service de l’installation, il lui appartient, si la méconnaissance de ces règles de fond est soulevée, de vérifier la pertinence des modalités selon lesquelles le pétitionnaire prévoit de disposer de capacités financières et techniques suffisantes pour assumer l’ensemble des exigences susceptibles de découler du fonctionnement, de la cessation éventuelle de l’exploitation et de la remise en état du site, au regard des intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du code de l’environnement, ainsi que les garanties de toute nature qu’il peut être appelé à constituer à cette fin en application des articles L. 516-1 et L. 516-2 du même ;
  • lorsque le juge se prononce après la mise en service de l’installation, il lui appartient de vérifier la réalité et le caractère suffisant des capacités financières et techniques du pétitionnaire ou, le cas échéant, de l’exploitant auquel il a transféré l’autorisation.

3.2 En ce qui concerne les pouvoirs du préfet :

  • postérieurement à la délivrance de l’autorisation, le préfet peut à tout moment prescrire par arrêté complémentaire la fourniture de précisions ou la mise à jour des informations relatives aux capacités techniques et financières de l’exploitant 9)181-14 et R. 181-45 du code de l’environnement.;
  • en cas d’inobservation des prescriptions citées, le préfet met en demeure la personne à laquelle incombe l’obligation d’y satisfaire dans un délai déterminé 10)171-8 du code de l’environnement.;
  • si à l’expiration du délai imparti, il n’a pas été déféré à la mise en demeure, le préfet peut arrêter une ou plusieurs des sanctions administratives 11)171-8 du code de l’environnement..

3.3 En ce qui concerne le recours des tiers :

  • Les tiers peuvent agir auprès du préfet s’ils estiment que l’exploitant ne justifie pas disposer des capacités techniques et financières exigées par l’article L. 181-27 du code de l’environnement et contester devant le juge administratif l’éventuel refus du préfet de prendre des mesures qu’ils estiment nécessaires 12)181-52 du code de l’environnement. .

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