Refus du Conseil d’Etat de transmettre la QPC sur l’article L. 111-12 e) devenu L. 421-9 5° du code de l’urbanisme relatif aux constructions irrégulières achevées depuis plus de 10 ans

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

September 2018

Temps de lecture

5 minutes

CE 12 septembre 2018 M. C… D…, req. n° 419092 : Inédit au recueil Lebon

CE 12 septembre 2018 M. F… G…, req. n° 419093 : Inédit au recueil Lebon

  1. Contexte

Par deux arrêtés du 5 octobre 2009, le maire de Vallauris a délivré à M. F… G… et  M. G… H. un permis de construire autorisant la réhabilitation et la modification des toitures et façades d’une construction à usage d’habitation existante.

  1. H… A et M. I… A… ont demandé au tribunal administratif de Nice d’annuler cet arrêté.

Par un jugement n° 1000773 du 15 avril 2011, le tribunal administratif de Nice a annulé ces deux arrêtés.

  1. G…H et la commune de Vallauris ont interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Marseille.

La cour administrative d’appel de Marseille[1] a rejeté les requêtes des requérants au motif qu’il leur appartenait de déposer une demande de permis de construire portant sur l’ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu’il avait été initialement approuvé en application du e) de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme et a accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de l’article UC 14 du règlement du PLU.

Les requérants, M. C … D et M. F…G demandent au Conseil d’Etat, à l’appui de leurs pourvois tendant à l’annulation des arrêts nos 17MA00507 et 17MA00508 du 18 janvier 2018 de la cour administrative d’appel de Marseille, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du e) de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme (devenu aujourd’hui 5° de l’article L. 421-9).

Le premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel prévoit en effet que :

« Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé […] à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’Etat […] ».

Le Conseil constitutionnel peut être saisi de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à la triple condition que :

  • la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure,
  • qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances,
  • et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

C’est dans ce cadre que le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer quant à l’opportunité de renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel.

  1. La décision du Conseil d’Etat

Pour mémoire, l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme dispose que :

« Lorsqu’une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou de déclaration de travaux ne peut être fondé sur l’irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l’urbanisme.

Les dispositions du premier alinéa ne sont pas applicables :

  1. a) Lorsque la construction est de nature, par sa situation, à exposer ses usagers ou des tiers à un risque de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ;
  2. b) Lorsqu’une action en démolition a été engagée dans les conditions prévues par l’article 480-13 ;
  3. c) Lorsque la construction est située dans un site classé en application des articles 341-2 et suivants du code de l’environnement ou un parc naturel créé en application des articles L. 331-1 et suivants du même code ;
  4. d) Lorsque la construction est sur le domaine public ;
  5. e) Lorsque la construction a été réalisée sans permis de construire ;
  6. f) Dans les zones visées au 1° du II de l’article 562-1 du code de l’environnement»

Le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord que ces dispositions instaurent une « prescription administrative » dont peuvent bénéficier les travaux réalisés, depuis plus de dix ans, lors de la construction primitive ou à l’occasion des modifications apportées à celle-ci, sous réserve qu’ils n’aient pas été réalisés sans permis de construire en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables.

Le Conseil d’Etat précise qu’à la différence des travaux réalisés depuis plus de dix ans sans permis de construire, alors que ce dernier était requis, peuvent bénéficier de cette prescription ceux réalisés sans déclaration préalable[2].

Les requérants soutiennent que ces dispositions portent atteinte au droit de propriété :

« ces dispositions portent une atteinte disproportionnée à l’exercice du droit de propriété protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, dès lors qu’elles ont pour effet de priver une personne ayant acquis un immeuble, lorsque ce dernier a fait l’objet, depuis plus de dix ans, de travaux effectués sans le permis de construire requis, de la possibilité de lui apporter des modifications. Il fait valoir qu’un propriétaire placé dans une telle situation se voit privé de jouir pleinement de son bien du fait d’agissements dont il n’est pas responsable et dont il ne pouvait raisonnablement avoir connaissance ».

Le Conseil d’Etat refuse de transmettre la QPC au motif qu’elle n’est ni nouvelle ni sérieuse :

« 3. Le droit de propriété implique le droit de jouir et de disposer librement de ses biens dans la mesure où il n’en est pas fait un usage prohibé par les lois ou les règlements qui l’encadrent. Les restrictions apportées par les dispositions relatives aux règles d’urbanisme aux conditions d’exercice du droit de propriété, qui conduisent notamment à soumettre la réalisation de certains travaux à une déclaration préalable ou à un permis de construire, sont justifiées par l’intérêt général qui s’attache à la maîtrise de l’occupation des sols et du développement urbain. En prévoyant qu’une demande d’autorisation d’urbanisme tendant à la modification d’une construction existante ne peut être rejetée au seul motif que cette construction aurait fait l’objet de travaux réalisés irrégulièrement, si ces travaux sont achevés depuis plus de dix ans, le législateur a donc apporté à ces restrictions une dérogation favorable à l’exercice du droit de propriété. En n’étendant pas cette dérogation aux irrégularités les plus graves, c’est-à-dire à celles qui concernent des travaux réalisés sans permis de construire, il n’a, eu égard à l’objectif d’intérêt général poursuivi, pas porté au droit de propriété une atteinte disproportionnée.

  1. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas de caractère sérieux. Ainsi, sans qu’il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions du e) du I de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté. »

Ce faisant, le Conseil d’Etat considère que cette « prescription administrative » est un dispositif qui est favorable au propriétaire, puisqu’elle permet aux constructions irrégulières qui sont achevées depuis plus de dix ans d’être modifiées ultérieurement sans avoir à régulariser l’ensemble, sauf dans l’hypothèse des irrégularités les plus graves, telles que la construction sans permis de construire, et ce, au regard « d’un objectif d’intérêt général » qui est « la maîtrise de l’occupation des sols et du développement urbain ».

On relèvera que le moyen tiré de l’atteinte au droit de propriété a déjà été écarté précédemment par la cour administrative d’appel de Lyon, mais dans cette affaire, le requérant soutenait notamment que ces dispositions portent atteinte au droit de propriété protégé par l’article 17 (et non l’article 2) de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et qu’elles empêchent un propriétaire qui n’est pas le responsable d’un changement de destination de réaliser des travaux soumis à permis de construire et donc de disposer de son bien.

Toutefois, la demande de transmission au Conseil d’Etat de l’examen de la QPC visant l’ancien article L. 111-12 a été rejetée par la cour, la condition, tenant au caractère sérieux de la question soulevée n’étant pas remplie dès lors que, selon elle, l’article L. 111-12 n’entre pas dans le champ d’application du droit de propriété :

« 3. Considérant que le principe de sécurité juridique n’est pas au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution au sens de son article 61-1 ;

  1. Considérant que les dispositions de l’article L. 111-12 du code de l’urbanisme en tant qu’elles exceptent de la prescription administrative qu’elles instituent les constructions réalisées sans permis de construire n’ont ni pour objet ni pour effet d’autoriser une quelconque dépossession ; que dès lors, ces dispositions n’entrent pas dans le champ d’application de la garantie instituée à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789»[3].

 

[1]              CAA Marseille 18 janvier 2018, req. nos 17MA00507 et 17MA00508, Inédit au recueil Lebon

[2]              Ce qui avait déjà été précisé dans CE 3 février 2017, req. n° 373898 : Rec. CE

[3]              CAA Lyon 11 juillet 2013, req. n° 13LY01163

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