La réalité et l’étendue des droits d’exclusivité fondant le recours au marché négocié sans publicité ni mise en concurrence doivent être vérifiées par l’acheteur

Catégorie

Contrats publics

Date

January 2019

Temps de lecture

4 minutes

CAA Paris 11 décembre 2018 Société Steam France, req. n° 17PA01588

1          Par un acte d’engagement en date du 7 juillet 2015, l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) a conclu un marché à bons de commandes avec la société Getinge France pour la maintenance, la télémaintenance et la fourniture de pièces détachées des laveurs-désinfecteurs d’instruments de chirurgie ou de verrerie de laboratoire de marques « Getinge », « Maquet » et « Lancer ».

Sur le fondement de l’article 35 II 8° du code des marchés publics, le marché a été attribué au terme d’une procédure négociée sans publicité préalable ni mise en concurrence, l’AP-HP se prévalant de droits d’exclusivité de la société Getinge France.

La société Steam France, considérant qu’elle aurait pu candidater si une mise en concurrence avait été organisée, a demandé à l’AP-HP de déclarer sans suite la procédure et d’en organiser une. L’AP-HP a rejeté cette demande. Par jugement du 9 mars 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté le recours en contestation de la validité du marché formé par la société Steam France ; cette dernière a interjeté appel.

2          Rappelons que l’article 35 II 8° du code des marchés publics, applicable au marché litigieux, prévoyait que les acheteurs publics puissent passer des marchés négociés sans publicité préalable et sans mise en concurrence lorsque les prestations ne peuvent être confiées « qu’à un opérateur économique déterminé pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité ». Cette exception a depuis été reprise à l’article 30 I 3° du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics et est prévue à l’article R. 2122-3 du code de la commande publique.

La jurisprudence 1)CE 2 octobre 2013 Département de l’Oise, req. n° 368846 – voir également  CE 29 novembre 1996 Département des Alpes de Haute-Provence, req. n° 102165 ou CE 10 octobre 1979 Préfet de la Loire, req. n° 01652 : mentionné aux tables du Rec. CE. conditionne la mise en œuvre de cette exception :

  • aux raisons, tenant notamment à la protection de droits d’exclusivité, qui limitent à un seul opérateur la possibilité de satisfaire les besoins de l’acheteur public, et ;
  • ces motifs doivent rendre indispensable l’attribution du marché au prestataire déterminé.

L’exclusivité de l’opérateur ne doit pas avoir été organisée par une définition artificielle des besoins par l’acheteur public.

Dans l’arrêt commenté, la cour administrative d’appel de Paris, en se fondant sur l’article 5 du code des marchés publics relatif à la détermination des besoins à satisfaire et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 septembre 2004 Commission contre République italienne n° C-385/02 2) « Les dispositions de l’article 7, paragraphe 3, de la directive, qui autorisent des dérogations aux règles visant à garantir l’effectivité des droits reconnus par le traité CE dans le secteur des marchés publics des travaux, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte et c’est à celui qui entend s’en prévaloir qu’incombe la charge de la preuve que les circonstances exceptionnelles justifiant la dérogation existent effectivement (voir, en ce sens, arrêts du 18 mai 1995, Commission/Italie, C-57/94, Rec. p. I-1249, point 23, et du 28 mars 1996, Commission/Allemagne, C-318/94, Rec. p. I-1949, point 13). Il en découle que les autorités italiennes doivent prouver que des raisons techniques rendaient nécessaire l’attribution des marchés en cause à l’entrepreneur chargé du contrat initial (voir, en ce sens, arrêt Commission/Italie, précité, point 24) ». , précise que « c’est à l’autorité adjudicatrice qu’il appartient d’établir non seulement la nature et l’étendue des besoins à satisfaire […] mais aussi […], l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant une dérogation aux règles visant à garantir l’effectivité du principe de libre concurrence ».

3          En l’espèce, la cour constate d’une part qu’antérieurement comme postérieurement au marché en litige, des prestations identiques sur des laveurs désinfecteurs de mêmes marques (Getinge, Maquet et Lancer) ont été attribuées aux termes de procédures de mise en concurrence précédées de publicité à la société Steam France par plusieurs établissements hospitaliers, dont l’AP-HP, sans que les droits exclusifs dont se prévaut la société Getinge aient été invoqués à l’époque.

D’autre part, la cour relève que le « document intitulé “certificat d’exclusivité” daté du 3 mars 2014, établi à son profit par la société Getinge France, versé au dossier par l’AP-HP pour justifier du recours à la procédure de marché négocié sans publicité préalable et sans mise en concurrence » se limitait à « énumérer de manière succincte et générique une liste de matériels et prestations pour lesquels ladite société disposerait d’une exclusivité, sans référence à la télémaintenance » et ne permettait donc pas de déterminer «  la période au cours de laquelle cette exclusivité se serait appliquée, ni s’il a été communiqué à l’AP-HP au moment de la détermination du mode de passation du marché litigieux ».

La cour en conclut que l’AP-HP n’établissait pas, à la date de l’attribution du marché, que la société attributaire disposait de droits d’exclusivité qui lui rendaient indispensable l’attribution du marché sans publicité préalable ni mise en concurrence. La procédure était donc irrégulière. La cour a donc prononcé l’annulation du marché tout en différant l’annulation au 1er avril 2019 compte tenu de l’intérêt général qui s’attache à l’objet du marché.

Cette jurisprudence est l’occasion de rappeler qu’il appartient aux acheteurs publics de sérieusement vérifier la réalité, la nature et l’étendue des droits d’exclusivité invoqués au moment de la préparation du marché pour s’assurer qu’ils justifient bien le recours au marché négocié sans publicité ni mise en concurrence compte tenu des prestations concernées.

 

 

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References   [ + ]

1. CE 2 octobre 2013 Département de l’Oise, req. n° 368846 – voir également  CE 29 novembre 1996 Département des Alpes de Haute-Provence, req. n° 102165 ou CE 10 octobre 1979 Préfet de la Loire, req. n° 01652 : mentionné aux tables du Rec. CE.
2. « Les dispositions de l’article 7, paragraphe 3, de la directive, qui autorisent des dérogations aux règles visant à garantir l’effectivité des droits reconnus par le traité CE dans le secteur des marchés publics des travaux, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte et c’est à celui qui entend s’en prévaloir qu’incombe la charge de la preuve que les circonstances exceptionnelles justifiant la dérogation existent effectivement (voir, en ce sens, arrêts du 18 mai 1995, Commission/Italie, C-57/94, Rec. p. I-1249, point 23, et du 28 mars 1996, Commission/Allemagne, C-318/94, Rec. p. I-1949, point 13). Il en découle que les autorités italiennes doivent prouver que des raisons techniques rendaient nécessaire l’attribution des marchés en cause à l’entrepreneur chargé du contrat initial (voir, en ce sens, arrêt Commission/Italie, précité, point 24) ».

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