Pas de responsabilité pénale des collectivités territoriales du fait de l’activité d’attribution d’un marché public, non délégable

Catégorie

Contrats publics

Date

February 2019

Temps de lecture

3 minutes

Cass. Crim. 19 décembre 2018, n° 18-81.328 : publié au bulletin

1          Le syndicat intercommunal à vocations multiples (« Sivom ») de Vico-Coggia a été créé pour réaliser et gérer l’alimentation en eau potable et le réseau d’assainissement de l’agglomération de Sagone en Corse.

En 2006, ce syndicat a conclu avec la Compagnie des Eaux et de l’Ozone (« la société CEO ») un contrat d’affermage jusqu’au 31 décembre 2017.

2          En 2013, le procureur de la République a ouvert une information puis a ordonné le renvoi de la personne morale du SIVOM devant le tribunal correctionnel pour deux manquements au devoir de probité.

D’une part, était reprochée au Syndicat une infraction de favoritisme 1)432-14 du code pénal applicable au moment des faits., qui se définit comme l’octroi, notamment par une personne chargée d’une mission de service public, d’un avantage injustifié en violation d’une disposition législative ou réglementaire garantissant la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans l’attribution des marchés publics et délégations de services publics. Ici, selon le procureur, le SIVOM, personne chargé d’une mission de service public, aurait procuré ou tenté de procurer un avantage injustifié à la société CEO en concluant, en 2008, un avenant à un marché public de remise en état d’équipements d’assainissement pour un montant de 320 800 euros et en concluant, la même année, avec un autre opérateur, un marché public de mise en conformité du réseau d’approvisionnement en eau.

Une infraction de concussion 2)432-10 du code pénal applicable au moment des faits. était également reprochée au SIVOM. Il s’agit pour une personne chargée d’une mission de service public ou dépositaire de l’autorité publique, de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir des droits, contributions, impôts ou taxes ou d’accorder, sous une forme quelconque, une exonération ou une franchise de droits, contributions, impôts ou taxes dont elle sait qu’ils ne sont pas dus. L’auteur doit avoir eu conscience du caractère indu de la somme qu’il a exigé de percevoir ou du caractère indu de l’exonération accordée ; une simple erreur ne suffit pas à caractériser l’infraction. En l’espèce, le SIVOM, personne chargée d’une mission de service public, aurait exigé de percevoir une somme de 220 650,14 EUR correspondant au recouvrement par la société CEO, pour le compte du SIVOM, d’une surtaxe non votée par le SIVOM mais perçue auprès des usagers.

La société CEO était, pour sa part, renvoyée devant le tribunal correctionnel pour complicité de ces deux délits et recel du délit de favoritisme.

Le tribunal correctionnel par jugement du 8 janvier 2016 puis la cour d’appel par arrêt du 7 février 2018 ont renvoyé les prévenus des fins de la poursuite. Le procureur de la République a alors formé un pourvoi en cassation.

3          Pour relaxer le SIVOM et la société CEO, la cour d’appel a retenu que le SIVOM, malgré sa qualité d’organisme public, n’était pas pour autant personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public.

Infirmant la cour d’appel, la chambre criminelle considère au contraire que le SIVOM, qui a pour objet la réalisation et la gestion de l’alimentation en eau potable et du réseau d’assainissement, est chargé directement ou indirectement, d’accomplir des actes ayant pour but de satisfaire à l’intérêt général : le Syndicat est bien une personne chargée d’une mission de service public.

4          Toutefois, la cour de cassation rejette le pourvoi et confirme la relaxe du SIVOM et de la société CEO en se fondant sur l’article 121-2 du code pénal qui dispose que « […] les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public […] ».

Elle considère alors que les activités de fixation d’une taxe et d’attribution d’un marché public ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’une convention de délégation de service public. Le caractère spécifique de ces activités interpelle, dans la mesure où ce sont généralement des activités plus générales qui font l’objet d’une telle analyse, telles que les activités d’animation des classes de découverte pendant le temps scolaire 3)Cass. Crim. 12 décembre 2000, n° 98-83.969., d’organisation du service des transports 4)Cass. Crim. 6 avril 2004, n° 03-82.394. ou de manière générales les missions de police administrative ne peuvent pas faire l’objet d’une délégation de service public.

Cette approche et l’identification de l’activité spécifique d’attribuer un marché public permet ainsi d’exonérer de leurs responsabilités pénales les collectivités territoriales et leurs groupements pour toutes les infractions liées à l’attribution illégitime de marchés publics. Les responsabilités pénales recherchées seront donc celles des personnes physiques à l’origine de ces agissements, ce qui présente une cohérence certaine, aucune institution n’ayant en elle-même vocation à méconnaître intentionnellement les règles d’attribution des marchés publics.

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References   [ + ]

1. 432-14 du code pénal applicable au moment des faits.
2. 432-10 du code pénal applicable au moment des faits.
3. Cass. Crim. 12 décembre 2000, n° 98-83.969.
4. Cass. Crim. 6 avril 2004, n° 03-82.394.

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