Transfert de compétence en matière de déchets ménagers et assimilés : le Conseil d’État censure le transfert partiel du traitement des déchets entre EPCI et syndicats mixtes

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

April 2019

Temps de lecture

5 minutes

CE 5 avril 2019 Communauté de communes du pays de Fayence, req. n° 418906 : mentionné aux Tables rec. CE

Les élus locaux disposent en principe d’une certaine marge de manœuvre pour fixer le contenu des compétences qu’ils entendent transférer à des structures syndicales (1). Dans une décision du 5 avril 2019, le Conseil d’État vient rappeler que, en matière de déchets ménagers et assimilés, cette faculté est fortement limitée par l’article L. 2224-13 du Code général des collectivités territoriales (2).

1          Rappels des principes généraux

Si les communes disposent de la clause de compétence générale, qui permet pour mémoire au conseil municipal d’intervenir sur les « affaires de la commune » en application de l’article L. 2121-29 du CGCT, les établissements publics auxquelles elles adhèrent ne disposent pas d’une règle équivalente. Bien au contraire, ils sont soumis au principe de spécialité, qui ne leur permet d’exercer que les compétences qui leurs ont été transférées soit par la loi, soit par leurs membres et qui, de ce fait, figurent dans leurs statuts 1) CE 23 octobre 1985 Commune de Blaye-les-Mines, req. n°46612.. Ce principe est applicable aux EPCI, qu’ils soient à fiscalité propre 2)Les différentes catégories d’EPCI à fiscalité propre étant les communautés de communes, les communautés d’agglomération, les communautés urbaines et les métropoles. ou non 3)Les EPCI sans fiscalité propres correspondent aux syndicats de communes et aux établissements publics territoriaux (ces derniers étant soumis à un régime juridique spécifique)., mais aussi aux syndicats mixtes fermés et ouverts 4)Les syndicats mixtes fermés sont composés soit de communes et d’EPCI, soit d’EPCI (article L. 5711-1 du CGCT). Les syndicats mixtes ouverts intègrent en outre d’autres collectivités (région et/ou département), et/ou parfois d’autres personnes morales de droit public, comme les chambres de commerce (article L. 5721-1 du CGCT)..

Outre le principe de spécialité, rappelons également l’existence du principe d’exclusivité : les établissements publics sont les seuls à pouvoir agir dans les domaines se rattachant aux compétences qui leur ont été transférées 5)CE 16 octobre 1970 Commune de Saint-Vallier, req. n°71536.. Autrement dit, le transfert d’une compétence à un établissement public par l’un de ses membres entraîne le dessaisissement corrélatif et total de ce dernier, en ce qui concerne ladite compétence.

En matière de déchets, la compétence des communes et des EPCI portent sur les déchets des ménages et « assimilés », prévus aux articles L. 2224-13 et L. 2224-14 du CGCT.

On précisera que le transfert de compétence intervient soit lors de la création ou de l’adhésion à l’EPCI ou au Syndicat, soit ultérieurement, à l’occasion d’une extension des compétences de l’EPCI ou du syndicat déjà existant.

Les transferts de compétence font l’objet d’un encadrement législatif et statutaire, tant sur le plan procédural que sur le contenu de la compétence transférée.

2          Le cas particulier des transferts de compétences en matière de déchets ménagers et assimilés.

Le transfert de la compétence en matière de déchets ménagers et assimilés fait l’objet d’un encadrement législatif particulier par l’alinéa 2 de l’article L. 2224-13 du CGCT, qui dispose que :

« Les communes peuvent transférer à un établissement public de coopération intercommunale ou à un syndicat mixte soit l’ensemble de la compétence de collecte et de traitement des déchets des ménages, soit la partie de cette compétence comprenant le traitement, ainsi que les opérations de transport qui s’y rapportent. Les opérations de transport, de transit ou de regroupement qui se situent à la jonction de la collecte et du traitement peuvent être intégrées à l’une ou l’autre de ces deux missions. »

En application de cet article, le transfert de compétence peut être :

  • soit intégral, c’est-à-dire qu’il comprend à la fois la collecte et le traitement ;
  • soit partiel, en ce cas seul le traitement et les opérations de transports relatifs au traitement sont transférés (il s’agit pour ces dernières des transports de déchets depuis les déchetteries et les quais de transferts jusqu’aux installations de traitement des déchets).

Les opérations « situées à la jonction de la collecte et du traitement » (concrètement les déchetteries et les quais de transfert) peuvent être, soit transférées à l’établissement public en charge du traitement, soit conservées par le membre en charge de la compétence collecte.

Il ressort a contrario de ce qui précède qu’il n’est pas possible pour une collectivité :

  • de transférer la collecte tout en conservant le traitement ;
  • de transférer les seules opérations situées à la jonction de la collecte et du traitement (les syndicats ne peuvent ainsi limiter leurs activités à la gestion de déchetteries par exemple) ;
  • de ne transférer qu’une partie de la compétence traitement.

Dans le prolongement d’une décision du 21 février 2011 6) CE 21 février 2011 Société Ophrys, req. n°337349., c’est précisément ce que vient rappeler le Conseil d’État dans sa décision du 5 avril 2019 :

« Aux termes de l’article L. 2224-13 du code général des collectivités territoriales : ” Les communes, la métropole de Lyon ou les établissements publics de coopération intercommunale assurent (…) la collecte et le traitement des déchets des ménages. / Les communes peuvent transférer à un établissement public de coopération intercommunale ou à un syndicat mixte soit l’ensemble de la compétence de collecte et de traitement des déchets des ménages, soit la partie de cette compétence comprenant le traitement, ainsi que les opérations de transport qui s’y rapportent. Les opérations de transport, de transit ou de regroupement qui se situent à la jonction de la collecte et du traitement peuvent être intégrées à l’une ou l’autre de ces deux missions. / (…) “. Ces dispositions interdisent certains transferts partiels de compétences en matière de collecte et de traitement des déchets des ménages, notamment les transferts ne portant que sur une partie de la mission de traitement de ces déchets […] ».

Par ailleurs, si l’article L. 2224-13 ne vise expressément que les transferts des compétences entre communes et EPCI ou entre communes et syndicats mixtes, le Conseil d’Etat indique que celui-ci est également applicable aux transferts de compétences entre EPCI et syndicats mixtes :

« Eu égard à leur objet, ces dispositions s’appliquent non seulement, comme elles le prévoient expressément, aux transferts de compétences dans cette matière lorsqu’ils interviennent entre une commune et un établissement public de coopération intercommunale ou entre une commune et un syndicat mixte, mais également à de tels transferts de compétences lorsqu’ils interviennent, comme en l’espèce, entre un établissement public de coopération intercommunale et un syndicat mixte. »

3          En pratique

La gestion des déchets ménagers et assimilés nécessite fréquemment des mutualisations à l’échelle de bassins de population importants impliquant plusieurs établissements publics. C’est tout particulièrement le cas des projets d’incinérateurs : il s’agit d’infrastructures lourdes, avec un modèle économique fondé sur des économies d’échelle, où le coût unitaire de traitement de la tonne de déchets est d’autant plus réduit que le nombre total de tonnes à traiter est élevé. Afin de pouvoir alimenter de tels équipements avec le plus de tonnages possibles, les établissements publics se regroupent pour assurer ensemble la réalisation et le financement de l’incinérateur, et lui assurer collectivement un apport annuel critique de déchets.

Or, la forme juridique la plus adaptée à cette mutualisation entre établissements publics est, incontestablement, le syndicat mixte : doté de la personnalité morale, d’un système de gouvernance qui assure la représentation de ses membres, d’un personnel et d’un budget propre, il peut procéder à la passation des contrats permettant la réalisation et la gestion de ces installations, quand il ne l’assure pas directement en régie. Cette mutualisation permet aux membres du syndicat de limiter le coût du service public de traitement des déchets.

Dans la mesure où la création du syndicat impose un transfert de compétences entre ses membres et celui-ci, il ne peut en application de l’article L. 2224-13 être créé pour la seule réalisation et la gestion d’un incinérateur, mais doit prendre a minima en charge l’intégralité du traitement des déchets ménagers et des opérations de transports qui s’y rapportent.

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References   [ + ]

1. CE 23 octobre 1985 Commune de Blaye-les-Mines, req. n°46612.
2. Les différentes catégories d’EPCI à fiscalité propre étant les communautés de communes, les communautés d’agglomération, les communautés urbaines et les métropoles.
3. Les EPCI sans fiscalité propres correspondent aux syndicats de communes et aux établissements publics territoriaux (ces derniers étant soumis à un régime juridique spécifique).
4. Les syndicats mixtes fermés sont composés soit de communes et d’EPCI, soit d’EPCI (article L. 5711-1 du CGCT). Les syndicats mixtes ouverts intègrent en outre d’autres collectivités (région et/ou département), et/ou parfois d’autres personnes morales de droit public, comme les chambres de commerce (article L. 5721-1 du CGCT).
5. CE 16 octobre 1970 Commune de Saint-Vallier, req. n°71536.
6. CE 21 février 2011 Société Ophrys, req. n°337349.

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