L’irrégularité du recours en CNAC est un vice de procédure du permis de construire tenant lieu d’AEC : nouveau cas d’application de la jurisprudence Danthony

Catégorie

Aménagement commercial, Urbanisme et aménagement

Date

May 2019

Temps de lecture

5 minutes

CE 15 avril 2019 Société Difradis, req. n° 425854 : publié au recueil Lebon

1          Contexte de l’avis contentieux

En l’espèce, la commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) de Haute-Garonne a autorisé la société Immobilière européenne des Mousquetaires à créer un supermarché à l’enseigne « Intermarché » et un point permanent de retrait sur le territoire de la commune de Saint-Paul-sur-Save par un avis en date du 3 mars 2016.

La société Difradis a exercé un recours contre cet avis devant la commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) qui a été rejeté comme irrecevable pour défaut d’intérêt à agir par un avis rendu le 7 juillet 2016.

A la suite de cette décision, le maire de la commune d’implantation du projet a délivré un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale (PCvAEC) le 4 août 2016.

La société Difradis a alors déposé deux requêtes devant la cour administrative d’appel (CAA) de Bordeaux :

  • une première requête, enregistrée le 30 septembre 2016, demandant l’annulation de la décision de la CNAC du 7 juillet 2016 ;
  • une seconde requête, enregistrée le 4 octobre 2016, demandant l’annulation du PCvAEC du 4 août 2016.

C’est dans ces circonstances que la CAA de Bordeaux 1)CAA de Bordeaux 19 novembre 2018, req. n° 16BX03277 et 16BX03291 a sursis à statuer et transmis pour avis au Conseil d’Etat les questions suivantes 2)L’article L. 113-1 du code de justice administrative (CJA) offre en effet aux juridictions du fond la possibilité, face à des questions de droit qu’elles jugent nouvelles, présentant des difficultés sérieuses pour la résolution de l’affaire et susceptibles de se poser dans de nombreux litiges, de surseoir à statuer et de les transmettre au Conseil d’État pour avis avant de juger l’affaire qui leur est soumise. :

  • la circonstance que la CNAC ne s’est pas prononcée au fond sur un recours, le considérant irrecevable, est-elle de nature à ouvrir au requérant la possibilité de saisir directement la CAA d’une demande d’annulation pour excès de pouvoir de cette décision, sans attendre la délivrance d’un PC pour contester le bien-fondé de cette irrecevabilité ? S’il est recevable à le faire, est-il également recevable à demander ensuite l’annulation du PCvAEC ?
  • Dans l’hypothèse d’une réponse négative à la première question, le concurrent commercial est-il recevable à contester le PCvAEC alors que son recours administratif préalable obligatoire (RAPO) a été jugé irrecevable ?
  • L’annulation ou la déclaration de l’illégalité de la décision d’irrecevabilité opposée à son recours par la CNAC par la CAA emporte-t-elle :
  • a) annulation du PC en tant qu’il tient lieu d’AEC pour irrégularité de la procédure, dès lors que le recours devant la CNAC serait regardé comme constitutif d’une garantie au sens de la jurisprudence Danthony (CE Ass. 23 décembre 2011, req. n° 335033 : publié au recueil Lebon) ?
  • b) injonction à la CNAC de se prononcer à nouveau sur le recours et sursis à statuer sur la légalité du PC en tant qu’il vaut AEC, le cas échéant sur le fondement et avec les garanties de l’article 600-5-1 du code de l’urbanisme ?
  • c) obligation pour la cour de se prononcer elle-même sur les moyens du recours qui avait été présenté à la commission nationale d’aménagement commercial contestant la conformité de l’autorisation avec les critères définis par le code de commerce ?

2          Avis du Conseil d’État

2.1       Le Conseil d’État répond à la 1ère question dans les points 7 et 8 de l’avis commenté. Il rappelle, en s’appuyant sur les travaux parlementaires, que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (dite ACTPE) introduisant l’article L. 425-4 du code de l’urbanisme, toute contestation touchant à la régularité ou au bien-fondé d’une AEC ne peut désormais être soulevée que dans le cadre du recours introduit, le cas échéant, contre le PC finalement délivré, en tant qu’il vaut AEC.

Le Conseil d’État indique en l’espèce qu’il en va de même y compris concernant les avis par lesquels la CNAC s’est bornée à considérer qu’un recours introduit devant elle est irrecevable, sans se prononcer sur le fond. Selon la Haute juridiction, les avis de la CNAC revêtent le caractère d’un acte préparatoire et sont, partant, insusceptibles de recours contentieux direct.

2.2       Concernant la 2ème question relative à la recevabilité du recours contentieux formé devant la CAA du requérant dont le recours devant la CNAC a été rejeté comme irrecevable, le Conseil d’Etat répond par la positive en reprenant la solution déjà adoptée dans son arrêt Société Distribution Casino France (CE 26 septembre 2018, req. n° 402275).

2.3       Sur la réponse à la 3ème question, le Conseil d’État indique que la CAA qui est saisie d’une requête dirigée contre un PCvAEC doit s’assurer, au vu des pièces du dossier qui lui est soumis et indépendamment de la position préalablement adoptée par la CNAC que le requérant est au nombre des personnes mentionnées au I de l’article L. 752-17 du code de commerce fixant la liste des personnes ayant qualité pour contester le PC en tant qu’il vaut AEC, c’est-à-dire :

  • le demandeur ;
  • le préfet ;
  • tout membre de la CDAC ;
  • tout professionnel dont l’activité est exercée au sein de la zone de chalandise du projet et est susceptible d’être affectée par celui-ci ;
  • des associations de professionnels.

Ensuite, le Conseil d’État indique que la CAA saisie d’une requête dirigée contre un PCvAEC doit s’assurer que le requérant a, préalablement à l’introduction de sa requête, déposé contre cet avis un recours devant la commission nationale 3)Comme il en résulte du dernier alinéa du II de l’article L. 752-17 du code de commerce, aux termes duquel : « A peine d’irrecevabilité, la saisine de la commission nationale est un préalable obligatoire au recours contentieux. »., et que ce RAPO est régulier, c’est-à-dire qu’il respecte les conditions suivantes :

  • il doit avoir été introduit devant la CNAC dans un délai d’un mois à compter, pour les professionnels exerçant une activité concurrente, de la plus tardive des mesures de publicité prévue aux 3ème et 5ème alinéa de l’article 752-19 du code de commerce, conformément à l’article R. 752-30 du code de commerce ;
  • il doit avoir été motivé et accompagné de la justification de la qualité et de l’intérêt donnant qualité pour agir du requérant, conformément à l’article 752-31 du code de commerce ;
  • le requérant doit avoir communiqué son recours au bénéficiaire de l’avis favorable dans les cinq jours suivant sa présentation à la CNAC, conformément à l’article 752-32 du code de commerce.

Si la CAA juge, au regard de ces critères, que la requête est recevable et ainsi, que la CNAC a porté une appréciation erronée sur la recevabilité de la requête, le Conseil d’État indique que le rejet pour irrecevabilité prononcé par la CNAC doit être regardé comme une irrégularité entachant la procédure de délivrance du PC.

Alors, faisant application de la jurisprudence Danthony précitée, l’avis contentieux précise que cette irrégularité n’emporte pas automatiquement annulation du PCvAEC.

En effet, d’une part, le Conseil d’État indique que l’obligation de saisir préalablement la CNAC avant l’introduction d’un recours contentieux ne constitue pas, en tout état de cause, une garantie pour les personnes intéressées.

D’autre part, le Conseil d’État invite les CAA à examiner au fond, au regard de l’ensemble des circonstances de l’espèce, si le recours avait des chances de prospérer, notamment en analysant la teneur des éventuels autres recours exercés contre le même projet devant la CNAC s’ils ont été examinés au fond par cette dernière. Si aux termes de son analyse, la CAA estime que l’irrégularité est susceptible d’avoir exercé une influence sur le sens de la décision attaquée, alors elle doit tirer les conséquences de cette illégalité sur le PCvAEC. Dans ce cadre, le Conseil d’État estime que cette illégalité du PCvAEC ne fait pas obstacle par principe à l’application de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme 4)« Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. »..

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References   [ + ]

1. CAA de Bordeaux 19 novembre 2018, req. n° 16BX03277 et 16BX03291
2. L’article L. 113-1 du code de justice administrative (CJA) offre en effet aux juridictions du fond la possibilité, face à des questions de droit qu’elles jugent nouvelles, présentant des difficultés sérieuses pour la résolution de l’affaire et susceptibles de se poser dans de nombreux litiges, de surseoir à statuer et de les transmettre au Conseil d’État pour avis avant de juger l’affaire qui leur est soumise.
3. Comme il en résulte du dernier alinéa du II de l’article L. 752-17 du code de commerce, aux termes duquel : « A peine d’irrecevabilité, la saisine de la commission nationale est un préalable obligatoire au recours contentieux. ».
4. « Sans préjudice de la mise en œuvre de l’article L. 600-5, le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager ou contre une décision de non-opposition à déclaration préalable estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation, même après l’achèvement des travaux. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le refus par le juge de faire droit à une demande de sursis à statuer est motivé. ».

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