Pas d’extension de la jurisprudence Czabaj au contentieux indemnitaire de la responsabilité administrative, le principe de sécurité juridique étant assuré par les règles de prescription quadriennale prévues par la loi du 31 décembre 1968

Catégorie

Contrats publics, Droit administratif général, Urbanisme et aménagement

Date

June 2019

Temps de lecture

6 minutes

CE 17 juin 2019 Centre hospitalier de Vichy, req. n° 413097 : Rec. CE

1          Le contexte du pourvoi

Mme A., enceinte depuis le 31 janvier 2009, a été prise en charge par le centre hospitalier de Vichy le 27 février 2009 pour des examens échographiques et biologiques au service des urgences gynécologiques, puis à compter du 28 février pour une intervention chirurgicale motivée par un diagnostic d’hémopéritoine. Au cours de l’opération, une grossesse extra-utérine a été décelée et a nécessité l’ablation chirurgicale de la trompe droite.

Estimant fautifs les soins qui lui avaient été dispensés, Mme A. a présenté auprès du centre hospitalier une réclamation préalable tendant à l’indemnisation de ses préjudices.

Mme A. a reçu notification, le 7 mai 2010, d’une décision expresse de rejet de cette réclamation.

Après avoir saisi, le 7 juillet 2010, le juge des référés du tribunal administratif, et obtenu la désignation d’un expert qui a établi son rapport le 16 mai 2011, elle a demandé, le 22 juin 2013, au tribunal administratif de Clermont-Ferrand :

►                    à titre principal, de condamner le centre hospitalier de Vichy à lui verser la somme de 8 000 euros à titre de provision sur l’indemnisation du préjudice qu’elle estime avoir subi à raison de fautes commises par cet établissement lors de sa prise en charge ; et,

►                    à titre subsidiaire, de condamner cet établissement à lui verser une indemnité de 19 121,74 euros en réparation de ce préjudice.

Par un jugement du 9 avril 2015 1)N° 1300986., le tribunal administratif a partiellement fait droit à sa demande, en condamnant le centre hospitalier de Vichy à lui verser une indemnité de 5 247,83 euros.

Le centre hospitalier de Vichy, d’une part, et Mme A., d’autre part, ont interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Lyon.

La cour administrative d’appel de Lyon, par un arrêt du 14 juin 2017 2)Req. N° 15LY01932., a rejeté l’appel du centre hospitalier et l’appel incident de Mme A..

Le centre hospitalier a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État.

C’est dans ce cadre que le Conseil d’État a été amené à se prononcer, notamment, sur l’application de la jurisprudence dite « Czabaj » au contentieux indemnitaire de la responsabilité administrative.

2          La décision du Conseil d’État

Le Conseil d’État analyse, de manière pédagogique, la recevabilité du recours indemnitaire présenté par Mme A. (2.1), avant de se prononcer sur la responsabilité du centre hospitalier de Vichy (2.2).

2.1       Sur la recevabilité du recours indemnitaire

2.1.1    Tout d’abord, le Conseil d’État rappelle les dispositions applicables du code de justice administrative (CJA) relatives aux délais de recours contentieux, et du code de la santé publique (CSP) relatives à la procédure de règlement amiable en cas d’accidents médicaux.

D’une part, les articles R. 421-1 et R. 421-5 du CJA prévoient, respectivement, qu’un recours en annulation d’une décision administrative doit être formé dans les deux mois de la notification ou de la publication de cette décision et, que lorsqu’il s’agit d’une décision devant être notifiée à son destinataire (c’est-à-dire une décision individuelle), ce délai de deux mois n’est opposable que si la notification comportait une mention des voies et délais de recours.

D’autre part, l’article L. 1142-7 du CSP prévoit :

«  La commission régionale peut être saisie par toute personne s’estimant victime d’un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins, ou, le cas échéant, par son représentant légal.

[…]

La saisine de la commission suspend les délais de prescription et de recours contentieux jusqu’au terme de la procédure prévue par le présent chapitre. »

Il résulte de la lecture combinée de ces dispositions que la notification de la décision par laquelle un établissement public de santé rejette la réclamation d’un patient tendant à l’indemnisation d’un dommage doit indiquer non seulement que le tribunal administratif peut être saisi dans le délai de deux mois, mais aussi que ce délai est interrompu en cas de saisine de la commission de conciliation et d’indemnisation. A défaut de ces mentions, la notification ne fait pas courir le délai de recours contentieux imparti à l’intéressé pour présenter un recours indemnitaire.

En l’espèce, la décision de rejet de la réclamation préalable de Mme A., qui lui a été notifiée le 7 mai 2010, ne mentionnait pas que le délai de deux mois pour saisir le tribunal administratif serait interrompu en cas de saisine, dans ce délai, de la commission de conciliation et d’indemnisation.

En conséquence, le Conseil d’État suit le raisonnement de la cour administrative d’appel, selon lequel le délai du recours contentieux n’était pas opposable à Mme A..

2.1.2    Pour mémoire, en 2016, par le fameux arrêt dit « Czabaj », le Conseil d’État a jugé que le principe de sécurité juridique fait obstacle à ce qu’une décision administrative individuelle puisse être contestée indéfiniment et ce quand bien même ladite décision ne respectait pas l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours.

Le juge administratif a donc défini, de manière prétorienne, un délai maximal d’exercice d’un recours, de portée tout à fait générale, en limitant à un délai raisonnable d’un an au maximum à compter de la date à laquelle le requérant a eu connaissance de la décision, le délai raisonnable d’exercice du recours, même si la notification ou la publication de l’acte sont entachées d’irrégularités 3)CE Ass. 13 juillet 2016 Czabaj, req. n° 387763, point 5 : Rec. CE, p. 340..

Et, depuis cette date, la Haute Juridiction n’a eu de cesse d’étendre le champ d’application de sa jurisprudence à d’autres types de recours.

Ainsi, celle-ci a été récemment étendue aux recours juridictionnels, qui doivent être obligatoirement précédés d’un recours administratif 4)CE 31 mars 2017 Ministre des finances c/ Amar, req. n° 389842 : Rec. CE., ainsi qu’aux décisions explicites de rejet à objet exclusivement pécuniaire 5)CE 9 mars 2018 Communautés de communes du pays Roussillonnais, req. n° 405355 : mentionné aux tables du Rec. CE., à celles formées contre un titre exécutoire 6)CE 9 mars 2018 Communauté d’agglomération du pays ajaccien, req. n° 401386 : mentionné aux tables du Rec. CE. et tout récemment encore, aux décisions implicites de rejet 7)CE 18 mars 2019 M. B. C/ Préfet du Val-de-Marne, req. n° 417270 : Rec. CE., au contentieux de l’urbanisme 8)CE 9 novembre 2018 SCI Valmore et autres, req. n° 409872 : mentionné aux tables du Rec. CE ; ayant déjà fait l’objet d’un article au sein de notre blog. et à l’exception d’illégalité des actes individuels 9)CE 27 février 2019 M. A. c/ ministre de l’action et des comptes publics, req. n° 418950 : Rec. CE ; ayant déjà fait l’objet d’un article au sein de notre blog..

En l’espèce, l’enjeu résidait donc pour le Conseil d’État, toujours soucieux du bon équilibre entre légalité et sécurité juridique, en l’application de la jurisprudence dite « Czabaj » – et en particulier de son principe sur le « délai raisonnable » – aux recours indemnitaires au titre de la responsabilité administrative.

Mais ce n’est pourtant pas ce qui a été jugé dans le considérant de principe reproduit ci-dessous :

« 3. Il résulte, par ailleurs, du principe de sécurité juridique que le destinataire d’une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s’il entend obtenir l’annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Toutefois, cette règle ne trouve pas à s’appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique qui, s’ils doivent être précédés d’une réclamation auprès de l’administration, ne tendent pas à l’annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l’effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics ou, en ce qui concerne la réparation des dommages corporels, par l’article L. 1142-28 du code de la santé publique»

Le Conseil d’État écarte donc l’application du délai raisonnable d’un an aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique, au motif que la prise en compte du principe de sécurité juridique est assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics (prescription quadriennale) ou, en ce qui concerne la réparation des dommages corporels, par l’article L. 1142-28 du CSP (prescription décennale).

Le Conseil d’État opère en cela une véritable distinction avec les actions en responsabilité fondées sur l’illégalité fautive de décisions à objet purement pécuniaire 10)CE 9 mars 2018 Communautés de communes du pays Roussillonnais, req. n° 405355 : mentionné aux tables du Rec. CE..

Partant, en l’espèce, le Conseil d’État établit que la cour administrative d’appel de Lyon n’a pas commis d’erreur de droit en écartant la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier de Vichy, tirée de ce que le recours indemnitaire n’avait pas été présenté dans un délai raisonnable à compter de la notification de la décision.

2.2       Sur la responsabilité du centre hospitalier de Vichy

Pour juger que le centre hospitalier de Vichy avait commis une faute dans la prise en charge de Mme A., la cour administrative d’appel a retenu que l’intéressée n’avait pas fait l’objet, malgré ses nombreux appels, d’un examen qualifié par un gynécologue dans la nuit du 28 février au 1er mars 2009.

Le Conseil d’État considère que la cour en a déduit, sans commettre d’erreur de qualification juridique, que l’établissement avait commis une faute dans sa prise en charge.

En outre, pour la Haute-Juridiction, la cour n’a ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis ni inexactement qualifié les faits de l’espèce, en retenant qu’une telle faute était à l’origine des souffrances endurées par l’intéressée et d’un préjudice d’ordre psychologique constaté ultérieurement.

En conséquence, le pourvoi du centre hospitalier de Vichy est rejeté.

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References   [ + ]

1. N° 1300986.
2. Req. N° 15LY01932.
3. CE Ass. 13 juillet 2016 Czabaj, req. n° 387763, point 5 : Rec. CE, p. 340.
4. CE 31 mars 2017 Ministre des finances c/ Amar, req. n° 389842 : Rec. CE.
5, 10. CE 9 mars 2018 Communautés de communes du pays Roussillonnais, req. n° 405355 : mentionné aux tables du Rec. CE.
6. CE 9 mars 2018 Communauté d’agglomération du pays ajaccien, req. n° 401386 : mentionné aux tables du Rec. CE.
7. CE 18 mars 2019 M. B. C/ Préfet du Val-de-Marne, req. n° 417270 : Rec. CE.
8. CE 9 novembre 2018 SCI Valmore et autres, req. n° 409872 : mentionné aux tables du Rec. CE ; ayant déjà fait l’objet d’un article au sein de notre blog.
9. CE 27 février 2019 M. A. c/ ministre de l’action et des comptes publics, req. n° 418950 : Rec. CE ; ayant déjà fait l’objet d’un article au sein de notre blog.

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