Un permis de construire ne peut être refusé sur le fondement de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme que s’il n’est pas légalement possible de l’accorder en l’assortissant de prescriptions spéciales

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

July 2019

Temps de lecture

5 minutes

CE 26 juin 2019 Commune de Tanneron, req. n°412429 : Publié au Rec. CE

1          Contexte du pourvoi

Les faits de la décision commentée sont assez simples : un pétitionnaire a sollicité un permis de construire une maison d’habitation et une piscine sur le territoire de la commune de Tanneron.

Par arrêté en date du 30 novembre 2010, le maire de la commune a refusé de lui délivrer le permis de construire sollicité en se fondant sur les risques élevés d’incendie de forêt dans le secteur concerné, qui avaient notamment conduit le service d’incendie et de secours à rendre un avis défavorable sur le projet.

Le pétitionnaire a alors saisi le tribunal administratif de Toulon d’une demande tendant à l’annulation de cette décision de refus. Par un jugement du 2 août 2012 sa demande a été rejetée.

La cour administrative d’appel de Marseille, saisie en appel par le pétitionnaire, a également rejeté sa demande, par un arrêt en date du 12 mai 2017.

C’est dans ce cadre que le Conseil d’État a été saisi en cassation par le pétitionnaire.

2          Décision du Conseil d’État

Par une décision du 26 juin 2019 qui sera publiée au Recueil Lebon, le Conseil d’État confirme la solution retenue par les juges du fond tout en précisant les conditions dans lesquelles l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire peut, sous le contrôle du juge, refuser sa délivrance sur le fondement de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme.

2.1       Ces dispositions permettent à l’autorité compétente de refuser un permis de construire ou l’assortir de prescriptions spéciales, lorsque le projet du pétitionnaire est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique.

Toutefois, le seul fait que le projet soit de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique ne suffit pas à justifier un refus de permis de construire. C’est là que réside l’apport de la décision commentée. En effet, aux termes d’un considérant de principe, le Conseil d’État indique que :

« Lorsqu’un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l’autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu’il n’est pas légalement possible, au vu du dossier et de l’instruction de la demande de permis, d’accorder le permis en l’assortissant de prescriptions spéciales qui, sans apporter au projet de modification substantielle nécessitant la présentation d’une nouvelle demande, permettraient d’assurer la conformité de la construction aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect. »

Si dans un avis rendu le 23 février 2005, le Conseil d’État avait relevé qu’il y a lieu pour l’autorité compétente de « refuser le permis de construire, ou de l’assortir, si cela suffit à parer aux risques, de prescriptions adéquates, sur le fondement de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme » 1)Avis CE 23 février 2005, n°271270.,

le Conseil d’État impose ici clairement aux services instructeurs de vérifier, avant de refuser un permis de construire, que le risque auquel est exposée la construction, ne peut pas être maitrisé par l’imposition de prescriptions spéciales permettant d’en assurer sa conformité aux dispositions législatives et règlementaires.

Ces prescriptions spéciales ne doivent toutefois pas, selon les termes employés par le Conseil d’État, apporter au projet de modification substantielle nécessitant la présentation d’une nouvelle demande.

2.2       Aux termes de sa décision, le Conseil d’État prend également le soin de préciser que les services instructeurs doivent se prononcer sur l’impossibilité de délivrer le permis de construire sollicité en l’assortissant de prescriptions spéciales, au regard du dossier et de l’instruction de la demande.

La vérification imposée aux services instructeurs doit donc se faire sur la base du dossier de demande de permis de construire, qui ne doit contenir que les seuls éléments visés aux articles R. 431-5 à R. 431-12 du code de l’urbanisme. En effet, les services instructeurs ne peuvent exiger du pétitionnaire la production d’aucune autre information ou pièce que celles expressément prévues par ces dispositions 2)Article R. 431-4 du code de l’urbanisme ; pour une application du principe, voir : CE 9 décembre 2015 Société Orange, req. n°390273 : Mentionné aux tables du Rec. CE..

Or, dans le cas d’une construction susceptible de porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le code de l’urbanisme n’exige pas la production de pièces spécifiques sur lesquelles pourraient s’appuyer les services instructeurs pour déterminer les prescriptions spéciales qui pourraient être prises pour réduire les risques auxquels la construction est exposée. Relevons également que la demande d’une pièce qui n’est pas exigée par le code de l’urbanisme n’a pas pour effet de prolonger le délai d’instruction de la demande 3)Article L. 423-1 du code de l’urbanisme..

Si un pétitionnaire diligent met en avant spontanément, dans son dossier de demande, les mesures qu’il entend prendre pour limiter les risques auxquels la construction est exposée, le contrôle des services instructeurs peut alors se faire sur la base de ces mesures afin de déterminer si elles sont suffisantes à prévenir les risques en question.

C’est d’ailleurs ce qu’avait en l’espèce fait le requérant puisqu’il avait détaillé dans son dossier de demande les aménagements supplémentaires envisagés pour réduire les risques relatifs aux incendies de forêts. C’est donc sur la base de ces éléments que les services instructeurs ont pu, sous le contrôle du juge, vérifier que ces mesures ne permettaient pas la délivrance du permis de construire sollicité en l’assortissant de prescriptions spéciales. La vérification opérée dans cette affaire a été approuvée par le Conseil d’État qui a ainsi considéré que :

« la cour administrative d’appel s’est fondée sur ce que, eu égard aux risques particulièrement élevés que présentait le projet du fait de sa situation au bord d’un plateau dominant un très important massif forestier, tant en ce qui concerne son exposition aux incendies que pour assurer sa défense en cas de sinistre, ni l’existence d’une bouche d’incendie à 80 mètres du projet, ni la réalisation de l’aire de manœuvre prévue dans le dossier de demande, ni même la réalisation complémentaire d’autres équipements envisagés pour renforcer la défense contre l’incendie dont se prévalait le requérant, n’étaient de nature à conduire à regarder le refus opposé par le maire de Tanneron à la demande de permis comme ayant méconnu les dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme » […] « En statuant ainsi par un arrêt qui est suffisamment motivé, la cour a souverainement apprécié les faits de l’espèce sans les dénaturer et n’a pas commis d’erreur de droit. »

Nous pouvons néanmoins nous interroger sur l’effectivité du contrôle auquel sont astreints les services instructeurs dans l’hypothèse où le dossier de demande ne contient que les pièces exigées par le code de l’urbanisme et dans lequel le pétitionnaire ne ferait pas état des mesures qu’il entend mettre en œuvre pour limiter les risques auxquels sa construction est exposée.

En effet, le Conseil d’État impose un contrôle poussé aux services instructeurs en présence d’un projet de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique afin de s’assurer qu’un permis de construire ne pourrait pas être délivré mais les outils dont dispose l’administration pour effectuer cette vérification pourraient en pratique s’avérer relativement limités. L’absence d’informations sur les mesures prises par le pétitionnaire visant à réduire les risques auxquels est exposée la construction – qui ne sont pourtant pas exigées – pourraient ainsi conduire les services instructeurs à refuser systématiquement un permis de construire sur le fondement de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme…

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References   [ + ]

1. Avis CE 23 février 2005, n°271270.
2. Article R. 431-4 du code de l’urbanisme ; pour une application du principe, voir : CE 9 décembre 2015 Société Orange, req. n°390273 : Mentionné aux tables du Rec. CE.
3. Article L. 423-1 du code de l’urbanisme.

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