Validation du droit de dérogations expérimentales et territoriales en matière d’accès et d’octroi des aides publiques

Catégorie

Droit administratif général, Environnement, Urbanisme et aménagement

Date

July 2019

Temps de lecture

3 minutes

CE 17 juin 2019 Association Les amis de la Terre France, req. n° 421871 : publié au recueil Lebon

Le décret n° 2017-1845 du 29 décembre 2017 permet, à titre expérimental, aux préfets de deux régions, aux préfets des départements de ces deux régions, aux préfets de cinq départements et de deux collectivités territoriales d’outre-mer de déroger, dans le cadre de la prise de décisions non réglementaires en matière d’octroi d’aides publiques, à certaines normes règlementaires afin d’alléger les démarches administratives et d’accélérer les procédures en application de l’article 37-1 de la Constitution. L’expérimentation ainsi menée concerne des domaines particuliers identifiés à l’article 2 du décret :

« 1° Subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales ;

2° Aménagement du territoire et politique de la ville ;

3° Environnement, agriculture et forêts ;

4° Construction, logement et urbanisme ;

5° Emploi et activité économique ;

6° Protection et mise en valeur du patrimoine culturel ;

7° Activités sportives, socio-éducatives et associatives. »

Par requête enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’État le 1er juillet 2018, l’association Les amis de la Terre France a introduit un recours en excès de pouvoir en vue d’obtenir l’annulation de ce décret. Les juges du Palais Royal vont rejeter cette requête après avoir écarter les trois arguments présentés au soutien de cette action : défaut de contreseing d’un ministre, méconnaissance du principe de non-régression en matière de protection de l’environnement, mais surtout méconnaissance de l’article 37-1 de la Constitution.

L’article 37-1 de la Constitution, créé par loi constitutionnelle du 28 mars 2003, permet la mise en place d’une expérimentation dans le domaine législatif ou réglementaire. Par une décision du 12 août 2004, le Conseil Constitutionnel a précisé (Cons. Const. 12 août 2004, n° 2004-503 DC) :

« l’article 37-1 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 susvisée, qui permet au Parlement d’autoriser, dans la perspective de leur éventuelle généralisation, des expérimentations dérogeant, pour un objet et une durée limités, au principe d’égalité devant la loi ; que, toutefois, le législateur doit en définir de façon suffisamment précise l’objet et les conditions et ne pas méconnaître les autres exigences de valeur constitutionnelle ».

C’est ce que reprend le Conseil d’État dans la décision commentée :

« le pouvoir réglementaire peut, dans le respect des normes supérieures, autoriser des expérimentations permettant de déroger à des normes à caractère réglementaire sans méconnaître le principe d’égalité devant la loi dès lors que ces expérimentations présentent un objet et une durée limités et que leurs conditions de mise en œuvre sont définies de façon suffisamment précise».

L’un des enjeux de la présente décision réside dans l’appréciation de la précision avec laquelle les conditions de mise en œuvre des dérogations doivent être définies. En effet, le texte ne désignait pas ab initio l’ensemble des normes qui étaient sujettes à l’expérimentation autorisée. Dans un tel cas de figure, la Haute Juridiction est alors venue indiquer la portée du mécanisme juridique dégagé par le Conseil Constitutionnel :

« A cet égard, s’il peut ne pas préciser d’emblée les normes réglementaires susceptibles de faire l’objet d’une dérogation, ni, le cas échéant, les règles ayant vocation à s’y substituer, il est nécessaire qu’il identifie précisément les matières dans le champ desquelles cette dérogation est possible ainsi que les objectifs auxquels celle-ci doit répondre et les conditions auxquelles elle est soumise. »

Et, au cas présent, le Conseil d’État relève que le décret énumère de façon limitative les matières concernées par la dérogation ponctuelle accordée aux préfets.

Il précise que si « le décret attaqué ne désigne pas précisément les normes réglementaires auxquelles il permet de déroger », il limite ces dérogations, « d’une part, aux règles qui régissent l’octroi des aides publiques afin d’en faciliter l’accès, d’autre part, aux seules règles de forme et de procédure applicables dans les matières énumérées afin d’alléger les démarches administratives et d’accélérer les procédures ».

Enfin, s’agissant des objectifs et des conditions, il considère que le décret ne permet une dérogation que : « sous conditions qu’elle réponde à un motif d’intérêt général, qu’elle soit justifiée par les circonstances locales, qu’elle ne porte pas atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens et qu’elle ne porte pas une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé ».

Le Conseil d’État conclut alors que le champ et la durée d’application des dérogations autorisées sont bien limités et que le décret n’autorise des dérogations, dont également l’objet est limité et les conditions de mise en œuvre sont définies de façon précise, dans le respect des normes supérieures. Le droit de dérogations expérimentales et territoriales en matière d’accès et d’octroi des aides publiques ne méconnait donc par l’article 37-1 de la Constitution ni la loi.

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