Le dialogue compétitif est fermé au renouvellement d’un marché exécuté auparavant sans difficultés notables et auquel ne sont apportées que des modifications mineures.

Catégorie

Contrats publics

Date

March 2018

Temps de lecture

4 minutes

CAA Paris 27 février 2018 Société Armor développement, req. n° 16PA02955 :

1 Le contexte

Le ministère de l’intérieur a eu recours à la procédure du dialogue compétitif pour la passation d’un marché public portant sur la fabrication, l’approvisionnement et la distribution des vêtements et accessoires des personnels de la police nationale, finalement attribué en 2013 à la société Inéo support global (ISG). Un groupement de sociétés menées par la société Armor développement avait participé à cette procédure, mais son offre n’était arrivée qu’en deuxième position. Ces sociétés ont alors introduit un recours en contestation de la validité du marché, dit « Tarn-et-Garonne », aux fins d’annulation (ou, à titre subsidiaire, de résiliation) de celui-ci et d’indemnisation des préjudices qu’elles estimaient avoir subis du fait de son irrégularité. Ce recours critiquant notamment la procédure de dialogue compétitif mise en place.

Le Tribunal administratif de Paris a rejeté le recours le 19 juillet 2016 1)TA Paris 19 juillet 2016 Société Armor développement et autres, req. n° 1310336-1310335/3-1.. Les requérantes ont alors fait appel devant la cour administrative d’appel de Paris.

Le marché public portant sur la fabrication, l’approvisionnement et la distribution des vêtements et accessoires des personnels de la police nationale, dont l’appel d’offres avait été lancé par le ministère de l’intérieur, avait déjà été porté devant le juge administratif dans le cadre d’un référé précontractuel en 2013 2)TA Paris 10 mai 2013 Société Armor développement et autres, req. n° 1305402.. En effet, le litige opposait déjà l’Etat et l’attributaire du marché ISG au groupement auquel appartenaient les sociétés Armor développement et Bonneterie d’Armor, entreprises quimpéroises employant quelques centaines d’employés. L’attention que le litige avait suscitée s’était alors cristallisée autour de la question de l’accès des PME aux marchés publics 3)QE avec réponse AN de M. Jacques Bompard 18 juin 2013, n° 29713..

2 La question du recours au dialogue compétitif

Dans son arrêt, la cour administrative d’appel écarte tous les moyens soulevés à l’encontre du marché, sauf celui tiré du recours injustifié à la procédure de dialogue compétitif issue de l’article 36 du code des marchés publics alors en vigueur. Elle considère cependant que cette irrégularité n’a pas vicié le consentement des parties ni porté atteinte aux principes de transparence et d’égalité entre les candidats, de sorte que, rejetant la demande, elle admet la poursuite du contrat.

2.1 La justification du recours à la procédure de dialogue compétitif avait toutefois déjà été soulevée devant le juge des référés précontractuels, et avait même été défendue à l’Assemblée nationale dans le cadre d’une question écrite propre 4)QE avec réponse AN de M. Marc Le Fur 17 septembre 2013, n° 37504..

La procédure de dialogue compétitif est une procédure particulière de passation de marchés publics, soumise à une condition de complexité du marché, au cours de laquelle l’acheteur établit un dialogue avec les candidats afin de construire une solution à son besoin durant les négociations qui peuvent se dérouler en plusieurs phases. L’article 36 du code des marchés publics, applicable au moment du litige, restreignait le recours au dialogue compétitif aux marchés publics pour lesquels l’acheteur n’était objectivement pas en mesure soit de définir seul et à l’avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins, soit d’établir le montage juridique ou financier d’un projet.

La mondialisation et l’imprévisibilité du marché du textile professionnel, ainsi que les besoins hétérogènes du ministère ont été mis en avant pour qualifier la complexité du marché 5)QE avec réponse AN de M. Marc Le Fur 17 septembre 2013, n° 37504. Le juge des référés précontractuels avait admis cette justification en 2013, en considérant que le nouveau marché d’équipement excédait le périmètre du marché auquel il succédait et qu’au surplus, le groupement requérant, qui avait participé à ce dialogue compétitif jusqu’à sa phase finale, ne démontrait pas en quoi le choix de cette procédure l’avait lésé. Il avait donc écarté le moyen 6)TA Paris 10 mai 2013 Société Armor développement et autres, req. n° 1305402.

Le jugement du tribunal administratif de Paris du 19 juillet 2016 a également admis le recours au dialogue compétitif 7)TA Paris 19 juillet 2016 Société Armor développement et autres, req. n° 1310336-1310335/3-1. Selon des motifs relativement similaires à ceux de l’ordonnance du 10 mai 2013, il a notamment relevé le périmètre géographique national, l’extension des prestations et du volume du marché, ainsi que la nécessité de la continuité de l’approvisionnement dans le contexte d’un marché du textile mondialisé pour estimer que le recours au dialogue compétitif était régulier.

L’arrêt de la cour administrative d’appel du 27 février 2018 ne retient en revanche pas cette solution. La cour concentre son analyse sur la ressemblance entre le précédent marché et le celui passé par la procédure du dialogue compétitif, puis sur l’apport du dialogue compétitif à l’élaboration du marché.

Premièrement, elle estime qu’aucune difficulté notable dans l’exécution du marché précédent ne justifiait de procéder au dialogue compétitif alors que ce même marché avait été, auparavant, conclu selon la procédure plus classique de l’appel d’offres ouvert. Cette comparaison est appuyée par les similitudes de nature et de volume des deux marchés consécutifs relevées par le juge administratif.

Deuxièmement, la comparaison entre le « programme fonctionnel détaillé initial établi par le ministre » et les résultats du dialogue ne fait apparaître que des « modifications mineures », témoignant ainsi de la capacité du ministre de l’intérieur à définir seul et à l’avance l’ensemble des moyens techniques pouvant répondre à ses besoins.

Dès lors, les conditions n’étaient pas réunies pour que l’Etat, sous l’empire de l’article 36 du code des marchés publics, ait recours à la procédure de dialogue compétitif. La cour administrative d’appel juge donc que les requérantes étaient fondées à soulever l’irrégularité de la procédure de passation.

2.2 Cependant, dans le cadre d’un recours « Tarn-et-Garonne », après avoir apprécié l’existence de vices entachant la validité du contrat, le juge administratif doit « en apprécier l’importance et les conséquences ». Les deux décisions du tribunal administratif de Paris avaient également souligné l’absence de démonstration d’un préjudice de la part des requérants liés au choix de la procédure.

En l’espèce, les critères n’étaient certes pas réunis pour que l’Etat ait régulièrement recours à cette procédure particulière. Néanmoins, ayant participé jusqu’à la phase finale des négociations, les requérantes n’ont ni démontré ni même soutenu que, compte tenu du déroulement de la procédure, l’irrégularité aurait vicié le consentement de l’une des parties, ou porté atteinte aux principes de transparence et d’égalité des candidats.

La cour juge donc que l’irrégularité du choix de la procédure ne s’oppose pas à la poursuite du contrat.

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References   [ + ]

1. TA Paris 19 juillet 2016 Société Armor développement et autres, req. n° 1310336-1310335/3-1.
2. TA Paris 10 mai 2013 Société Armor développement et autres, req. n° 1305402.
3. QE avec réponse AN de M. Jacques Bompard 18 juin 2013, n° 29713.
4. QE avec réponse AN de M. Marc Le Fur 17 septembre 2013, n° 37504.
5. QE avec réponse AN de M. Marc Le Fur 17 septembre 2013, n° 37504
6. TA Paris 10 mai 2013 Société Armor développement et autres, req. n° 1305402
7. TA Paris 19 juillet 2016 Société Armor développement et autres, req. n° 1310336-1310335/3-1

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