L’accès du rapporteur public au projet de décision du conseiller rapporteur n’est pas contraire au droit à un procès équitable : un revirement de jurisprudence qui ne dit pas son nom ? (CEDH 4 juin 2013 « François Marc-Antoine c/ France »)

Catégorie

Droit administratif général

Date

June 2013

Temps de lecture

2 minutes

Par une décision d’irrecevabilité (req. n° 54984/09), la Cour Européenne des Droits de l’Homme vient de valider la pratique contentieuse qui consiste à transmettre au rapporteur public (ex-commissaire du gouvernement, membre de la juridiction administrative) le projet de décision du conseiller rapporteur en écartant le moyen soulevé par le requérant qui faisait valoir la violation, par cette pratique, de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme relatif au droit à un procès équitable.

 Dans cette affaire, le requérant, lui-même magistrat de l’ordre administratif, sollicitait l’application de la théorie des apparences afin que le rapporteur public soit considéré comme une partie disposant d’informations auxquelles le requérant n’a pas accès, rompant de ce fait l’égalité des armes.

 Un tel moyen avait toutes les chances de prospérer puisque la Cour Européenne des Droits de l’Homme, par un arrêt de Grande Chambre de 1998 rendu à l’égard de l’avocat général près la Cour de Cassation (pouvant être perçu comme l’homologue judiciaire du rapporteur public), avait condamné la France au motif que la transmission au seul avocat général du rapport et du projet d’arrêt du conseiller rapporteur « ne s’accorde pas avec les exigences du procès équitable » et viole l’article 6 de la Convention (CEDH 31 mars 1998 « Reinhardt et Slimane-Kaïd c/ France », req. n° 23043/93 et 22921/93). A la suite de cette décision, l’avocat général n’eut dès lors plus accès au projet d’arrêt et ne participa plus à la conférence préparatoire à l’audience.

 Toutefois, par sa décision du 4 juin 2013, la Cour ne l’a pas entendu ainsi en considérant que le projet de décision du conseiller rapporteur, qui est un magistrat de la formation de jugement chargé d’instruire le dossier, n’est « pas une pièce produite par une partie (…) susceptible d’influencer la décision juridictionnelle, mais (…) un élément établi au sein de la juridiction dans le cadre du processus d’élaboration de la décision finale. Partant, un tel document de travail interne à la formation de jugement, couvert par le secret, ne saurait être soumis au principe du contradictoire ».

 Elle poursuit en précisant qu’en outre, « (…) le requérant ne démontre pas en quoi le rapporteur public serait susceptible d’être qualifié d’adversaire ou de partie dans la procédure, condition préalable pour être à même d’alléguer une rupture de l’égalité des armes ».

Ce faisant, la juridiction européenne s’éloigne de (pour ne pas dire « revient sur ») la position qu’elle avait prise dans l’arrêt « Kress c/ France » (CEDH Grande Chambre 7 juin 2001, req. n° 39594/98). En effet, dans cette célèbre affaire, la Cour avait expressément jugé, en application de la théorie des apparences, que le commissaire du gouvernement pouvait être légitimement considéré par les parties comme prenant fait et cause pour l’une d’entre elles, la conduisant à condamner la France du fait de la participation du commissaire du gouvernement au délibéré.

 Toutefois, en prenant un arrêt d’irrecevabilité, la Cour ne semble pas assumer ce qui peut être perçu comme un véritable revirement de jurisprudence.

 La juridiction européenne se contente de mettre en avant le fait qu’elle a particulièrement été sensible aux arguments du gouvernement français, relayés par l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, ainsi que par le Conseil National des Barreaux, qui rappelaient de concert que le rapporteur public, en exposant publiquement, en toute indépendance, pour chaque affaire inscrite au rôle, son appréciation sur les circonstances de fait et les règles de droit applicables et en proposant une solution au litige, « joue un rôle crucial pour la cohérence de la jurisprudence et la qualité de la prise de décision », ce que personne ne reviendrait remettre en cause.

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