Passerelle entre référés précontractuel et contractuel : deux illustrations récentes

Catégorie

Contrats publics

Date

November 2013

Temps de lecture

4 minutes

Deux ordonnances rendues récemment, l’une à propos d’un marché public passé selon une procédure formalisée et l’autre à propos d’une délégation de service public, ont fait application de la passerelle construite entre référés précontractuel et contractuel 1) CE 10 novembre 2010 France Agrimer, req. n° 340944 : mentionné aux tables du Rec. CE (pour un marché public passé selon une procédure formalisée, avec un délai de standstill obligatoire) ; CE 19 janvier 2011 Grand Port Maritime du Havre, req. n° 343435 : publié au Rec. CE (pour un MAPA) ; voir également CE 24 juin 2011 Office Public de l’Habitat Interdepartemental de l’Essonne, du Val d’Oise et des Yvelines, req. n° 346665 : mentionné aux tables du Rec. CE., et illustrent ainsi la complexité du mécanisme retenu.

1- D’une part, dans le cadre de la passation d’un marché public, un pouvoir adjudicateur avait envisagé de procéder à l’information des candidats sur le rejet de leurs offres et le délai de standstill par courrier électronique.

Toutefois, le pouvoir adjudicateur n’avait aucun élément de preuve de la réception du courriel en question, pas davantage que de sa pièce jointe : partant, faute pour lui d’établir que cette information avait bien été effectuée, ce que la requérante contestait, le juge constate que cette dernière est recevable à transformer son référé précontractuel en référé contractuel (TA Basse Terre 25 septembre 2013 société E Compagnie, req. n° 1301203).

Cette jurisprudence fait là application d’une solution déjà établie : dans le cadre des procédures formalisées imposant une information des candidats évincés, lorsque la personne publique n’assure pas correctement cette information, notamment parce qu’elle n’indique pas dans le courrier rejetant l’offre les motifs de ce rejet et le délai de standstill, la signature du contrat ferme la voie du précontractuel, mais alors le requérant peut transformer son action en un référé contractuel 2) CE 18 décembre 2012 Métropole Nice Côte d’Azur, req. n° 363342.

Une fois admise la transformation du référé précontractuel en référé contractuel, le juge analyse si les conditions énoncées par l’article L. 551-18 du CJA pour pouvoir obtenir l’annulation du contrat sont remplies (rappelons que les hypothèses d’annulation du contrat par la voie de ce référé sont considérées comme limitativement énumérées par cette disposition 3) La recevabilité du contractuel admise, reste à savoir si les conditions prévues à l’article L. 551-18 du CJA sont réunies pour pouvoir censurer le contrat. En effet, rappelons que cet article fixe de manière limitative les irrégularités pouvant entraîner une telle censure du contrat :
– Soit aucune publicité n’a été organisée pour la passation du contrat,
– Soit les modalités de remise en concurrence d’un accord-cadre ont été méconnues ;
Soit un délai de standstill a été méconnu et a privé le requérant de la possibilité d’exercer un référé précontractuel, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat.
).

Le tribunal relève ainsi que le pouvoir adjudicateur a méconnu le délai de standstill qu’impose l’article 80 CMP, et que cette méconnaissance a empêché le requérant d’exercer un référé précontractuel. Par ailleurs, le pouvoir adjudicateur avait tenu compte pour analyser les offres de sous-critères pondérés sans les indiquer préalablement aux candidats, affectant en cela les chances du requérant d’obtenir le contrat.

2- Ensuite, dans le cadre de la passation d’une délégation de service public, l’autorité délégante avait adressé aux candidats évincés un courrier les informant du rejet de leur offre, et leur indiquant qu’elle s’imposait de respecter un délai de standstill de 16 jours.

Dans le cadre de la passation d’une DSP, aucune obligation d’information des candidats ni aucun délai de standstill ne s’impose, les textes prévoyant seulement que l’autorité délégante peut choisir de publier un avis d’intention de conclure, en respectant ensuite un délai de standstill de 11 jours 4) L. 551-15 du CJA et article R. 1411-2-1 du CGCT.. Cette formalité n’est pas obligatoire, mais lorsqu’elle est réalisée et respectée, les candidats évincés ne sont plus recevables à exercer ensuite un référé contractuel.

En l’espèce, la personne publique s’était elle-même imposé un délai de 16 jours, dont elle a informé directement les candidats évincés, mais qu’elle n’a finalement pas respecté en signant le contrat le 12ème jour du délai. Pour le tribunal administratif de Toulouse, le manquement par la personne publique à une obligation d’information et à un délai de standstill qu’elle s’est elle-même imposés suffit à permettre la transformation du précontractuel en contractuel (TA Toulon 4 juillet 2013 SARL Miramar, req. n° 1301578).

Cette transformation admise, le tribunal administratif de Toulouse fait application de l’article L. 551-18 CJA, dans des conditions toutefois peu rigoureuses.

En effet, outre les cas de l’absence totale de publicité, de l’absence d’une publicité au JOUE alors qu’elle s’imposait et celui de la méconnaissance des modalités de remise en concurrence d’un accord-cadre, le dernier cas d’annulation est celui d’une méconnaissance d’un délai de standstill obligatoire qui aura privé le requérant de la possibilité d’exercer un référé précontractuel, à condition d’établir que la personne a méconnu ses obligations de mise en concurrence d’une manière affectant les chances du requérant d’obtenir le contrat.

Le Conseil d’Etat a déjà jugé que ce dernier cas d’annulation n’est pas applicable aux contrats pour lesquels aucun délai obligatoire de standstill n’existe 5) CE 19 janvier 2011 Grand Port Maritime du Havre, req. n° 343435 : publié au Rec. CE : « […] Considérant que, s’agissant des marchés passés selon une procédure adaptée, qui ne sont pas soumis à l’obligation, pour le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice, de notifier aux opérateurs économiques ayant présenté une offre, avant la signature du contrat, la décision d’attribution, l’annulation d’un tel contrat ne peut, en principe, résulter que du constat des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l’article L. 551-18, c’est-à-dire de l’absence des mesures de publicité requises pour sa passation ou de la méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique […] » : ainsi, l’annulation d’un MAPA, dont la passation n’est soumise à aucun délai de standstill obligatoire, ne pourrait résulter que d’une absence totale de publicité du marché, de l’absence d’une publicité obligatoire au JOUE ou d’une méconnaissance des modalités de remise en concurrence d’un accord-cadre.

Le tribunal administratif de Toulouse se contente pourtant de constater que la personne publique a apporté une modification substantielle à son cahier des charges initial en autorisant finalement l’exercice d’une activité accessoire de restauration dans le cadre de la DSP. Il retient que cette modification a pu affecter les chances du requérant d’obtenir le contrat, alors que la personne publique semble avoir informé le requérant de cette possibilité d’intégrer cette activité accessoire (mais peut être trop tardivement).

Si un pourvoi était exercé à l’encontre de cette ordonnance, celle-ci pourrait être censurée pour erreur de droit – à moins que le Conseil d’Etat ne décide de modifier son interprétation du 3ème alinéa de l’article L. 551-18 CJA, et de l’ouvrir aux cas où un délai de standstill facultatif, mais que la personne publique s’est imposé, a été méconnu.

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1. CE 10 novembre 2010 France Agrimer, req. n° 340944 : mentionné aux tables du Rec. CE (pour un marché public passé selon une procédure formalisée, avec un délai de standstill obligatoire) ; CE 19 janvier 2011 Grand Port Maritime du Havre, req. n° 343435 : publié au Rec. CE (pour un MAPA) ; voir également CE 24 juin 2011 Office Public de l’Habitat Interdepartemental de l’Essonne, du Val d’Oise et des Yvelines, req. n° 346665 : mentionné aux tables du Rec. CE.
2. CE 18 décembre 2012 Métropole Nice Côte d’Azur, req. n° 363342
3. La recevabilité du contractuel admise, reste à savoir si les conditions prévues à l’article L. 551-18 du CJA sont réunies pour pouvoir censurer le contrat. En effet, rappelons que cet article fixe de manière limitative les irrégularités pouvant entraîner une telle censure du contrat :
– Soit aucune publicité n’a été organisée pour la passation du contrat,
– Soit les modalités de remise en concurrence d’un accord-cadre ont été méconnues ;
Soit un délai de standstill a été méconnu et a privé le requérant de la possibilité d’exercer un référé précontractuel, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d’une manière affectant les chances de l’auteur du recours d’obtenir le contrat.
4. L. 551-15 du CJA et article R. 1411-2-1 du CGCT.
5. CE 19 janvier 2011 Grand Port Maritime du Havre, req. n° 343435 : publié au Rec. CE : « […] Considérant que, s’agissant des marchés passés selon une procédure adaptée, qui ne sont pas soumis à l’obligation, pour le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice, de notifier aux opérateurs économiques ayant présenté une offre, avant la signature du contrat, la décision d’attribution, l’annulation d’un tel contrat ne peut, en principe, résulter que du constat des manquements mentionnés aux deux premiers alinéas de l’article L. 551-18, c’est-à-dire de l’absence des mesures de publicité requises pour sa passation ou de la méconnaissance des modalités de remise en concurrence prévues pour la passation des contrats fondés sur un accord-cadre ou un système d’acquisition dynamique […] »

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