Avis aux juges administratifs ! Le Conseil d’Etat propose enfin une grille d’analyse concernant les modalités d’application dans le temps des dispositions relatives au contentieux des permis de construire introduites par l’ordonnance du 18 juillet 2013.

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

June 2014

Temps de lecture

4 minutes

 

CE 18 juin 2014 SCI Mounou, Monsieur B., SARL Colomes Immobilier, SARL Beaupré et Monsieur A., req. n° 376113

CE 18 juin 2014 Société Batimalo et commune de Saint-Malo, req. n° 376760

 

Par deux avis rendus le 18 juin dernier (n° 376113 et n° 376760), le Conseil d’Etat a tranché le débat relatif aux modalités d’application des dispositions procédurales introduites par l’ordonnance du 18 juillet 2013 1)  Ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, entrée en vigueur le 19 août 2013. aux instances en cours.

Il convient de rappeler, à titre liminaire, que l’ordonnance du 18 juillet 2013 a introduit au sein du code de l’urbanisme les nouvelles dispositions suivantes 2) Voir notre précédent article : La première ordonnance prévue par la loi du 1er juillet 2013 habilitant le gouvernement à légiférer pour accélérer les projets de construction a été publiée au JO du 19 juillet 2013 et porte comme prévue sur le contentieux de l’urbanisme. :

►        Encadrement de l’intérêt à agir contre une autorisation d’urbanisme (L. 600-1-2 CU et L. 600-1-3 CU) ;

►        Possibilité pour le juge de prononcer une annulation partielle d’un permis de construire (L. 600-5 CU : réécriture des conditions de l’annulation partielle) ou de surseoir à statuer (L. 600-5-1 CU : nouvelle disposition) si le vice est régularisable par un permis construire modificatif ;

►        Possibilité de recours indemnitaire par le bénéficiaire de l’autorisation lorsqu’il s’estime victime d’un recours abusif (L. 600-7 CU) ;

►        Enregistrement fiscal de la transaction sur désistement d’un recours contre un permis de construire (L. 600-8 CU).

Toutefois, les conditions d’application de ces nouvelles dispositions restaient à définir : s’appliquaient-elles aux instances en cours ?

Par un arrêt du 9 avril 2014, le Conseil d’Etat semblait implicitement admettre que les modifications introduites à l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, redéfinissant l’intérêt à agir, ne s’appliquaient pas aux instances en cours 3) Voir le commentaire de cette décision : Office du juge en matière d’annulation partielle d’un permis de construire, impossibilité pour un PCM de régulariser un permis de construire annulé partiellement en première instance et entrée en vigueur des nouvelles règles sur l’intérêt à agir contre les permis issues de l’ordonnance du 18 juillet 2013 (?) : une décision peut parfois en cacher une autre !.

Cette décision paraissait s’inscrire dans la veine des précédentes décisions de la juridiction suprême, le Conseil d’Etat, ayant déjà jugé concernant l’entrée en vigueur de l’article L. 600-1-1 du code de l’urbanisme :

« que ces dispositions sont entrées en vigueur, dans les conditions de droit commun, le lendemain de la publication de cette loi au Journal officiel de la République française, soit le 17 juillet 2006 ; qu’une disposition nouvelle qui affecte la substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir contre une décision administrative est, en l’absence de dispositions expresses contraires, applicable aux recours formés contre les décisions intervenues après son entrée en vigueur, alors même que ces dernières statuent sur des demandes présentées antérieurement à cette entrée en vigueur » (CE 11 juillet 2008  ASSOCIATION DES AMIS DES PAYSAGES BOURGANIAUDS, req. n° 313386).

Les deux avis commentés rendus le 18 juin dernier, mettent un terme au débat et confirme la grille d’analyse pressentie dans les décisions précitées.

L’avis n° 376113 dit « SCI Mounou », est particulièrement éclairant.

En pratique, selon le Conseil d’Etat, il convient désormais de distinguer deux hypothèses :

►        soit la nouvelle disposition affecte la « substance du droit de former un recours pour excès de pouvoir » ; dans ce cas, elle ne peut s’appliquer qu’aux recours introduits après l’entrée en vigueur de l’ordonnance et non aux instances en cours (articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3 CU).

►       soit la nouvelle disposition n’institue que des « règles de procédure concernant exclusivement les pouvoirs du juge administratif » ; dans ce cas, elle a vocation à s’appliquer à toutes les instances en cours au jour de l’entrée en vigueur de l’ordonnance. Ainsi, depuis le 19 août 2013, les dispositions des articles L. 600-5 et L. 600-7 4) A cet égard, il convient de noter que concernant l’application de l’article L. 600-7, le Conseil d’Etat va à l’encontre de l’interprétation de certains juges du fond qui considéraient que les dispositions de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme affectaient la substance du droit à former un recours et ne pouvaient donc s’appliquer aux instances en cours (TA Strasbourg 15 octobre 2013, req. n° 1003775) peuvent être appliquées par les juges à toutes les instances, quelle que soit la date d’introduction du recours.

Concernant cette dernière hypothèse, le second avis du Conseil d’Etat, n° 376760, va même plus loin.

Dans cette affaire, la question était de savoir si le juge d’appel pouvait surseoir à statuer et inviter les parties à régulariser leur permis de construire en application des nouvelles dispositions de l’article L. 600-5-1, alors qu’une telle possibilité n’existait pas en première instance.

Une nouvelle fois, le Conseil d’Etat rappelle le principe énoncé dans le premier avis « SCI Mounou » en indiquant qu’en tant que règles de procédure ne « concernant exclusivement les pouvoirs du juge », les dispositions de l’article L. 600-5-1 devaient s’appliquer à toutes les instances en cours, quel que soit le degré de juridiction.

Ainsi, le juge d’appel peut surseoir à statuer et inviter les parties à régulariser leur autorisation, même si les juges de première instance ont rendu leur jugement sous l’empire des anciennes dispositions. En revanche, il doit, au préalable, s’assurer qu’aucun des moyens, tant de première instance que d’appel, n’est fondé et susceptible d’être régularisé. Le Conseil d’Etat précise enfin qu’ « à compter de la décision par laquelle le juge fait usage de la faculté de surseoir à statuer ouverte par l’article L. 600-5-1, seuls des moyens dirigés contre le permis modificatif notifié, le cas échéant au juge peuvent être invoqués devant ce dernier ».

La grille d’application dans le temps des nouvelles règles du contentieux de l’urbanisme est donc désormais fixée.

Gageons, qu’elle s’appliquera de la même manière aux autres dispositions contentieuses, non visées dans les avis commentés, à savoir notamment :

►    aux dispositions de l’article R. 600-4 issues du décret du 1er octobre 2013, offrant la possibilité au juge de cristalliser le débat contentieux 5) Décret n° 2013-879 du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme

Voir notre précédent article : Le décret du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme vient comme prévu compléter le dispositif de prévention des recours abusifs et d’accélération des projets de construction initié par l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme.,

►        aux dispositions de l’article L. 600-8 précité soumettant les transactions conclues en matière de contentieux de l’urbanisme à une obligation d’enregistrement auprès de l’administration des impôts directs.

Restera alors aux juges à déterminer si ces dispositions sont de simples règles de procédure relatives aux pouvoirs du juge ou des règles susceptibles d’affecter le droit au recours 6) S’il fait peu de doutes que les dispositions de l’article R. 600-4 seront d’application immédiate, en tant que simples règles de procédure relatives aux pouvoirs du juge, le doute demeure permis concernant les conditions d’application de l’article L. 600-8 .

Affaire à suivre…

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References   [ + ]

1.   Ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme, entrée en vigueur le 19 août 2013.
2.  Voir notre précédent article : La première ordonnance prévue par la loi du 1er juillet 2013 habilitant le gouvernement à légiférer pour accélérer les projets de construction a été publiée au JO du 19 juillet 2013 et porte comme prévue sur le contentieux de l’urbanisme.
3.  Voir le commentaire de cette décision : Office du juge en matière d’annulation partielle d’un permis de construire, impossibilité pour un PCM de régulariser un permis de construire annulé partiellement en première instance et entrée en vigueur des nouvelles règles sur l’intérêt à agir contre les permis issues de l’ordonnance du 18 juillet 2013 (?) : une décision peut parfois en cacher une autre !
4.  A cet égard, il convient de noter que concernant l’application de l’article L. 600-7, le Conseil d’Etat va à l’encontre de l’interprétation de certains juges du fond qui considéraient que les dispositions de l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme affectaient la substance du droit à former un recours et ne pouvaient donc s’appliquer aux instances en cours (TA Strasbourg 15 octobre 2013, req. n° 1003775
5.  Décret n° 2013-879 du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme

Voir notre précédent article : Le décret du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme vient comme prévu compléter le dispositif de prévention des recours abusifs et d’accélération des projets de construction initié par l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme.

6. S’il fait peu de doutes que les dispositions de l’article R. 600-4 seront d’application immédiate, en tant que simples règles de procédure relatives aux pouvoirs du juge, le doute demeure permis concernant les conditions d’application de l’article L. 600-8

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