Le législateur abroge par erreur le droit public

Catégorie

Droit administratif général

Date

April 2016

Temps de lecture

4 minutes

Loi n° 2016-6102 du 1er avril 2016 relative à la clarification de l’allègement des procédures d’amélioration de la qualité de la simplification du droit

La bévue. La gaffe. Et, peut-être, pour certains étudiants, la délivrance. A la suite d’un excès de zèle, le législateur a étendu définitivement et à l’ensemble du territoire français une disposition expérimentale et géographiquement limitée.


1 La genèse du projet de loi

Depuis un peu plus d’une quinzaine d’années, la simplification du droit est à l’honneur :

Loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale

Loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit

Loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit

Loi n° 2008-1545 du 31 décembre 2008 pour l’amélioration et la simplification du droit de la chasse

Loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures

Loi n° 2011-412 du 14 avril 2011 portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique

Loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration de la qualité du droit

Loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives

Loi n° 2014-1545 du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises et portant diverses dispositions de simplification et de clarification du droit et des procédures administratives

Loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures

Néanmoins, tout n’est pas encore parfaitement limpide et le Conseil d’Etat a pu ainsi être conduit à juger non pas si un article d’un décret était légal ou non mais comment il devait s’entendre 1)CE 4 décembre 2013 Association France Nature Environnement, req. n° 357839, point 16 : « Considérant, d’une part, qu’il est vrai que, comme le relèvent les associations requérantes, le III de l’article 12 du décret attaqué prescrit d’insérer au premier alinéa de l’article R.581-60, tel qu’issu de la renumérotation résultant de l’article 2 du décret, les mots ” , ni le cas échéant, dépasser les limites de l’égout du toit. ” après les mots ” plus de 0,50 mètre “, alors que l’article R.581-60 fait mention des mots ” 0,25 mètre ” ; qu’il ne fait toutefois pas de doute que les mots ajoutés par le III de l’article 12 doivent être insérés après les mots ” 0,25 mètre “ »..

En conséquence, au vu de l’incontestable succès, en termes de simplification, de la généralisation du principe « silence vaut accord » qui a pu être résumé en seulement quatre tableaux publiés sur le site Legifrance (le premier ne comptant au surplus que 114 pages) et ses exceptions en seulement 45 décrets, de nouveaux gisements de simplification ont été recherchés.

L’expérimentation conduite par l’ordonnance n° 2014-619 du 12 juin 2014 relative à l’expérimentation d’une autorisation unique pour les installations, ouvrages, travaux et activités soumis à autorisation au titre de l’article L. 214-3 du code de l’environnement ayant été concluante, il a été décidé d’expérimenter l’application du droit unique.

L’exposé des motifs du projet de loi indiquait à cet égard :

      • « […]

    Dans le prolongement du choc de simplification, il a été décidé une expérimentation visant à tester la faisabilité de l’application sur un territoire donné d’un seul droit. Dans le cadre de la première phase de cette expérimentation, il s’agit de tester la seule application du droit privé. En effet, le droit public est considéré, malgré les louables efforts de la doctrine publiciste française (en particulier adden-leblog.com), encore trop complexe. S’agissant du périmètre géographique de cette phase, il est acquis depuis Laferrière que le droit privé et le juge judiciaire peuvent connaître de « l’homme avec ses faiblesses, ses passions, ses imprudences » (concl. sur T.C. 5 mai 1877, Laumonnier-Carriol, Rec. CE p. 437). En conséquence, au vu du constat que l’archipel des Kerguelen dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) ne compte qu’une population de 45 personnes selon Wikipedia et qu’aucune personne publique n’y a été observée ces 50 dernières années, celui-ci a été choisi pour l’expérimentation de l’application du seul droit privé

      ».

2 L’abrogation

Initialement l’article 98 du projet de loi prévoyait ainsi, en conséquence, que :

      • «

    A titre expérimental et pour une durée de trois ans, il ne sera appliqué à l’archipel Kerguelen que le seul droit privé et, s’agissant de la Constitution, que son seul Titre VIII relatif à l’Autorité judiciaire. Au plus tard six mois avant la fin de l’expérimentation, le Gouvernement présente au Parlement un rapport d’évaluation proposant les suites à lui donner

      ».

Toutefois, lors de l’examen en première lecture du texte devant le Sénat, le rapporteur de la commission des lois, le sénateur Palpatine, a considéré qu’un texte en matière de simplification se devait de donner l’exemple et, l’archipel Kerguelen étant déjà mentionné dans d’autres textes, de se borner à un simple renvoi, en remplaçant la mention de celui-ci par celle du « second archipel mentionné à l’article 8 du décret n° 2009-1039 du 26 août 2009 relatif aux conditions d’exercice de la pêche maritime dans les Terres australes et antarctiques françaises et pris pour l’application de l’article 3 de la loi n° 66-400 du 18 juin 1966 modifiée sur l’exercice de la pêche maritime et l’exploitation des produits de la mer dans les Terres australes et antarctiques françaises ».

Mais surtout, dans la dernière ligne droite, un risque d’inconstitutionnalité du texte a été relevé in extremis au regard du principe d’égalité et ce, au motif que ce territoire ne serait pas dans une situation différente au regard de la complexité du droit.

En conséquence, le texte finalement définitivement adopté énonce que sur l’ensemble du territoire de la République française, il n’est plus appliqué que le seul droit privé.

3 Quelles conséquences ?

A court terme, France Domaine devrait organiser le déclassement et la cession des locaux des juridictions administratives, ainsi que de la moitié de ceux affectés au Tribunal des conflits.

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References   [ + ]

1. CE 4 décembre 2013 Association France Nature Environnement, req. n° 357839, point 16 : « Considérant, d’une part, qu’il est vrai que, comme le relèvent les associations requérantes, le III de l’article 12 du décret attaqué prescrit d’insérer au premier alinéa de l’article R.581-60, tel qu’issu de la renumérotation résultant de l’article 2 du décret, les mots ” , ni le cas échéant, dépasser les limites de l’égout du toit. ” après les mots ” plus de 0,50 mètre “, alors que l’article R.581-60 fait mention des mots ” 0,25 mètre ” ; qu’il ne fait toutefois pas de doute que les mots ajoutés par le III de l’article 12 doivent être insérés après les mots ” 0,25 mètre “ ».

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