Des précisions sur la qualité pour agir en annulation d’un marché public de prestations juridiques

Catégorie

Contrats publics

Date

June 2016

Temps de lecture

4 minutes

CAA Nantes 31 mai 2016 Ordre des avocats de Paris, req. n° 14NT01012

1 – Faits

La commune de Vierzon a confié à la société Olivier Darmon Consultants une mission relative à l’ « assistance à maîtrise d’ouvrage dans le cadre de la continuité de service du contrat pour l’exploitation du service des transports urbains ».

Par un jugement du 13 février 2014, le tribunal administratif d’Orléans a rejeté la demande de l’Ordre des avocats de Paris aux fins d’annulation de la décision d’attribution du marché, de celle de signer le marché et de celle refusant d’y mettre fin, l’Ordre des avocats considérant que le marché aurait dû être attribué à un avocat.

Formant appel de ce jugement, la cour administrative d’appel de Nantes a été amenée à se prononcer sur la recevabilité des demandes précitées présentées par l’Ordre des avocats de Paris.

2 – Solution de la Cour

Dans un premier temps, la cour rappelle les dispositions de l’article 17 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques :

    « Le conseil de l’ordre a pour attribution de traiter toutes questions intéressant l’exercice de la profession et de veiller à l’observation des devoirs des avocats ainsi qu’à la protection de leurs droits. Sans préjudice des dispositions de l’article 21-1, il a pour tâches, notamment : (…) 5° de traiter toute question intéressant l’exercice de la profession, la défense des droits des avocats et la stricte observation de leurs devoirs (…) ; 10° d’assurer dans son ressort l’exécution des décisions prises par le Conseil national des barreaux ».

Ainsi que l’article 21-1 de la même loi, dans sa version applicable au litige :

    « Le Conseil national des barreaux, établissement d’utilité publique doté de la personnalité morale, est chargé de représenter la profession d’avocat notamment auprès des pouvoirs publics. (…)/Le conseil national peut, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession d’avocat. (…) ».

La cour administrative d’appel de Nantes en déduit alors que :

    « si le conseil de l’ordre d’un barreau a pour mission de traiter toute question intéressant la profession et la défense des droits des avocats de ce barreau, seul le conseil national des barreaux [CNB] représente, au niveau national, la profession d’avocat ; que le contrat litigieux, conclu entre la commune de Vierzon et la société Olivier Darmon Consultants, est étranger au ressort de l’ordre des avocats de Paris ; que par suite, à supposer même que, par son objet, ce contrat fût susceptible de porter atteinte aux compétences réservées, par la loi du 31 décembre 1971, aux avocats, l’ordre des avocats de Paris, ne dispose pas d’un intérêt lui donnant qualité pour agir contre ses actes détachables ».

En conséquence, pour la cour administrative d’appel de Nantes, l’ordre des avocats de Paris n’a pas de compétence nationale contrairement au CNB pour agir, au nom des intérêts de la profession, contre l’attribution d’un marché public de services juridiques à une société qui agirait pourtant en dehors du périmètre du droit, lui refusant ainsi un quelconque intérêt lui donnant qualité pour agir et ce, « à supposer même que, par son objet, ce contrat fût susceptible de porter atteinte aux compétences réservées, par la loi du 31 décembre 1971, aux avocats » 1) A cet égard, il est fort à parier que la solution aurait été la même dans le cadre d’un recours en annulation du contrat dit recours « Tarn-et-Garonne » (CE 4 avril 2014 Département Tarn et Garonne, req. n° 358994), dans la mesure où l’Ordre des avocats aurait dû démontrer un « intérêt à agir suffisamment direct et certain »..

3 – Mise en perspective de cette solution

Bien que la qualité pour agir de l’Ordre des avocats de Paris soit, par ailleurs, admise dans le cadre d’un recours contre les textes de portée règlementaire en matière de commande publique 2) CE Ass. 9 avril 1999 Françoise Toubol-Fischer et autre, req. n° 196177 – CE Ass. 5 mars 2003 Ordre des avocats à la cour d’appel de Paris, req. n° 238039 – CE 16 octobre 2015 Conseil national des barreaux et autres, req. n° 393588 – CE 9 mars 2016 Conseil national des barreaux et autres, req. n° 393589., il en serait ainsi différemment de son intérêt à agir dans le cadre d’un recours en annulation contre les actes détachables d’un marché public, en dehors de son ressort territorial.

Cette solution suscite toutefois la réserve pour plusieurs raisons.

    ► D’une part, certains avocats de l’Ordre des avocats de Paris ont pu présenter une offre ou pouvaient potentiellement le faire dans le cadre du marché public contesté, l’Ordre des avocats de Paris justifiant ainsi d’un intérêt à agir suffisamment direct et certain en qualité de « protection » des droits des avocats de son ressort ;

    ► D’autre part, le 5° de l’article 17 de la loi du 31 décembre 1971 ne prévoit pas que l’Ordre des avocats ne pourrait « traiter toute question intéressant l’exercice de la profession [et] la défense des droits des avocats » que dans son seul ressort, alors qu’il mentionne à l’inverse ce ressort à son 10°. En outre, si ses dispositions s’entendent « sans préjudice des dispositions de l’article 21-1 », cela signifie simplement que l’article 17 ne saurait faire obstacle à l’exercice par le CNB des droits qu’il tient de l’article 21-1.

Cette position de la cour administrative d’appel de Nantes ne faisant pas, en tout état de cause, l’unanimité parmi les juges du fond 3) CAA Lyon 18 juin 2015 communauté de communes Val Vanoise Tarentaise, req. n° 14LY02786 : pour un exemple d’actes détachables d’un marché public annulés par le juge administratif à la demande de l’Ordre des avocats de Paris, en dehors de son ressort territorial, en raison d’une violation du périmètre du droit., le Conseil d’Etat pourrait être amené à trancher cette question de la qualité pour agir des Ordres des avocats, en dehors de leur ressort territorial, en matière d’attribution d’un contrat de la commande publique au regard des règles relatives au périmètre du droit.

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References   [ + ]

1. A cet égard, il est fort à parier que la solution aurait été la même dans le cadre d’un recours en annulation du contrat dit recours « Tarn-et-Garonne » (CE 4 avril 2014 Département Tarn et Garonne, req. n° 358994), dans la mesure où l’Ordre des avocats aurait dû démontrer un « intérêt à agir suffisamment direct et certain ».
2. CE Ass. 9 avril 1999 Françoise Toubol-Fischer et autre, req. n° 196177 – CE Ass. 5 mars 2003 Ordre des avocats à la cour d’appel de Paris, req. n° 238039 – CE 16 octobre 2015 Conseil national des barreaux et autres, req. n° 393588 – CE 9 mars 2016 Conseil national des barreaux et autres, req. n° 393589.
3. CAA Lyon 18 juin 2015 communauté de communes Val Vanoise Tarentaise, req. n° 14LY02786 : pour un exemple d’actes détachables d’un marché public annulés par le juge administratif à la demande de l’Ordre des avocats de Paris, en dehors de son ressort territorial, en raison d’une violation du périmètre du droit.

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