Roland Garros : la réalisation d’équipements dans un site classé n’implique pas nécessairement la mise en œuvre d’une procédure de déclassement

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

September 2016

Temps de lecture

5 minutes

CE 3 octobre 2016 Fédération française de Tennis, req. n° 398589, mentionné dans les tables du Recueil CE. La décision du 3 octobre 2016 par laquelle le Conseil d’Etat a décidé d’annuler la suspension du permis de construire qui avait été délivré à la Fédération française de tennis (FFT) en juin 2015 constitue un avatar supplémentaire des péripéties qui émaillent depuis plus dix ans maintenant les travaux de rénovation du stade de Roland Garros. Rappelons que le projet a vu le jour en 2006 à l’occasion de la candidature de la ville de Paris aux Jeux Olympiques de 2012. Si la candidature a échoué, la FFT n’en a pas pour autant abandonné ses objectifs, en particulier celui de construire un nouveau court de plusieurs milliers de places. En 2011, elle a présenté un projet d’extension situé sur le jardin des serres d’Auteuil, dans le périmètre du Bois de Boulogne qui a immédiatement suscité l’opposition de plusieurs associations, mais également des héritiers de l’architecte des serres, Jean-Camille Formigé. Alors que les travaux s’apprêtaient à commencer, ces derniers ont intenté une action devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, se prévalant des atteintes à leur droit moral d’auteur. Par ordonnance du 9 décembre 2015, le juge des référés a fait droit à la demande, suspendant sous astreinte « les travaux engagés ou à engager par la Fédération française de tennis en vertu du permis de construire » Un peu curieusement la suspension était prononcée « pour une durée maximale de trois mois », alors même que la décision précisait qu’il s’agissait « de préserver les lieux en l’état jusqu’à l’intervention du juge du fond ». Une autre action était par ailleurs diligentée par un collectif d’associations devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris afin d’obtenir la suspension du permis de construire. Par ordonnance du 24 mars 2016, le juge faisait droit à la demande, considérant que l’autorisation délivrée par le ministre chargé des sites au titre de la législation de l’environnement sur les sites inscrits et classés avait méconnu la procédure requise pour le « déclassement partiel » des serres d’Auteuil. C’est l’ordonnance qui a été censurée par la décision du 3 octobre 2016, au terme de laquelle le Conseil d’Etat, après avoir relevé l’insuffisance du contrôle opéré par le juge des référés, rappelle les conditions dans lesquelles une autorisation de construire peut venir permettre la réalisation d’équipements dans un site classé. 1 L’insuffisance du contrôle du juge des référés 1.1 La modification de l’état ou de l’aspect d’un site classé est subordonnée à une autorisation requise par l’article L. 341-10 du code de l’environnement. En conséquence, lorsqu’un projet est situé dans un site classé et que les travaux envisagés nécessitent par ailleurs un permis de construire, l’article R. 425-17 du code de l’urbanisme précise que la décision prise sur la demande de permis de construire ne peut intervenir qu’avec l’accord exprès prévu par l’article L. 341-10 du code de l’environnement. Cet accord est donné par le ministre chargé des sites, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. Il s’agit de l’une des hypothèses prévue à la section 2 du chapitre V du livre IV de la partie règlementaire du code de l’urbanisme relative aux opérations pour lesquelles le permis ou la décision prise sur la déclaration préalable est subordonné à un accord prévu par une autre législation. Le déclassement, total ou partiel, d’un site classé est, pour sa part, prononcé par décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la commission supérieure des sites, en vertu de l’article L. 341-13 du code de l’environnement. 1.2 En l’espèce, le permis de construire autorisant la rénovation et l’extension du stade de Roland Garros est situé dans le périmètre du Bois de Boulogne qui a été classé par arrêté ministériel du 23 septembre 1957. Il nécessitait donc une autorisation de ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, compétent en vertu du b) de l’article R. 425-17 du code de l’urbanisme. Cette autorisation a bien été donnée, mais le juge des référés a considéré qu’elle n’était pas suffisante compte tenu des travaux envisagés. En effet, le projet suppose la réduction de l’affectation à la promenade publique de la parcelle destinée à recevoir le futur équipement ainsi que la modification de son assiette. Le juge avait donc considéré que « la décision du ministre autorisant les travaux nécessaires à l’extension du stade de Roland Garros dans le jardin des serres d’Auteuil a pour effet de rendre le classement du site pour partie sans objet et serait ainsi l’équivalent d’un déclassement partiel qui ne peut être prononcé que par décret en Conseil d’Etat », conformément aux dispositions de l’article L. 341-13 du code de l’environnement. C’est le raisonnement que censure en l’espèce le Conseil d’Etat en jugeant que l’appréciation portée par le juge des référés aurait dû, pour déterminer s’il s’agissait d’un déclassement total ou partiel du site classé et non d’une simple modification de celui-ci, mettre en balance, d’une part, l’ampleur des atteintes au site et, d’autre part, les mesures de compensation prévues. 2 Un rappel des conditions dans lesquelles un projet de construction peut être autorisé dans un site classé 2.1 La haute juridiction rappelle tout d’abord que le classement d’un site « n’a ni pour objet ni pour effet d’interdire toute réalisation d’un équipement, construction ou activité économique dans le périmètre du classement, mais seulement de soumettre à autorisation tout aménagement susceptible de modifier l’état des lieux ». Elle ajoute toutefois que si le ministre peut autoriser la modification d’un site classé, « sa compétence ne s’étend pas à des mesures qui auraient pour effet de rendre le classement du site sans objet et seraient l’équivalent d’un véritable déclassement, total ou partiel ». A cet égard, il est également précisé « que, pour juger de la légalité d’une autorisation délivrée par le ministre et apprécier si des travaux ainsi autorisés ont pour effet de faire perdre son objet au classement du site, même sur une partie de celui-ci, il appartient au juge administratif d’apprécier l’impact sur le site de l’opération autorisée, eu égard à sa nature, à son ampleur et à ses caractéristiques, en tenant compte de la superficie du terrain concerné par les travaux à l’intérieur du site ainsi que, le cas échéant, de la nature des compensations apportées à l’occasion de l’opération et contribuant, à l’endroit des travaux ou ailleurs dans le site, à l’embellissement ou à l’agrandissement du site ». 2.2 Au cas présent, si les travaux projetés portent une atteinte certaine à des parcelles appartenant à un site classé, le Conseil d’Etat estime qu’il convenait cependant d’en mesurer l’ampleur afin d’apprécier « si le classement du site conservait son objet ». Or, au-delà du fait qu’était prévue la démolition des seules serres non inscrites à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques, tant la faible superficie des travaux au regard de l’étendue du site classé que la nature des constructions projetées, « dont l’architecture s’apparentera à celle des serres historiques », et les mesures de compensation consistant en l’ouverture au public, en dehors de la période du tournoi, des nouvelles serres et d’un parvis en herbe situé dans l’emprise du stade, ne permettaient pas de considérer que la décision du ministre autorisant le projet aurait pour effet de rendre le classement du site pour partie sans objet et serait l’équivalent d’un déclassement partiel, nécessitant l’intervention d’un décret en conseil d’Etat. Il en est donc déduit que le juge des référés a entaché son appréciation d’une erreur de droit. Le jugement du tribunal administratif est en conséquence annulé et la demande de suspension du permis de construire rejetée.

Partager cet article

3 articles susceptibles de vous intéresser