Précisions attendues sur le régime procédural et contentieux du permis de construire tenant lieu d’autorisation d’exploitation commerciale : le recours du tiers concurrent en cas d’avis défavorable de la CNAC alors que le permis de construire a été délivré après avis favorable de la CDAC

Catégorie

Aménagement commercial, Droit administratif général, Urbanisme et aménagement

Date

September 2017

Temps de lecture

8 minutes

CE 23 décembre 2016, Avis n° 398077 : publié au Rec. CE

Saisi par la Cour administrative d’appel de Nancy 1)CAA Nancy 17 mars 2016 Société MDVP Distribution, req. n° 15NC02351. d’une demande d’avis sur une question de droit en application de l’article L. 113-1 du code de justice administrative 2) L. 113-1 CJA : « Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel peut, par une décision qui n’est susceptible d’aucun recours, transmettre le dossier de l’affaire au Conseil d’Etat, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu’à un avis du Conseil d’Etat ou, à défaut, jusqu’à l’expiration de ce délai »., le Conseil d’Etat vient d’apporter un certain nombre de précisions sur le régime procédural, notamment contentieux, des permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale (PC valant AEC) créés par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprise, dite ACTPE (voir L. 425-4 C.urb.).

Avant d’exposer le contenu de cet avis, il convient de préciser le contexte contentieux ayant conduit la cour à saisir le Conseil d’Etat.

La société Lidl a, le 17 décembre 2014, sollicité en vue de rénover et d’agrandir un magasin situé à Sedan un PC valant permis de démolir. Elle a présenté une demande d’AEC, reçue le 13 février 2015 par la commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) et complétée, à la demande de la commission, le 30 mars 2015. La CDAC a autorisé le projet d’extension de la société Lidl par une délibération du 18 mai 2015. Par un arrêté du 15 juin 2015, le maire de Sedan a délivré le PC sollicité par la société Lidl. Le 26 juin 2015, la société MDVP Distribution a formé un recours préalable contre la décision de la CDAC auprès de la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC). La CNAC a fait droit à ce recours préalable le 8 octobre 2015 en refusant d’autoriser le projet de la société Lidl. La société MDVP Distribution a alors saisi la Cour administrative d’appel de Nancy d’une demande d’annulation du PC. La spécificité de cette espèce repose sur le fait que le PC valant AEC a été délivré avant que la CNAC, saisie d’un recours contre l’avis de la CDAC, ait rendu son propre avis. Nous analyserons successivement les questions posées par la cour et les réponses apportées par les juges du Palais Royal :

Question n° 1 : Le recours contentieux formé par un professionnel mentionné à l’article L. 752-17 du code du commerce (ci-après dénommé “le concurrent”) 3)Il s’agit de « tout professionnel dont l’activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d’être affectée par le projet ». contre un PC valant AEC est-il soumis aux exigences des dispositions de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme (obligation de notification du recours à l’auteur de la décision et au titulaire de l’autorisation à peine d’irrecevabilité) alors que :

a) les conclusions en annulation et moyens de ce requérant contre ce permis ne sont recevables qu’en tant que ce permis tient lieu d’AEC 4)Conformément aux dispositions de l’article L. 600-1-4 du code de l’urbanisme. ;

b) le requérant doit communiquer au demandeur son recours préalable devant la Commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) dirigé contre l’avis de la CDAC dans les 5 jours suivant sa présentation à cette commission à peine d’irrecevabilité du recours 5)En application des dispositions de l’article R. 752-32 du code du commerce.. La Haute Juridiction répond par l’affirmative (considérant n° 12). Elle souligne que ces dispositions s’appliquent, « comme pour tout permis de construire », au recours formé par un concurrent contre un PC valant AEC.

Question n° 2 : Le recours contentieux est-il soumis à des règles de délais dérogatoires par rapport à celles qui sont posées à l’article R. 600-2 du code de l’urbanisme (délai de recours de 2 mois courant à l’égard des tiers à compter du 1er jour d’une période continue de 2 mois d’affichage régulier sur le terrain) compte tenu, notamment, de l’obligation de déposer un recours obligatoire à l’encontre de l’avis de la CDAC préalablement à l’exercice du recours contentieux dirigé contre le permis. En cas de réponse positive, les délais de recours contre un PC valant AEC courent-ils à compter de la notification de l’avis de la CNAC rendu sur ce recours préalable dans le délai de recours de droit commun ou d’une autre date. La Haute juridiction souligne (considérants n° 10 et 11) que les professionnels pouvant faire le recours contre l’avis de la CDAC sont des « tiers » au sens des dispositions de l’article R. 600-2 du code de l’urbanisme et qu’ils bénéficient d’une information sur l’existence de la demande de PC valant AEC en raison, notamment, de la publicité donnée à la décision de la CDAC 6)En application des dispositions de l’article R. 752-30 et R. 752-19 du code de commerce, le délai de recours d’un mois des tiers contre la décision/avis de la CDAC court à compter de la plus tardive des deux mesures de publicité suivantes : publication au recueil des actes administratifs de la préfecture et publication, dans les 10 jours suivant la réunion de la commission ou la date de l’autorisation tacite d’un extrait de cette décision ou de cet avis dans 2 journaux régionaux ou locaux diffusés dans le département.. En conséquence, le délai de recours contentieux à l’encontre du permis court à leur égard, comme pour tout requérant contre un PC, à compter du 1er jour d’une période continue de 2 mois d’affichage régulier sur le terrain. Le Conseil d’Etat ajoute que dans le cas où la CNAC est saisie après la délivrance du PC valant AEC et dans le délai de recours contentieux de 2 mois courant à compter de son affichage sur le terrain, cette saisine n’a pas pour effet d’interrompre ou de suspendre ce délai de recours contentieux. Néanmoins, dès lors que la CNAC rend son avis postérieurement à la délivrance du PC valant AEC, un nouveau délai de recours contentieux de 2 mois commence à courir contre le permis de construire à compter de la publication prévue par l’article R. 752-39 du code de commerce, y compris si le « premier » délai de 2 deux mois déclenché par l’affichage du permis sur le terrain a déjà expiré.

Question n° 3 : En cas d’avis favorable de la CDAC sur une demande d’AEC présentée dans le cadre d’un projet de PC, les dispositions de l’article L. 425-4 du code de l’urbanisme rapprochées, notamment, des dispositions des articles R. 425-15-1, R. 423-23, R. 423-25 (e), R. 423-36-1, R. 423-44-1, R. 424-2 (h) du même code et des articles L. 752-17, R. 752-19, R. 752-30, R. 752-31, R. 752-32, R. 752-34, R. 752-39 du code du commerce, imposent-elles à l’autorité administrative compétente pour délivrer le PC d’attendre que la CNAC ait rendu son avis avant de statuer sur la demande de permis lorsqu’un recours préalable est exercé par un concurrent du pétitionnaire contre l’avis favorable de la CDAC. En va-t-il de même si l’autorité administrative compétente n’est pas informée de l’existence de ce recours préalable exercé auprès de la CNAC. Pour répondre à cette interrogation (considérant 5 à 8 de l’avis), le Conseil d’Etat rappelle qu’en cas de recours introduit devant la CNAC contre l’avis de la CDAC compétente, ou en cas d’auto-saisine de la CNAC, l’autorité compétente pour délivrer le PC valant AEC, qui bénéficie d’un délai d’instruction prolongé de cinq mois 7)En vertu des dispositions de l’article R. 423-36-1 du code de l’urbanisme., doit attendre l’intervention de l’avis, exprès ou tacite, de la CNAC pour délivrer le permis, cet avis se substituant à l’avis de la CDAC. Il ajoute que le PC valant AEC « ne saurait légalement intervenir avant qu’il ait été rendu ». Pour autant, le Conseil d’Etat précise qu’« en revanche un [PC valant AEC] délivré avant l’expiration des délais d’un mois [dans lequel un tiers peut former un recours devant la CNAC ou dans lequel la CNAC peut s’autosaisir pour certains projets d’ampleur] ne se trouverait pas entaché d’illégalité de ce seul fait. L’insécurité qui résulterait de ce que sa légalité pourrait être mise ultérieurement en cause à raison d’un avis négatif de la commission nationale, que celle-ci soit saisie d’un recours ou qu’elle s’autosaisisse, conduit toutefois à recommander à l’administration d’éviter de délivrer le permis avant l’expiration de ces délais ». Ainsi, le Conseil d’Etat préconise à l’administration de ne pas délivrer le PC valant AEC avant l’expiration du délai de recours contre l’avis de la CDAC.

Question n° 4 : Si les dispositions de l’article L. 425-4 du code de l’urbanisme imposent à l’autorité administrative compétente d’attendre que la CNAC ait rendu son avis avant de statuer sur la demande de PC valant AEC, la méconnaissance de ces dispositions invoquée dans le cadre d’un recours dirigé contre ce type de permis :

– conduit-elle à l’annulation totale du PC valant AEC ou à ses seules dispositions portant AEC, le concurrent ne pouvant quant à lui le contester que dans cette dernière mesure en application de l’article L. 600-1-4 du code de l’urbanisme, laissant alors le pétitionnaire libre d’exécuter le permis en tant qu’il vaut autorisation d’urbanisme ?

– est-elle susceptible de faire l’objet d’une régularisation du permis entaché d’illégalité par la délivrance d’un permis modificatif (PCM) (la modification pouvant notamment réduire la surface de vente à un niveau inférieur au seuil prévu à l’article L. 752-1 du code du commerce afin de dispenser le projet de la nécessité d’obtenir une autorisation d’exploitation commerciale) :

a) le cas échéant, préalablement à la décision du juge, dans le cadre d’une application adaptée de la jurisprudence du Conseil d’Etat (2 février 2004 SCI La Fontaine de Villiers n° 238315 ou 30 mars 2015 Société Eole Res n° 369431)

b) sur le fondement des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme. Les juges du Palais Royal ont précisé que (considérants n° 13 à 16) : Dans la mesure où les concurrents ne peuvent régulièrement saisir le juge administratif de conclusions tendant à l’annulation d’un PC valant AEC qu’en tant que ce permis tient lieu d’autorisation d’exploitation commerciale, et où le juge ne peut statuer ultra petita, une annulation totale du PC (c’est-à-dire également en tant qu’il tient lieu d’autorisation de construire) ne peut être envisagée.

Néanmoins, selon le Conseil d’Etat, cette annulation du permis en tant qu’il tient lieu d’autorisation d’exploitation commerciale « fait obstacle à la réalisation du projet ». Une régularisation du projet reste toutefois envisageable par la délivrance d’un permis : « si les modifications nécessaires pour mettre le projet en conformité avec la chose jugée par la décision d’annulation sont sans effet sur la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l’article L. 421-6 du code de l’urbanisme, un nouveau permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale peut, à la demande du pétitionnaire, être délivré au seul vu d’un nouvel avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial compétente ou, le cas échéant, de la commission nationale ».

A notre sens, le recours au terme « nouveau » PC valant AEC doit s’entendre – non pas comme un refus de recourir au permis de construire modificatif (PCM) – mais par opposition à la nouvelle demande d’AEC autonome qui n’est prévue par la loi que dans le cas d’une modification substantielle du projet 8) Au sens de L. 752-15 C.com al. 3 qui prévoit « Une nouvelle demande est nécessaire lorsque le projet, en cours d’instruction ou dans sa réalisation, subit des modifications substantielles, du fait du pétitionnaire, au regard de l’un des critères énoncés à l’article L. 752-6, ou dans la nature des surfaces de vente ». sans effet sur la conformité des travaux projetés par rapport aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l’article L. 421-6 du code de l’urbanisme 9) L. 425-4 C.urb.. Comme pour tous les PC, le recours aux « règles qui gouvernent les pouvoirs et les devoirs du juge et notamment les dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme aux termes desquelles : ” Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire (…) estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé par un permis modificatif peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si un tel permis modificatif est notifié dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations ». Le Conseil d’Etat envisage expressément la possibilité de recourir à un permis modificatif dans l’hypothèse où il serait fait application des dispositions de l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme.

Ainsi, nous comprenons de cet avis que, en cas d’annulation du permis en tant qu’autorisation d’urbanisme commercial, si le nouveau volet « AEC » du permis ne porte pas atteinte à l’économie générale du permis en tant qu’il permet de construire 10)CE Sect. 26 juillet 1982 Le Roy, req. n° 23604 : Publié au Rec. CE., le recours à un PCM pour déposer la nouvelle demande d’AEC est possible. Et, si les évolutions apportées au projet pour le mettre en conformité avec la chose jugée sont sans effet sur la conformité des travaux projetés aux dispositions législatives et réglementaires mentionnées à l’article L. 421-6 du code de l’urbanisme, alors la demande de permis modificatif pourra se limiter à inclure une nouvelle pièce PC 43 (dossier de demande d’AEC).

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1. CAA Nancy 17 mars 2016 Société MDVP Distribution, req. n° 15NC02351.
2. L. 113-1 CJA : « Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d’appel peut, par une décision qui n’est susceptible d’aucun recours, transmettre le dossier de l’affaire au Conseil d’Etat, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu’à un avis du Conseil d’Etat ou, à défaut, jusqu’à l’expiration de ce délai ».
3. Il s’agit de « tout professionnel dont l’activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d’être affectée par le projet ».
4. Conformément aux dispositions de l’article L. 600-1-4 du code de l’urbanisme.
5. En application des dispositions de l’article R. 752-32 du code du commerce.
6. En application des dispositions de l’article R. 752-30 et R. 752-19 du code de commerce, le délai de recours d’un mois des tiers contre la décision/avis de la CDAC court à compter de la plus tardive des deux mesures de publicité suivantes : publication au recueil des actes administratifs de la préfecture et publication, dans les 10 jours suivant la réunion de la commission ou la date de l’autorisation tacite d’un extrait de cette décision ou de cet avis dans 2 journaux régionaux ou locaux diffusés dans le département.
7. En vertu des dispositions de l’article R. 423-36-1 du code de l’urbanisme.
8. Au sens de L. 752-15 C.com al. 3 qui prévoit « Une nouvelle demande est nécessaire lorsque le projet, en cours d’instruction ou dans sa réalisation, subit des modifications substantielles, du fait du pétitionnaire, au regard de l’un des critères énoncés à l’article L. 752-6, ou dans la nature des surfaces de vente ».
9. L. 425-4 C.urb.
10. CE Sect. 26 juillet 1982 Le Roy, req. n° 23604 : Publié au Rec. CE.

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