Pas de responsabilité quasi-délictuelle sans lien de causalité entre la faute et le préjudice

Catégorie

Contrats publics

Date

October 2017

Temps de lecture

5 minutes

CE 6 octobre 2017 Société Cegelec Perpignan, req. n° 395268 : Rec. CE.

L’attributaire d’un marché public annulé ne peut engager la responsabilité quasi-délictuelle de l’administration (1) que s’il existe un lien de causalité direct entre la faute de l’administration et le préjudice (2) et un tel lien fait défaut lorsque la faute commise, et qui a conduit à l’annulation, est précisément celle qui lui a permis d’être attributaire (3).

1 L’engagement de responsabilité de la personne publique lorsque le contrat est écarté

Le contrat administratif liant une personne publique et une personne privée peut, s’il est illégal, être annulé. Dans le cadre d’un litige contractuel entre parties, le juge qui constate l’illégalité du contrat peut être conduit à « écarter » celui-ci 1) CE Ass. 28 décembre 2009 Commune de Béziers, req. n° 304802 : Rec. CE p. 509, concl. Glaser.. Dans les deux cas, le juge saisi d’un recours en responsabilité d’une partie au contrat contre l’autre partie ne peut plus régler le litige sur le fondement de la responsabilité contractuelle.

En pareille hypothèse, notamment lorsque le contrat litigieux est un marché public, il est admis de longue date que le cocontractant de la personne publique peut alors rechercher sa responsabilité quasi-contractuelle (correspondant à son enrichissement sans cause, du fait des prestations dont elle a pu bénéficier et dont le règlement ne peut plus intervenir sur le fondement du contrat) et sa responsabilité quasi-délictuelle (en réparation du préjudice subi du fait de la faute qu’elle a commise, notamment en concluant un contrat illégal, et à condition qu’il subsiste donc un préjudice malgré le remboursement des dépenses qui ont été utiles à l’administration) 2) CE 19 avril 1974 Société « Entreprises Louis Segrette », req. n° 82518 : Rec. CE p. 1052 ; CE 23 mai 1979 Commune de Fontenay-le-Fleury, req. n° 00063 : Rec. CE p. 226..

il peut toutefois y avoir lieu à prendre en considération la faute commise par la partie qui sollicite une indemnité. Ainsi, « les fautes éventuellement commises par l’intéressé antérieurement à la signature du contrat sont sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l’enrichissement sans cause de la collectivité, sauf si le contrat a été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l’administration, ce qui fait obstacle à l’exercice d’une telle action » ; en revanche, s’agissant de la responsabilité quasi-délictuelle, l’indemnité due en raison de la faute de l’administration le sera « sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes » 3) CE Sect. 10 avril 2008 Société Decaux, Département des Alpes-Maritimes, req. n° 244950 : Rec. p. 151 ; BJCP 2008/59, p. 280, concl. Dacosta, obs. R.S. ; AJDA 2008, p. 1092, chron. Boucher et Bourgeois-Machureau..

2 Le lien de causalité direct entre la faute de l’administration et le préjudice

Dans sa décision du 6 octobre 2017, le Conseil d’Etat rappelle non seulement ces solutions mais aussi, s’agissant de la responsabilité quasi-délictuelle de la personne publique, que, conformément aux principes élémentaires du droit de la responsabilité, il faut également que le préjudice allégué présente un caractère certain et qu’il existe un lien de causalité direct entre la faute de l’administration et ce préjudice :

    « Considérant que l’entrepreneur dont le contrat est écarté peut prétendre, y compris en cas d’annulation du contrat par le juge du référé contractuel, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s’était engagé ; que les fautes éventuellement commises par l’intéressé antérieurement à la signature du contrat sont sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l’enrichissement sans cause de la collectivité, sauf si le contrat a été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l’administration, ce qui fait obstacle à l’exercice d’une telle action ; que dans le cas où le contrat est écarté en raison d’une faute de l’administration, l’entrepreneur peut en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l’administration ; qu’à ce titre il peut demander le paiement des sommes correspondant aux autres dépenses exposées par lui pour l’exécution du contrat et aux gains dont il a été effectivement privé du fait de sa non-application, notamment du bénéfice auquel il pouvait prétendre, si toutefois l’indemnité à laquelle il a droit sur un terrain quasi-contractuel ne lui assure pas déjà une rémunération supérieure à celle que l’exécution du contrat lui aurait procurée ; que, saisi d’une demande d’indemnité sur ce fondement, il appartient au juge d’apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s’il existe un lien de causalité direct entre la faute de l’administration et le préjudice ».

3 L’absence de lien de causalité direct lorsque les fautes ont conduit au choix du requérant

3.1 Dans l’affaire soumise au Conseil d’Etat, la société Cegelec avait été déclarée attributaire, dans le cadre d’un appel d’offres, d’un marché public. Toutefois, à la demande de la société Spie Sud-ouest, concurrent évincé, le juge du référé contractuel du tribunal administratif de Montpellier, après avoir notamment relevé plusieurs irrégularités affectant les critères de sélection des offres, avait prononcé l’annulation de ce marché.

Un nouvel appel d’offres ayant été lancé sans que la société Cegelec ne soit retenue, celle-ci a alors demandé à la personne publique de l’indemniser des préjudices qu’elle estimait avoir subis en raison de l’annulation par le juge du référé contractuel du marché dont elle était titulaire. Si le tribunal administratif lui a donné gain de cause en condamnant la personne publique à l’indemniser, le jugement a été réformé par la cour administrative d’appel qui a considéré :

    « que la société Cegelec Sud-ouest ne peut se prévaloir d’aucun droit à la conclusion du contrat, dès lors que la procédure engagée était, comme l’a jugé le juge des référés contractuels, suffisamment irrégulière pour qu’il prononce la nullité dudit contrat ; qu’ainsi, elle n’a pas droit à la rémunération des bénéfices qu’elle attendait du contrat, lequel n’a connu aucun commencement d’exécution ; qu’en revanche, la faute commise par le centre hospitalier de Narbonne à avoir conduit une procédure irrégulière qui a abouti à l’annulation du contrat est directement à l’origine du préjudice subi par la société qui a inutilement engagé des frais pour répondre à l’appel d’offres » 4) CAA Marseille 12 octobre 2015 Société Cegelec Sud-ouest, req. n° 14MA00603..

3.2 Saisi d’un pourvoi en cassation par la société Cegelec, le Conseil d’Etat rejette celui-ci en raison de l’absence de lien de causalité direct entre la faute et le préjudice lié au manque à gagner, en considérant que la cour administrative d’appel :

    « a ainsi entendu juger que les manquements aux règles de passation commis par le pouvoir adjudicateur avaient eu une incidence déterminante sur l’attribution du marché à la société Cegelec Sud-ouest et que, dès lors, eu égard aux motifs retenus en l’espèce par le juge du référé contractuel, le lien entre la faute de l’administration et le manque à gagner dont la société entendait obtenir la réparation ne pouvait être regardé comme direct ».

Il n’y a en effet pas de lien direct entre la faute commise par la personne publique et le manque à gagner de la société car, si les irrégularités affectant la procédure de passation ont, certes, conduit à l’annulation du marché qui lui avait été attribué, elles ont surtout d’abord conduit à lui attribuer un marché – et donc une rémunération – auxquels elle n’aurait à défaut pu prétendre.

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1. CE Ass. 28 décembre 2009 Commune de Béziers, req. n° 304802 : Rec. CE p. 509, concl. Glaser.
2. CE 19 avril 1974 Société « Entreprises Louis Segrette », req. n° 82518 : Rec. CE p. 1052 ; CE 23 mai 1979 Commune de Fontenay-le-Fleury, req. n° 00063 : Rec. CE p. 226.
3. CE Sect. 10 avril 2008 Société Decaux, Département des Alpes-Maritimes, req. n° 244950 : Rec. p. 151 ; BJCP 2008/59, p. 280, concl. Dacosta, obs. R.S. ; AJDA 2008, p. 1092, chron. Boucher et Bourgeois-Machureau.
4. CAA Marseille 12 octobre 2015 Société Cegelec Sud-ouest, req. n° 14MA00603.

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