Objet illicite d’une concession d’aménagement, annulation et prohibition du mécanisme de l’effet différé dans le passé

Catégorie

Contrats publics, Urbanisme et aménagement

Date

September 2013

Temps de lecture

4 minutes

CE 10 juillet 2013 commune de Vias, req. n° 362304 : à mentionner aux Tables du Rec. CE

L’arrêt « commune de Béziers » 1) CE Ass. 28 décembre 2009 commune de Béziers, req. n° 304802 : publié au Rec. CE., qui a défini la grille d’analyse du juge sur les conséquences à tirer des irrégularités entachant un contrat, fait de l’annulation d’un contrat public la mesure ultima ratio, en la réservant au cas d’irrégularités « tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ». Cette formulation renvoie à la validité du consentement donné par les parties au contrat comme à la licéité de la cause et de l’objet du contrat – ce qui rappelle évidemment la théorie civiliste de la validité des contrats (capacité, consentement, objet et cause).

La jurisprudence « commune de Vias » illustre ce lien entre ces principes civilistes appliqués aux contrats administratifs et la grille d’analyse qui s’impose au juge du contrat pour définir les conséquences des irrégularités affectant le contrat.

En l’espèce, la commune de Vias a décidé la création d’une zone d’aménagement concerté dénommée « Vias Plage » prévoyant la réalisation de plus de 2 300 logements ainsi que des commerces et autres activés de service dans une zone comprise entre 100 mètres et 600 mètres du rivage. Or, en zone littorale, l’article L. 146-4 II du code de l’urbanisme autorise seulement une extension « limitée » de l’urbanisation.

Sur le recours de contribuables et de résidents de la commune, le tribunal administratif de Montpellier a déjà annulé le 26 mai 2005 la délibération portant création de la ZAC « Vias Plage » pour ce motif, en considérant que ce projet d’aménagement ne correspondait pas à une seule extension « limitée » de l’urbanisation. Par ce même jugement, le tribunal a également annulé la délibération de la commune qui avait autorisé en 2001 la signature d’un avenant à une concession d’aménagement déjà conclue depuis 1988 avec la Société d’économie mixte de la ville de Béziers et du littoral (SEBLI), avenant portant spécifiquement sur la réalisation de cette ZAC « Vias Plage » 2) TA 26 mai 2005 Association des propriétaires et résidents du pays Viassois (APRPV), req. n° 0004271..

Le contentieux s’est poursuivi entre les parties au contrat, qui ont saisi le juge aux fins de tirer les conséquences de l’annulation de la délibération qui a autorisé la signature de l’avenant sur celui-ci : la commune a sollicité l’annulation de cette concession d’aménagement, tandis que la SEBLI a tenté de se prévaloir du principe de loyauté contractuelle et de sécurité juridique pour qu’elle soit seulement résiliée. Il est intéressant de noter que les parties comme les magistrats ont analysé cet avenant comme un contrat autonome et détachable de la concession d’aménagement initiale conclue en 1988.

Les juges du fond ont estimé que l’illicéité de la ZAC constitue une irrégularité de nature à entraîner l’annulation de la concession d’aménagement qui en confie la réalisation. En effet, cet objet illicite contamine l’entier contrat : il s’agit de charger un opérateur de réaliser un projet d’aménagement illégal. Partant, l’illicéité de l’opération d’aménagement est bien une irrégularité tenant à l’objet illicite de la concession, susceptible d’entraîner le prononcé de la mesure ultime, l’annulation du contrat. Le Conseil d’Etat confirme cette analyse.

Restait à contrôler les modalités d’application de l’annulation de la concession d’aménagement. La cour administrative d’appel de Marseille n’a annulé la concession d’aménagement qu’à compter du premier jugement intervenu dans cette affaire le 26 mai 2005 (date du premier jugement), en arguant de « la nécessité de préserver tant les droits des parties que ceux des tiers concernés par la réalisation de l’opération d’aménagement » 3) CAA Marseille 28 juin 2012 Société d’économie mixte de la ville de Béziers et du littoral (SEBLI), req. n° 09MA03176 .

Le Conseil d’Etat censure la cour sur ce point, en relevant qu’elle a commis une erreur de droit et qu’elle a méconnu son office en prononçant l’annulation de la concession à compter du 26 mai 2005.

Il nous semble que c’est parce que le différé de l’annulation d’un contrat dans le temps passé ne correspond pas aux pouvoirs dont dispose le juge du contrat.

Cet effet différé s’inspire de la décision d’assemblée « AC ! », qui a reconnu au juge de l’excès de pouvoir la possibilité de moduler dans le temps les effets de l’annulation d’un acte 4) CE ass. 11 mai 2004 Association AC ! et autres req. n° 255886 à 255892 : publié au Rec. CE p. 197 (annulation différée au 1er juillet 2004) ; voir également CE 11 juillet 2008 Syndicat de l’industrie de matériels audiovisuels électroniques, req. n° 298779 : publié au Rec. CE (annulation différée 6 mois après la notification de la décision du CE). . Il s’agit de différer les effets de l’annulation postérieurement à la décision juridictionnelle, pour permettre aux pouvoirs publics concernés de pallier par anticipation le vide juridique que cette annulation va causer.

Si le juge du contrat peut prononcer une résiliation ou une annulation différée dans le temps, c’est dans le but comparable de maintenir le contrat une fois sa décision prononcée, et ce pour répondre à un motif d’intérêt général, soit la plupart du temps pour assurer la continuité du service public ou du projet d’intérêt général concerné par le contrat. Prononcer une annulation en la limitant dans le temps passé peut difficilement répondre à une telle préoccupation : le contrat, même annulé seulement à compter 2005, reste privé d’effet dès la décision du juge.

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1. CE Ass. 28 décembre 2009 commune de Béziers, req. n° 304802 : publié au Rec. CE.
2. TA 26 mai 2005 Association des propriétaires et résidents du pays Viassois (APRPV), req. n° 0004271.
3. CAA Marseille 28 juin 2012 Société d’économie mixte de la ville de Béziers et du littoral (SEBLI), req. n° 09MA03176
4. CE ass. 11 mai 2004 Association AC ! et autres req. n° 255886 à 255892 : publié au Rec. CE p. 197 (annulation différée au 1er juillet 2004) ; voir également CE 11 juillet 2008 Syndicat de l’industrie de matériels audiovisuels électroniques, req. n° 298779 : publié au Rec. CE (annulation différée 6 mois après la notification de la décision du CE).

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