Commande publique : quelques précisions s’agissant des règles de prescription des actions fondées sur le dol ou la fraude

Catégorie

Contrats publics

Date

October 2022

Temps de lecture

3 minutes

CE 10 octobre 2022 société Eiffage Construction, req. n° 454446 : mentionné aux T. du Rec. CE

Le Conseil d’Etat éclaircit les règles de prescription des actions fondées sur la faute dolosive ou la fraude qui permettent notamment à un maître d’ouvrage de venir rechercher la responsabilité contractuelle des intervenants à l’acte de construire, après réception et alors même que le délai de garantie décennale est expiré 1)CE 24 mai 1974 Société Paul Millet, req. n° 85539 et 86007 CE 26 novembre 2007 Société Les Travaux du Midi, req. n° 266423 : publié au Rec. CE – cf. également : CE 28 juin 2019 Société Icade Promotion, req. n° 416735.

L’entrée en vigueur de la réforme de la prescription le 17 juin 2008 a entrainé une réduction notable de sa durée : de trentenaire, la prescription de droit commun est devenue quinquennale. Et, aux termes de l’article 2262 ancien du code civil 2)2262 ancien du code civil : « Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. », la durée de trente ans courrait sans précision sur son point de départ, tandis que depuis le 17 juin 2008, les dispositions de l’article 2224 3)2224 du code civil : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. » prévoient désormais que le délai de cinq ans débute à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer (délai dit « glissant »).

Toutefois plus de quatorze ans après l’entrée en vigueur de la prescription quinquennale, l’application dans le temps de la réforme pose encore des questions nouvelles aux juridictions du fond.

En l’espèce, l’ancien OPHLM d’Issy-les-Moulineaux, devenu la SEM Seine Ouest Habitat et patrimoine, a passé en 1987 un marché portant sur la construction de plusieurs immeubles de logements sociaux. Le 25 janvier 2007, le balcon de l’un des immeubles s’est écroulé et a emporté dans sa chute les balcons inférieurs. Un premier rapport sur le sinistre a été rendu le 7 février 2007, sur la base duquel un arrêté de péril imminent a été pris par le maire. Puis, à la demande du maître d’ouvrage, le TGI de Nanterre a ordonné, le 18 juin 2007, une expertise judiciaire qui a donné lieu à un rapport d’expertise déposé le 20 mars 2015. C’est sur la base de ce dernier rapport que le maître d’ouvrage a engagé une action en « responsabilité contractuelle pour faute assimilable à une fraude ou à un dol ».

Les juges du fond ont condamné société Eiffage construction, la CAA considérant que l’action du maître d’ouvrage n’était pas prescrite « dès lors qu’elle n’avait couru qu’à la date à laquelle [il] avait eu connaissance du caractère dolosif de la faute du constructeur, à savoir le dépôt du rapport d’expertise le 20 mars 2015 ».

Le Conseil d’Etat annule pour erreur de droit 4)Après avoir précisé que « 3. S’il résulte de ces dispositions que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions fondées sur la responsabilité pour faute assimilable à une fraude ou à un dol sont prescrites par cinq ans à compter de la date à laquelle le maître d’ouvrage connaissait ou aurait dû connaître l’existence de cette faute, par application des dispositions de l’article 2224 du code civil, elles étaient régies, jusqu’à l’entrée en vigueur de cette loi, par la prescription trentenaire qui courait à compter de la manifestation du dommage. » et indique que, les faits étant survenus avant l’entrée en vigueur de la réforme de la prescription du 17 juin 2008, le délai de la prescription courrait à compter de la « manifestation du dommage » et non à compter « de la date à laquelle la victime pouvait être regardée comme ayant eu connaissance du caractère dolosif du dommage ».

L’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel de Versailles à qui il appartiendra de juger, au vu de la date de départ fixée par le Conseil d’Etat et des différents mécanismes d’interruption / suspension 5)Un exemple : CE 20 novembre 2020 Véolia, req. n° 432678 : Tables Rec CE, si l’action de la SEM Seine Ouest Habitat et patrimoine est prescrite.

 

 

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References   [ + ]

1. CE 24 mai 1974 Société Paul Millet, req. n° 85539 et 86007 CE 26 novembre 2007 Société Les Travaux du Midi, req. n° 266423 : publié au Rec. CE – cf. également : CE 28 juin 2019 Société Icade Promotion, req. n° 416735
2. 2262 ancien du code civil : « Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi. »
3. 2224 du code civil : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »
4. Après avoir précisé que « 3. S’il résulte de ces dispositions que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions fondées sur la responsabilité pour faute assimilable à une fraude ou à un dol sont prescrites par cinq ans à compter de la date à laquelle le maître d’ouvrage connaissait ou aurait dû connaître l’existence de cette faute, par application des dispositions de l’article 2224 du code civil, elles étaient régies, jusqu’à l’entrée en vigueur de cette loi, par la prescription trentenaire qui courait à compter de la manifestation du dommage. »
5. Un exemple : CE 20 novembre 2020 Véolia, req. n° 432678 : Tables Rec CE

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