La limitation à certaines zones de l’action en démolition d’un ouvrage édifié conformément à un permis de construire prévue par l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme est conforme à la Constitution

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

November 2017

Temps de lecture

8 minutes

CC décision n° 2017-672 QPC du 10 novembre 2017 (Association Entre Seine et Brotonne et autre)

Saisi par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que garantit la Constitution du 1° de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi « Macron », le Conseil constitutionnel valide les restrictions apportées par cette loi à la faculté dont disposent les juridictions judiciaires d’ordonner la démolition d’une construction édifiée en méconnaissance des règles d’urbanisme sur le fondement d’un permis de construire annulé par le juge administratif.

Dans l’affaire ayant donné lieu à la saisine du juge constitutionnel, deux associations avaient obtenu du juge administratif l’annulation de deux permis de construire octroyés en 2010 et 2011 pour la construction d’une maison d’habitation.

La construction ayant été érigée entre temps, elles avaient alors saisi le tribunal de grande instance d’Evreux afin d’en solliciter la démolition sur le fondement de l’article L. 480-13, tel que modifié par les dispositions de l’article 111 de la loi « Macron »:

« Lorsqu’une construction a été édifiée conformément à un permis de construire :
1° Le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l’ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d’urbanisme ou des servitudes d’utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et si la construction est située dans l’une des zones suivantes :
a) Les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard mentionnés au II de l’article L. 145-3, lorsqu’ils ont été identifiés et délimités par des documents réglementaires relatifs à l’occupation et à l’utilisation des sols ;
b) Les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques mentionnés à l’article L. 146-6, lorsqu’ils ont été identifiés et délimités par des documents réglementaires relatifs à l’occupation et à l’utilisation des sols, sauf s’il s’agit d’une construction en bois antérieure au 1er janvier 2010, d’une superficie inférieure à mille mètres carrés, destinée à une exploitation d’agriculture biologique satisfaisant aux exigences ou conditions mentionnées à l’article L. 641-13 du code rural et de la pêche maritime et bénéficiant d’une appellation d’origine protégée définie à l’article L. 641-10 du même code ;
c) La bande de trois cents mètres des parties naturelles des rives des plans d’eau naturels ou artificiels d’une superficie inférieure à mille hectares mentionnée à l’article L. 145-5 ;
d) La bande littorale de cent mètres mentionnée au III de l’article L. 146-4 ;
e) Les cœurs des parcs nationaux délimités en application de l’article L. 331-2 du code de l’environnement ;
f) Les réserves naturelles et les périmètres de protection autour de ces réserves institués en application, respectivement, de l’article L. 332-1 et des articles L. 332-16 à L. 332-18 du même code ;
g) Les sites inscrits ou classés en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 dudit code ;
h) Les sites désignés Natura 2000 en application de l’article L. 414-1 du même code ;
i) Les zones qui figurent dans les plans de prévention des risques technologiques mentionnées au 1° de l’article L. 515-16 dudit code, celles qui figurent dans les plans de prévention des risques naturels prévisibles mentionnés aux 1° et 2° du II de l’article L. 562-1 du même code ainsi que celles qui figurent dans les plans de prévention des risques miniers prévus à l’article L. 174-5 du code minier, lorsque le droit de réaliser des aménagements, des ouvrages ou des constructions nouvelles et d’étendre les constructions existantes y est limité ou supprimé ;
j) Les périmètres des servitudes relatives aux installations classées pour la protection de l’environnement instituées en application de l’article L. 515-8 du code de l’environnement, lorsque les servitudes instituées dans ces périmètres comportent une limitation ou une suppression du droit d’implanter des constructions ou des ouvrages ;
k) Les périmètres des servitudes sur des terrains pollués, sur l’emprise des sites de stockage de déchets, sur l’emprise d’anciennes carrières ou dans le voisinage d’un site de stockage géologique de dioxyde de carbone instituées en application de l’article L. 515-12 du même code, lorsque les servitudes instituées dans ces périmètres comportent une limitation ou une suppression du droit d’implanter des constructions ou des ouvrages ;
l) Les aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine créées en application de l’article L. 642-1 du code du patrimoine ;
m) Les périmètres de protection d’un immeuble classé ou inscrit au titre des monuments historiques prévus aux quatrième et cinquième alinéas de l’article L. 621-30 du même code ;
n) Les secteurs délimités par le plan local d’urbanisme en application des 2° et 5° du III de l’article L. 123-1-5 du présent code ;
o) Les secteurs sauvegardés créés en application de l’article L. 313-1.
» 1)Précisons que l’appréciation du Conseil constitutionnel portait sur les dispositions de l’article L. 480-13 dans sa rédaction issue de la loi Macron et en vigueur jusqu’au 8 juillet 2016, date à laquelle la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine a apporté un certain nombre de modifications conduisant notamment au remplacement des secteurs sauvegardés, zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) et aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine (AVAP) par le nouveau régime des « sites patrimoniaux remarquables ».
Ajoutons que l’article L. 480-13 a été ultérieurement modifié à deux reprises sous l’effet des lois n° 2016-1888 du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne et n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté.
.

Pour être tout à fait exact, il convient de préciser que les associations demanderesses, conscientes que la rédaction des dispositions précitées de l’article L. 480-13 ne leur permettaient pas d’agir en démolition de la construction dont l’autorisation avait été annulée par le juge administratif (une maison d’habitation qui n’était pas située dans le périmètre des espaces énumérés aux points a à o précités), ont saisi le juge judiciaire d’une question prioritaire de constitutionnalité formulée de la manière suivante :

« Les dispositions de l’article L 480-13, 1° du code de l’urbanisme, dans leur version issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances portent-elles atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 4 de la Charte de l’environnement ? ».

Il s’agissait ainsi d’interroger la constitutionnalité des modifications apportées à ces dernières dispositions par l’article 111 de la loi « Macron » précité, qui restreint le champ de l’action civile en démolition dans l’hypothèse d’une construction érigée conformément à un permis de construire ultérieurement annulé par le juge administratif.

Saisie par le tribunal, la Cour de cassation a estimé que la question était sérieuse et renvoyé l’affaire au Conseil constitutionnel.

Celui-ci examine successivement les deux griefs soulevés par les associations requérantes qui, d’une part, « reprochent à ces dispositions d’interdire sur la majeure partie du territoire national l’action en démolition d’une construction édifiée en méconnaissance d’une règle d’urbanisme, sur le fondement d’un permis de construire annulé par le juge administratif » qui aboutirait à une « méconnaissance du droit des tiers d’obtenir la réparation intégrale du préjudice causé par une telle construction et une atteinte disproportionnée au principe de responsabilité » et « méconnaîtraient également le droit à un recours juridictionnel effectif » (1) et d’autre part, qu’elles« violeraient le principe de contribution à la réparation des dommages causés à l’environnement garanti par les articles 1er et 4 de la charte de l’environnement » (2).

1 L’absence de violation du principe de responsabilité et du droit à un recours juridictionnel effectif

Le Conseil constitutionnel commence par rappeler que le fondement des principes invoqués par les associations requérantes réside dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) avant d’en écarter la méconnaissance s’agissant des dispositions de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme.

1.1 L’article 4 de la DDHC prévoit que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Le juge constitutionnel rappelle que la faculté d’agir en responsabilité met en œuvre cette exigence constitutionnelle dont il résulte que « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer » (CC décision n° 2010-2 QPC du 11 juin 2010, Mme Vivianne L. (Loi dite “anti-Perruche“)).

Cependant, le législateur peut, pour des motifs d’intérêt général, apporter des exclusions ou des limitations à ce principe dès lors qu’il n’en résulte pas « une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d’actes fautifs ».

Quant à l’article 16 de la DDHC, il dispose que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ». Là encore, c’est de ce principe que résulte le droit des personnes à exercer un recours juridictionnel effectif dont le Conseil constitutionnel rappelle qu’il comprend « celui d’obtenir l’exécution des décisions juridictionnelles ».

1.2 La faculté de réparation mise en œuvre par l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme suppose notamment qu’une personne ayant subi un préjudice causé par une construction édifiée en méconnaissance des règles d’urbanisme peut en obtenir la démolition devant le juge civil si trois conditions sont réunies :

► Premièrement, le propriétaire doit avoir méconnu une règle d’urbanisme ou une servitude d’utilité publique ;
► Deuxièmement, le permis de construire autorisant les travaux doit avoir été annulé pour excès de pouvoir par une décision du juge administratif devenue définitive depuis moins de deux ans ;
► Troisièmement, la construction en cause doit être située dans l’une des quinze zones énumérées aux a à o du 1° de l’article L. 480-13.

Pour écarter les griefs opposés par les associations, le juge constitutionnel recourt à deux types d’arguments :

En premier lieu, il indique que l’interdiction de la démolition en dehors des zones prévues au 1° de l’article L. 480-13 correspond à la volonté du législateur de « réduire « l’incertitude juridique pesant sur les projets de construction et prévenir les recours abusifs susceptibles de décourager les investissements », ce qui répond à un objectif d’intérêt général.

Les « inconvénients » de la restriction ainsi imposée sont en outre compensées par la circonstance que l’action en démolition demeure possible dans les zones bénéficiant d’une protection particulière « compte tenu de leur importance pour la protection de la nature, des paysages et du patrimoine architectural et urbain ou en raison des risques naturels ou biotechnologiques » mais également par le fait que cette démolition peut être demandée lorsque la construction a été édifiée sans permis, en violation du permis délivré ou en méconnaissance d’une règle de droit privé. Enfin, la suppression de l’action en démolition n’interdit pas à la victime d’obtenir réparation sous forme indemnitaire, à la fois devant le juge judiciaire contre le constructeur et devant le juge administratif à l’encontre de la personne publique ayant délivré le permis annulé.

En second lieu, le Conseil constitutionnel relève que la démolition de la construction sur le fondement d’un permis annulé constitue « une mesure distincte » de la décision d’annulation proprement dite et relevant d’une action spécifique devant le juge judiciaire. En conséquence, l’interdiction d’engager une telle action en dehors des cas déterminés par la loi ne saurait porter aucune atteinte « au droit d’obtenir l’exécution d’une décision de justice » et partant, au droit à un recours juridictionnel effectif.

2 L’absence de méconnaissance de la Charte de l’environnement

Les associations demanderesses invoquaient ensuite une violation des articles 1er, 2 et 4 de la Charte de l’environnement, dont il convient de rappeler qu’elle a été intégrée au bloc de constitutionnalité par la loi n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement 2)CE Ass. 3 octobre 2008 Commune d’Annecy, req. n° 297931 : publié au Rec. CE..

Ces dispositions garantissent le droit de chacun à « vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » (art. 1er) et prévoient, dans le même temps, que « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement dans les conditions définies par la loi ».

Le Conseil constitutionnel reconnaît que la limitation de l’action en démolition aux zones définies aux points a) à o) du 1° de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme « a privé la personne lésée » d’obtenir la démolition édifiée irrégulièrement.

Cependant, la restriction opérée aux droits des victimes d’un tel préjudice n’a pas porté atteinte aux droits et obligations garantis par les articles précités du la Charte de l’environnement dès lors, d’une part, « que l’action en démolition demeure possible dans les zones présentant une importance particulière pour la protection de l’environnement » et, d’autre part, que « les dispositions contestées ne font pas obstacle aux autres actions en réparation, en nature ou sous forme indemnitaire ».

Dans ces conditions, le juge constitutionnel conclut que « les mots « et si la construction est située dans l’une des zones suivantes : » figurant au premier alinéa du 1° de l’article L. 480-13 du code de l’urbanisme et les a à o du même 1° » ne méconnaissent ni les articles 1er, 12 et 17 de la déclaration de 1789 ni à aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ».

Partager cet article

References   [ + ]

1. Précisons que l’appréciation du Conseil constitutionnel portait sur les dispositions de l’article L. 480-13 dans sa rédaction issue de la loi Macron et en vigueur jusqu’au 8 juillet 2016, date à laquelle la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine a apporté un certain nombre de modifications conduisant notamment au remplacement des secteurs sauvegardés, zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) et aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine (AVAP) par le nouveau régime des « sites patrimoniaux remarquables ».
Ajoutons que l’article L. 480-13 a été ultérieurement modifié à deux reprises sous l’effet des lois n° 2016-1888 du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne et n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté.
2. CE Ass. 3 octobre 2008 Commune d’Annecy, req. n° 297931 : publié au Rec. CE.

3 articles susceptibles de vous intéresser