La protection accordée aux entreprises les plus vulnérables en cas du retard ou de non-paiement des loyers et charges locatives en raison de la crise sanitaire ne porte pas atteinte au principe d’égalité

Catégorie

Droit administratif général

Date

June 2021

Temps de lecture

3 minutes

CE 28 mai 2021, req. n° 450256, mentionné aux tables du Rec. CE

Par une décision en date du 28 mai 2021, le Conseil d’Etat juge que la protection juridique accordée par le législateur à certaines entreprises en raison de la crise sanitaire est conforme à la constitution.

La société Burger King, la société Bertrand restauration et la société Groupe Flo ont demandé au Conseil d’Etat l’annulation du décret précisant le champ d’application de l’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 qui protège certaines entreprises du retard ou du non-paiement des loyers et charges locatives en raison de la crise sanitaire. Ils avaient également soulevé dans le cadre de ce litige question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre de la disposition législative susmentionnée.

La protection litigieuse étant conforme à la Constitution (1), la Haute Cour administrative déboute les entreprises de restauration de leur demande en annulation du décret litigieux en tant qu’il ne porte pas atteinte au principe d’égalité (2).

  • Le refus de transmission de la QPC au Conseil constitutionnel

Selon le Conseil d’Etat, il résulte des dispositions de l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020, que le législateur a entendu protéger les entreprises particulièrement touchées par les effets de la crise sanitaire, en les exemptant d’intérêts, de pénalités ou de toute autre mesure financière à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux.

Selon ce même article, et pendant toute la durée de l’état d’urgence sanitaire, le bailleur ne pourra pas engager de sanctions, de voies d’exécution forcées ou de mesures conservatoires à l’encontre des entreprises les plus vulnérables financièrement.

Les requérantes contestaient le fait que seules certaines entreprises bénéficient de cette protection. En effet, l’article 1er du décret du 30 décembre 2020 attaqué définit les seuils des critères d’éligibilité, qui reposent sur l’effectif salarié, le chiffre d’affaire, la perte du chiffre d’affaire en raison de l’état d’urgence sanitaire.

Elles soulevaient également l’inconstitutionnalité de l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020 en tant qu’il serait, selon elles, contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Toutefois, le Conseil d’Etat refuse de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil Constitutionnel en écartant le moyen tiré du défaut d’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution aux motifs suivants.

D’une part, c’est à tort, selon lui, que les requérantes soutiennent que le législateur aurait méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant la liberté contractuelle entre bailleurs et locataires puisqu’il a effectivement déterminé les critères permettant de bénéficier d’une protection en matière de retard ou non-paiement de loyer. En effet, l’article 14 litigieux précise que les règles sont applicables aux personnes physiques et morales de droit privé, exerçant une activité économique affectée du fait d’une mesure de police administrative prise dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ou de sortie de l’état d’urgence sanitaire, qui remplissent des critères d’éligibilité tenant à leurs effectifs, à leur chiffre d’affaires et à la part de chiffre d’affaires perdue du fait des mesures de police administrative. En conséquence, le Conseil d’Etat conclut que le législateur pouvait tout à fait renvoyer à un décret afin de fixer le montant des seuils d’effectifs, de chiffre d’affaires et de pertes exigés pour pouvoir prétendre au bénéfice des dispositions en cause.

D’autre part, le Conseil d’Etat rappelle qu’il découle du principe d’égalité qu’il est possible de régler de façon différente des situations différentes ou d’y déroger pour des raisons d’intérêt général, dès lors que la différence de traitement est en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

En raison du contexte sanitaire, le législateur a souhaité plus particulièrement protéger les entreprises les plus vulnérables financièrement et qui disposent en raison de leur taille, d’un moindre pouvoir de négociation avec leur bailleur.

Dès lors, le législateur a entendu exclure certaines entreprises, telles que les requérantes, qui ne sont pas dans une situation analogue à celles qui bénéficient de la protection en cas de non-paiement des loyers selon des critères objectifs et en rapport avec l’objet de la loi.

Au demeurant, les requérantes peuvent par ailleurs prétendre à d’autres dispositifs d’aide accordés indépendamment de la taille d’entreprise.

  • Le décret déterminant les seuils permettant aux entreprises vulnérables de prétendre à une protection à l’encontre de leur bailleur est légal

Concernant la légalité externe du décret n° 2020-1766 du 30 décembre 2020, le Conseil rejette l’argument des entreprises de restauration selon lequel il n’aurait pas été signé par son auteur tel que prescrit par l’article L. 212-1 du code des relations entre le public et l’administration. Il constate que le décret a effectivement été signé par le Premier ministre et contresigné par les ministres concernés.

Concernant la légalité interne, les entreprises requérantes soutenaient que le décret attaqué était contraire au principe d’égalité puisqu’il faisait obstacle à ce que les dispositions de l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020 accordant une protection à l’encontre de leur bailleur s’applique à toutes les entreprises.

La Haute juridiction juge que le décret ne porte pas par lui-même atteinte au principe d’égalité dès lors que le législateur a entendu réserver le bénéfice de ces dispositions aux entreprises les plus vulnérables répondant à des critères en matière d’effectifs et de chiffres d’affaires et renvoie à ses développements précédents sur la QPC.

Le recours pour excès de pouvoir des requérantes est en conséquence rejeté.

 

 

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