La question de la preuve et l’office du juge dans l’appréciation de l’intérêt pour agir à l’encontre des autorisations d’urbanisme tel que défini par l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme : le Conseil d’Etat fournit la grille de lecture

Catégorie

Urbanisme et aménagement

Date

June 2015

Temps de lecture

4 minutes

CE 10 juin 2015 M. X., req. n° 386121

« Bienveillant », « souple », « pragmatique »…, tels sont les adjectifs employés par le rapporteur public sous l’arrêt Codière pour définir le régime de la preuve en excès de pouvoir 1) CE 26 novembre 2012, req. n° 354108 – aux conclusions de Mme Bourgeois-Machureau..

Dans cet arrêt de 2012, le Conseil d’Etat avait posé les bases de l’administration de la preuve dans le contentieux de l’excès de pouvoir ainsi que celles de l’office du juge dans sa gestion :

    « (…) considérant qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties ; que s’il peut écarter des allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l’auteur du recours que ce dernier apporte la preuve des faits qu’il avance ; que, le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d’allégations sérieuses non démenties par les éléments produits par l’administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d’instruction des requêtes et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l’administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur ».

Le présent arrêt adapte cette grille de lecture à la question de la justification de l’intérêt donnant qualité pour agir à l’encontre d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager tel que désormais posé à l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme, aux termes duquel :

    « Une personne autre que l’Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n’est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager que si la construction, l’aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation ».

La haute assemblée juge ainsi :

    « (…) qu’il résulte de ces dispositions qu’il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ; qu’il appartient au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ; qu’il appartient ensuite au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ».

Pèse ainsi sur le demandeur une obligation minimale de faire état « de tous éléments suffisamment précis et étayés » établissant que le projet est susceptible d’affecter les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien, sans toutefois que ce dernier n’ait à apporter la preuve du caractère certain de ces atteintes.

Il appartiendra alors au défendeur, s’il entend contester cet intérêt pour agir, de fournir au juge les éléments démontrant l’absence de réalité de de ces atteintes. On retrouve ici le pragmatisme évoqué par Mme Bourgeois-Machureau, fondé sur le fait que, comme l’observait le Président Arrighi de Casanova dans ses conclusions sur l’arrêt S.A Prodès International du 29 juillet 1994, « (…) la charge de fournir les pièces et justifications nécessaires à la solution d’un litige ne peut incomber qu’à la partie qui est seule en mesure de le faire » 2) CE 29 juillet 1994 S.A Prodès International, req. n° 111884, Rec. p. 390..

Au cas présent, les habitations des requérants étaient situées à environ 700 mètres d’un projet de station de conversion électrique de 1 000 mégawatts ; la possible visibilité depuis lesdites habitations ne suffisant pas à caractériser l’atteinte visée à l’article L. 600-1-2, les requérants ont également avancé qu’ils seraient exposés à des nuisances sonores, en se prévalant des nuisances déjà subies en raison de l’existence d’une autre station de conversion implantée à 1,6 km de leurs habitations respectives ; en défense, la société bénéficiaire de l’autorisation de construire se contentait d’affirmer que le recours à un type de construction et à une technologie différents permettrait d’éviter la survenance de telles nuisances.

Le Conseil d’Etat définit ensuite le rôle du juge qui, pour se forger sa conviction sur la recevabilité de la requête, écarte les allégations qui lui semblent insuffisamment étayées, sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il prouve le caractère certain des atteintes qu’il invoque.

En l’espèce, les arguments présentés par le bénéficiaire de l’autorisation n’ont pas été jugés suffisants pour démontrer l’absence de nuisances sonores de la future station de conversion, conduisant le Conseil d’Etat à reconnaitre un intérêt à agir aux requérants.

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References   [ + ]

1. CE 26 novembre 2012, req. n° 354108 – aux conclusions de Mme Bourgeois-Machureau.
2. CE 29 juillet 1994 S.A Prodès International, req. n° 111884, Rec. p. 390.

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