La VEFA & le droit de la commande publique ? C’est compatible !

Catégorie

Contrats publics

Date

May 2021

Temps de lecture

5 minutes

CAA Nancy 15 avril 2021 M. E C. c./ Metz Métropole et Société Demathieu et Bard Immobilier, req. n°19NC02073

C’est une histoire de longue date : un contrat de vente en l’état futur d’achèvement (VEFA) est susceptible d’être requalifié en marché public de travaux, dont la passation est soumise aux règles de la commande publique. Chaque acheteur doit ainsi rester vigilant lorsqu’il décide de recourir à la VEFA.

Retour sur cet arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy du 15 avril 2021 qui offre d’utiles et précieuses précisions sur la régularité du recours à la VEFA.

Ici, le bureau de la communauté d’agglomération de Metz Métropole a approuvé la VEFA du programme « Centralia » réalisé par la société Demathieu et Bard Immobilier dans l’optique de l’acquisition d’un bâtiment destiné à accueillir son nouveau siège. Après que sa requête ait été rejetée par le tribunal administratif de Strasbourg, le requérant a saisi la cour administrative d’appel de Nancy d’une demande d’annulation de la décision portant projet d’acquisition et d’injonction de la collectivité de faire constater par les juridictions civiles la nullité de la vente.

Après avoir successivement rejeté les moyens soulevés par le requérant 1)En détail, la cour estime que l’absence de visa est sans conséquence sur la régularité du jugement, que le promoteur est effectivement une partie à l’instance, que la décision n’est pas entachée d’un défaut de publicité., la cour prend le soin d’expliquer pour quelles raisons la collectivité était bien-fondé à recourir à la VEFA.

1          Elle rappelle d’abord les termes de l’article 1601-3 du code civil relatif au contrat de vente en l’état futur d’achèvement 2) Article 1601-3 du code civil : « La vente en l’état futur d’achèvement est le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. », de ceux de l’article 5 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 applicable au cas d’espèce relatif à la définition d’un marché public de travaux 3)Article 5 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 « I. – Les marchés publics de travaux ont pour objet : 1° Soit l’exécution, soit la conception et l’exécution de travaux dont la liste est publiée au Journal officiel de la République française ; 2° Soit la réalisation, soit la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par l’acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception », puis de ceux de l’article 30-I-3ème b du décret du 25 mars 2016 portant sur le recours au marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence dans le cas de l’acquisition ou de la location d’une partie minoritaire et indissociable d’un immeuble à construire 4)Article 30-I-3ème b du décret du 25 mars 2016 : « I. – Les acheteurs peuvent passer un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les cas suivants : (…) 3° Lorsque les travaux, fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé, pour l’une des raisons suivantes : (…) b) Des raisons techniques. Tel est notamment le cas lors de l’acquisition ou de la location d’une partie minoritaire et indissociable d’un immeuble à construire assortie de travaux répondant aux besoins de l’acheteur qui ne peuvent être réalisés par un autre opérateur économique que celui en charge des travaux de réalisation de la partie principale de l’immeuble à construire ; », avant de rappeler aussi les principes dégagés par la célèbre décision du Conseil d’Etat Région Midi Pyrénées du 8 février 1991 et celle du 14 mai 2008 Communauté de communes de Millau-Grands Causses 5) CE 8 février 1991 Région Midi Pyrénées, req. n°57679CE 14 mai 2008 Communauté Millau-Grand Causses, req. n°280370, à savoir :

« Si aucune disposition législative n’interdit aux collectivités publiques de procéder à l’acquisition de biens immobiliers au moyen de contrats de vente en l’état futur d’achèvement, elles ne sauraient recourir à de tels contrats lorsque l’objet de l’opération consiste en la construction même d’un immeuble pour le compte de la collectivité publique, lorsque l’immeuble est entièrement destiné à devenir sa propriété et lorsqu’il a été conçu en fonction des besoins propres de la personne publique ».

Trois situations sont donc de nature à proscrire le recours à la VEFA :

  • l’objet de l’opération vise à la construction même d’un immeuble pour le compte de la collectivité publique,
  • l’immeuble est entièrement destiné à devenir la propriété de la personne publique
  • l’immeuble a été conçu en fonction des besoins propres de la personne publique. 

2          Et précisément ici, la collectivité pouvait recourir à la VEFA. La cour se fonde pour cela sur l’ensemble des raisons suivantes :

  • le promoteur a déposé une demande de permis de construire le 11 mars 2014, un compromis de vente a été signé le 7 juillet 2014 entre lui et la société d’aménagement et de restauration de Metz Métropole (SAREMM) et le permis de construire a été accordé le 4 décembre 2014, de sorte que les démarches de commercialisation ont été engagées dès la fin décembre 2014 alors que le projet de futur siège de la collectivité a été évoqué pour la première fois lors de la conférence des maires en avril 2015 et l’opportunité d’achat n’a été discutée qu’en mai 2015 : les premiers échanges avec la collectivité sont donc intervenus postérieurement au dépôt de la demande de permis de construire
  • le promoteur a proposé ce projet immobilier à une autre personne publique
  • l’ensemble immobilier permet des aménagements intérieurs et de décloisonnement et ne comporte donc pas de caractéristiques particulières qui auraient eu pour objet de répondre aux besoins de la collectivité
  • et d’ailleurs la collectivité a réalisé elle-même des aménagements postérieurs pour un montant significatif dans le cadre d’un marché public de travaux et de maîtrise d’œuvre pour l’aménagement intérieur du nouveau siège.

La cour retient donc que la collectivité n’a exercé aucune influence déterminante sur la nature ou la conception de l’ensemble immobilier, précisant ainsi que cet ensemble n’a pas été conçu à l’initiative de la collectivité, ni en fonction de ses besoins : l’opération n’est donc pas qualifiée de marché public de travaux. Elle rejette par voie de conséquence que cette opération serait soumise à la loi MOP du 12 juillet 1985 et précise enfin, que la seule appartenance au domaine public du terrain d’assiette du projet n’est pas un critère pour soumettre l’opération aux règles de la commande publique.

Cet arrêt n’est pas sans rappeler celui rendu par la cour de justice de l’Union européenne le 22 avril 2021 au sujet d’un contrat de location de longue durée sur un immeuble non encore construit 6) CJUE 22 avril 2021 Commission européenne c/ Rép. Autriche, aff. C‑537/19. La cour a rejeté la critique tendant à faire requalifier ce contrat de marché public de travaux et à cet effet précise la notion d’influence déterminante sur la conception d’un bâtiment de en indiquant qu’« en ce qui concerne le bâtiment envisagé, une influence déterminante sur sa conception peut être identifiée s’il peut être démontré que cette influence est exercée sur la structure architecturale de ce bâtiment, telle que sa dimension, ses murs extérieurs et ses murs porteurs. Les demandes concernant les aménagements intérieurs ne peuvent être considérées comme démontrant une influence déterminante que si elles se distinguent du fait de leur spécificité ou de leur ampleur ».

Alors, qui a dit que la VEFA & le droit de la commande publique n’était pas compatible ?

 

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1. En détail, la cour estime que l’absence de visa est sans conséquence sur la régularité du jugement, que le promoteur est effectivement une partie à l’instance, que la décision n’est pas entachée d’un défaut de publicité.
2. Article 1601-3 du code civil : « La vente en l’état futur d’achèvement est le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. »
3. Article 5 de l’ordonnance du 23 juillet 2015 « I. – Les marchés publics de travaux ont pour objet : 1° Soit l’exécution, soit la conception et l’exécution de travaux dont la liste est publiée au Journal officiel de la République française ; 2° Soit la réalisation, soit la conception et la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d’un ouvrage répondant aux exigences fixées par l’acheteur qui exerce une influence déterminante sur sa nature ou sa conception »
4. Article 30-I-3ème b du décret du 25 mars 2016 : « I. – Les acheteurs peuvent passer un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence préalables dans les cas suivants : (…) 3° Lorsque les travaux, fournitures ou services ne peuvent être fournis que par un opérateur économique déterminé, pour l’une des raisons suivantes : (…) b) Des raisons techniques. Tel est notamment le cas lors de l’acquisition ou de la location d’une partie minoritaire et indissociable d’un immeuble à construire assortie de travaux répondant aux besoins de l’acheteur qui ne peuvent être réalisés par un autre opérateur économique que celui en charge des travaux de réalisation de la partie principale de l’immeuble à construire ; »
5. CE 8 février 1991 Région Midi Pyrénées, req. n°57679CE 14 mai 2008 Communauté Millau-Grand Causses, req. n°280370
6. CJUE 22 avril 2021 Commission européenne c/ Rép. Autriche, aff. C‑537/19

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