L’achat de billets pour un événement sportif peut être effectué sans mise en concurrence… au prix d’une erreur de droit du Conseil d’Etat

Catégorie

Contrats publics

Date

March 2013

Temps de lecture

4 minutes

CE 28 janvier 2013 Département du Rhône, req. n° 356670

Par trois délibérations en date des 16 mai 2008, 12 juin 2009 et 11 juin 2010, la commission permanente du conseil général du Rhône a lancé des consultations sur le fondement des articles 28 et 30 du code des marchés publics afin de passer des marchés à bons de commande consistant en l’achat de places pour assister aux matchs de l’Olympique Lyonnais, et autorisé le président du conseil général à signer les marchés qui en découleraient. Ces places ont vocation à être distribuées gratuitement à certains publics (jeunes et animateurs du réseau associatif sportif) dans le but de promouvoir et d’encourager la pratique sportive.

L’association des contribuables actifs du lyonnais, la « CANOL », a contesté ces délibérations par la voie de l’excès de pouvoir. Si le tribunal administratif de Lyon n’a pas fait droit aux demandes de la « CANOL », la cour administrative d’appel de Lyon a annulé ces actes en considérant que l’achat de ce type de prestation constituait un marché public qui ne pouvait être conclu sans une mise en concurrence préalable.

Saisi par le département du Rhône, le Conseil d’Etat considère au contraire que si l’achat de billets pour un évènement sportif constitue effectivement un marché public, sa passation était en l’espèce exemptée d’obligation de mise en concurrence.

Tout d’abord, la Haute juridiction précise qu’aux termes des articles L. 100-1, L. 100-2 et L. 113-3 du code du sport, l’acquisition de places pour assister à des rencontres sportives professionnelles afin de promouvoir l’activité sportive auprès du jeune public et d’encourager l’encadrement bénévole de cette activité répond bien à une mission d’intérêt général dont le département à la charge.

Effectivement, outre qu’elles qualifient de mission d’intérêt général les activités sportives et leur promotion, ces dispositions visent expressément la conclusion de conventions de prestations de service conclues entre des collectivités territoriales et des sociétés sportives ayant pour objet l’achat de places 1) L’article L. 113-3 et l’article D. 113-6 du code du sport encadrent même les conditions et les montants maximum des conventions de prestations de service pouvant être conclues entre une collectivité locale et une société sportive. Les travaux parlementaires évoquent que ces dispositions visent notamment l’achat de places pour les évènements sportifs : « […] le champ d’application de cet article […] doit viser plus spécialement, sans doute, des contrats de prestation de service (achat d’espaces publicitaires ou de places par exemple) […] » (rapport Bordas au nom de la commission des affaires culturelles en date du 1er mars 2000). .

Par conséquent, la « CANOL » n’était pas fondée à soutenir que le marché ne répondrait pas à un besoin du département.

Malgré cette réponse à un besoin du département, le juge estime que la spécificité de l’achat de places pour les évènements sportifs que l’Olympique Lyonnais est le seul à organiser justifiait que la passation de ce marché public ne soit soumise à aucune procédure de publicité et de mise en concurrence préalable 2) « […] le département entendait promouvoir l’activité sportive auprès du jeune public, notamment des collégiens et des jeunes en difficulté, et encourager l’encadrement bénévole de cette activité, en achetant des places permettant à ce public d’assister gratuitement à des matchs du club de football ” Olympique Lyonnais “, compte tenu de l’intérêt suscité par ce club auprès des populations concernées du département ; que, si les contrats litigieux constituent des marchés publics au sens de l’article 1er du code des marchés publics, s’agissant toutefois de prestations ayant nécessairement un caractère unique, une mise en concurrence pour l’achat spécifique de ces billets, dont seul le club de football ” Olympique Lyonnais ” est le distributeur, s’avérait impossible au sens des dispositions précitées de l’article 28 du code des marchés publics […] »..

On pourra ici relever que si le département entend promouvoir les activités sportives à destination du jeune public, l’Olympique Lyonnais est loin d’être le seul club sportif de la région (on peut par exemple penser au club de rugby du LOU ou au club de basket de l’ASVEL).

Néanmoins, et très pragmatiquement, pour consacrer le caractère unique de la prestation, le Conseil d’Etat se fonde sur « l’intérêt suscité par ce club auprès des populations concernées du département », tant il est vrai que l’Olympique Lyonnais, septuple champion de France de football (sport médiatique par excellence) et régulièrement présent en coupe d’Europe, est le club le plus réputé de la région. C’est cette identité qui justifie, selon le Conseil d’Etat, que le département ait pu décider de privilégier ce club sportif plutôt qu’un autre : à la manière d’un artiste, il est le seul à pouvoir offrir la prestation attendue.

L’idée d’une spécificité d’achat excluant l’application des principes fondamentaux de la commande publique est loin d’être choquante : certains contextes particuliers (le choix d’un artiste pour l’organisation d’un spectacle, le choix d’une œuvre d’art, etc…) rendent effectivement impossible une mise en concurrence, dans la mesure où il s’agit de se porter acquéreur d’une prestation singulière.

Ainsi, l’article 35-II du code des marchés publics prévoit le cas de prestations ne pouvant être confiée qu’à un opérateur déterminé « pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité », ce qui autorise le pouvoir adjudicateur à conclure un marché sans publicité ni mise en concurrence même si les procédures formalisées étaient susceptibles de s’appliquer.

Plus encore, l’article 28 du code des marchés publics relatif aux procédures adaptées prévoit l’hypothèse des « formalités impossibles » qui autorisent le pouvoir adjudicateur à ne procéder à aucune publicité ou mise en concurrence.
Mais on s’étonnera de constater que le Conseil d’Etat fait application du texte de l’article 28 du code des marchés publics dans sa version issue du décret n° 2011-1853 du 9 décembre 2011 modifiant certains seuils du code des marchés publics.

En effet, ce décret mentionne expressément qu’il ne sera pas applicable aux contrats pour lesquels une consultation a été engagée avant sa publication 3) Article 9 du décret n° 2011-1853 du 9 décembre 2011 : « Les dispositions du présent décret ne sont pas applicables aux contrats pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d’appel public à la concurrence a été envoyé à la publication antérieurement à la date d’entrée en vigueur du présent décret. » – ce qui constitue un mécanisme de prise d’effet parfaitement classique en la matière. Or, le département a initié les consultations intéressant ces marchés en 2008, et la plus tardive des délibérations de la procédure date de 2010, tandis que le décret a été publié le 11 décembre 2011.

La portée de cette erreur de droit ne doit cependant pas être surestimée. Le texte de l’article 28 du code des marchés publics applicable à la procédure discutée prévoyait que le pouvoir adjudicateur pouvait décider de passer un marché sans publicité ni mise en concurrence « si les circonstances le justifient », ce qui aurait probablement permis au Conseil d’Etat de retenir la même solution.

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References   [ + ]

1. L’article L. 113-3 et l’article D. 113-6 du code du sport encadrent même les conditions et les montants maximum des conventions de prestations de service pouvant être conclues entre une collectivité locale et une société sportive. Les travaux parlementaires évoquent que ces dispositions visent notamment l’achat de places pour les évènements sportifs : « […] le champ d’application de cet article […] doit viser plus spécialement, sans doute, des contrats de prestation de service (achat d’espaces publicitaires ou de places par exemple) […] » (rapport Bordas au nom de la commission des affaires culturelles en date du 1er mars 2000).
2. « […] le département entendait promouvoir l’activité sportive auprès du jeune public, notamment des collégiens et des jeunes en difficulté, et encourager l’encadrement bénévole de cette activité, en achetant des places permettant à ce public d’assister gratuitement à des matchs du club de football ” Olympique Lyonnais “, compte tenu de l’intérêt suscité par ce club auprès des populations concernées du département ; que, si les contrats litigieux constituent des marchés publics au sens de l’article 1er du code des marchés publics, s’agissant toutefois de prestations ayant nécessairement un caractère unique, une mise en concurrence pour l’achat spécifique de ces billets, dont seul le club de football ” Olympique Lyonnais ” est le distributeur, s’avérait impossible au sens des dispositions précitées de l’article 28 du code des marchés publics […] ».
3. Article 9 du décret n° 2011-1853 du 9 décembre 2011 : « Les dispositions du présent décret ne sont pas applicables aux contrats pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d’appel public à la concurrence a été envoyé à la publication antérieurement à la date d’entrée en vigueur du présent décret. »

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